La pression est forte afin que Québec permette à plusieurs catégories de professionnels de la santé de réaliser des diagnostics dans leurs champs de pratique respectifs. Un virage d’importance qui aura un impact sur les assureurs, car des patients ne seront plus obligés d’obtenir le sacro-saint papier du médecin pour se faire rembourser des traitements ou se retrouver en arrêt de travail. 

Dans son plan d’action afin d’améliorer l’accès aux soins, le ministre de la Santé, Christian Dubé, propose le décloisonnement des champs de pratique de professionnels de la santé. Le Comité interprofessionnel du Québec (CIQ) a publié il y a quelques semaines un rapport dans lequel il propose trois avenues pour améliorer cet accès, dont l’élargissement du diagnostic qui serait permis à d’autres professions de la santé. Le Collège des médecins (CMQ) ainsi que la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) s’y montrent favorables à l’intérieur de certaines balises. 

Le CIQ suggère aussi d’étendre la couverture du panier de services assurés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), un autre geste qui, s’il était adopté, aurait aussi des conséquences pour les assureurs privés. Il cite en exemple les services et soins offerts par les orthophonistes, les nutritionnistes, les physiothérapeutes, les acupuncteurs, les ergothérapeutes, les podiatres, les, les psychoéducateurs, les conseillers d’orientation et les sexologues. 

« Une révision des pratiques actuelles s’impose pour la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), l’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) et la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), ainsi que pour les compagnies d’assurances, écrit le Conseil. Elles (ces pratiques) réfèrent au médecin plutôt qu’à un autre professionnel attitré au patient (…) Des ordres ont fait valoir que les frais pourraient être remboursés par la RAMQ, mais aussi par les assurances collectives. Pour ce faire, il faudrait qu’il y ait une reconnaissance du service professionnel par les compagnies d’assurance, qui sont de grandes consommatrices de services professionnels ». 

Faire des gains d’efficacité et éviter les dédoublements 

Le cas des psychologues illustre bien l’incongruité du système actuel. Depuis 2012, a expliqué la présidente de leur ordre, la Dre Christine Grou, au Portail de l’assurance, ses membres disposent d’une pleine autonomie au regard de l’évaluation des troubles mentaux. Toutefois, ils ne peuvent la qualifier de diagnostic, car la Loi médicale ne le permet pas, et ce, même si le président du CMQ a déjà reconnu dans une lettre co-signée avec la Dre Grou qu’un diagnostic et une évaluation des troubles mentaux, c’est la même chose.

Un simple changement législatif le préciserait, mais le gouvernement ne l’a jamais fait à ce jour. Résultat, dit la Dre Grou, il n’est toujours pas clair pour la population et les assureurs privés qu’une évaluation des troubles mentaux en psychologie représente un véritable diagnostic.

« Nous avons le pouvoir de décréter un arrêt de travail, précise-t-elle, mais des compagnies d’assurance ne le savent pas ou ne le reconnaissent pas. Sur des formulaires, il est encore écrit : “À remplir par le médecin traitant”. C’est cela qu’il faudra changer. À l’ordre, on s’assure de diffuser l’information assez régulièrement auprès de nos membres pour leur dire qu’ils ont tout à fait le droit de déterminer un arrêt ou un retour au travail pour des raisons de santé mentale ». 

Les principaux problèmes de santé mentale diagnostiqués et traités par les 6 000 psychothérapeutes habilités à le faire au Québec sont la dépression et l’anxiété. Ce manque de reconnaissance de leurs diagnostics a des impacts énormes pour les patients et le système de santé. Des compagnies d’assurance exigeraient toujours le fameux papier du médecin. Le client se voit forcé d’aller consulter un omnipraticien pour obtenir sa signature alors que l’accès est déjà très long et de plus en plus difficile. 

« Nos propositions visent des gains d’efficacité et le retrait de certains dédoublements quand un patient doit absolument voir son médecin pour confirmer l’évaluation d’un autre professionnel compétent afin d’obtenir, par exemple, un arrêt de travail », résume la présidente du CIQ, Danielle Boué. 

« On réglerait un gros problème si tout le monde reconnaissait la portée du diagnostic posé par un psychologue, soupire la Dre Christine Grou. Tout le monde s’entend pour dire que l’évaluation des troubles mentaux, c’est une activité diagnostic. À partir du moment où c’est clair, réglons la confusion ».

Il aura fallu que les problèmes d’accès aux médecins deviennent insoutenables avant que le gouvernement se montre réceptif à permettre le diagnostic à d’autres professions de la santé même si le Collège se montre ouvert depuis quelques années. 

Autres types d’élargissement 

Dans son rapport Agir maintenant pour améliorer l’accès en santé et aux services sociaux, le CIQ mentionne que plusieurs ordres souhaitent que leurs membres puissent établir des diagnostics en lien avec leurs compétences déjà bien ciblées dans leur champ de pratique. C’est le cas aussi des optométristes et des chiropraticiens. L’Ordre professionnel des sexologues (OPSQ), l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) et l’Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices (OPP) aspirent eux aussi à éliminer l’obligation pour la clientèle d’avoir un diagnostic et/ou une référence d’un médecin pour obtenir certains soins de santé mentale ou physique. 

Plusieurs ordres souhaitent que leurs membres puissent réaliser de nouvelles activités, qui ne leur sont pas permises actuellement. Les physiothérapeutes voudraient pouvoir prescrire des examens et des médicaments pour des conditions musculo-squelettiques ainsi que la prescription d’un arrêt ou de retour au travail, les psychologues et chiropraticiens souhaitent avoir la capacité d’émettre un billet pour la CNESST et la SAAQ. 

Avalanche de nouvelles demandes pour les assureurs ? 

Si tous ces changements étaient adoptés, pourrait-on assister à une avalanche de nouvelles demandes auprès des assureurs privés ? Dans sa discipline, la psychologie, la Dre Christine Grou ne le croit pas. « Nos bureaux sont déjà remplis à craquer, dit-elle. Je ne pense pas que ça va amener plus de réclamations pour l’assureur, car le patient qui ne peut pas aller travailler va de toute façon obtenir son billet ailleurs. C’est juste plus long s’il doit voir un médecin. Tant le patient que les médecins et le système de santé en bénéficieront. On va plutôt libérer les médecins de ces consultations pour voir d’autres patients qui en ont réellement besoin ».