Quand surviennent des inondations causées par une montée des eaux ou des débâcles, les victimes sont indemnisées en partie par des assureurs privés, mais surtout par les gouvernements. En raison du rôle prépondérant que jouent les municipalités dans le développement à travers les émissions de permis, elles devraient aussi contribuer à l’indemnisation des sinistrés, soutient Bernard Deschamps.
Cet ancien PDG de la Mutuelle des municipalités du Québec a récemment publié le premier volet de la thèse de doctorat qu’il est en train de produire sous la supervision de deux co-directeurs, les professeurs Mathieu Boudreault et Philippe Gachon de l’UQAM.
Ce premier chapitre traite du rôle des municipalités dans les inondations. Les fortes crues de 2017 ont affecté 293 localités et celles de 2019, 240. Le Québec a dû verser au total près d’un milliard de dollars en indemnités, remboursées à 70 % par le fédéral, et les assureurs ont déboursé 500 M$. Les villes touchées n’ont pas eu à dédommager financièrement les sinistrés.
Une cartographie des zones inondables désuète
Le nombre de résidences situées à l’intérieur de zones inondables est largement sous-estimé, écrit Bernard Deschamps, parce qu’il repose sur une cartographie désuète. En 2019, plus de la moitié des lots inondés dans la province étaient situés à l’extérieur des zones inondables répertoriées.
Les cartes actuelles ne tiennent pas compte non plus des obstructions possibles par la glace, la rupture des digues comme à Sainte-Marthe-sur-le-Lac en 2019 ou des pluies extrêmes et soudaines qui déversent des torrents d’eau dans les villes. De l'eau qui se répand dans les maisons parce que le volume dépasse la capacité des égouts pluviaux.
Peu d’incitatifs à réduire le risque
Bernard Deschamps évoque une forme de conflit d’intérêts où on permet aux municipalités de développer leur territoire, ce qui est tout à fait normal, juge-t-il. Mais si elles l’autorisent dans des zones à risque et que surviennent des inondations, ce ne sont pas elles qui paient la facture, mais les gouvernements et les assureurs. Elles ont donc peu d’incitatifs à réduire le risque puisqu’elles ne contribuent pas aux indemnités.
« Certains élus font preuve d’aveuglement volontaire, analyse-t-il. L’opposition du monde municipal à l’ajout de nouvelles zones inondables par le gouvernement démontre à quel point la cartographie du risque est un enjeu politique. »
Toutefois, il se montre lucide : les municipalités ont beaucoup de responsabilités et à part les grands centres, elles ont peu de moyens et de ressources pour gérer ce risque important. « Quand tu parles de dangers d’inondations à un élu municipal, ça se retrouve probablement dans la dernière page du cahier de priorités, dit-il. Le système est ainsi fait : elles n’ont pas une obligation financière de prioriser ce risque-là même si elles ont un rôle très important à jouer. »
Pourquoi les municipalités continuent-elles de délivrer des permis dans des zones inondables malgré les changements climatiques et les sombres prévisions des experts en climat ? Les réponses sont multiples : de forts enjeux économiques, des promoteurs immobiliers entreprenants, la réglementation qui le permet, l’absence ou la désuétude des cartes des zones inondables, etc.
Intervention du gouvernement
Le Québec a réagi aux inondations de 2017 et 2019 en créant les zones d’interventions spéciales (ZIS). Celles-ci englobent près de 600 municipalités et le gouvernement a imposé des moratoires sur le développement et la construction. On s’est aperçu lors de la création de ces ZIS que 54 % des territoires inondés n’étaient pas répertoriés sur les cartes de secteurs inondables déjà existantes.
Autre signal fort, le gouvernement a retiré aux municipalités la cartographie des zones inondables et l’a confiée au ministère de l’Environnement et à INFO-Crue, qui a reçu le mandat de délimiter les zones à risque. Bernard Deschamps s’en réjouit : en s’appuyant sur des cartes officielles récentes produites par l’État, la municipalité pourra dire à son citoyen : « Non, tu n’as pas le droit de te construire là, c’est une zone inondable. » Elle n’a donc pas à porter l’odieux de cette décision.
Il ne faut toutefois pas s’attendre à ce que toutes les municipalités applaudissent à ces restrictions qui vont représenter des freins au développement de portions de leur territoire. « C’est la raison pour laquelle les cartes qui sont prêtes depuis un certain moment ne sont pas encore publiées parce qu’on sait que cela aura un impact important », explique le chercheur.
« Que faire avec les gens et les promoteurs qui avaient acheté des terrains et qui se font dire du jour au lendemain qu’ils se retrouvent dans une zone inondable et ne peuvent plus développer ? Si c’est une mesure temporaire, c’est une chose. Si elle est permanente, c’est autre chose », dit-il.
Responsabiliser les municipalités
Néanmoins, Bernard Deschamps estime qu’il faut responsabiliser les municipalités face aux risques d’inondation et pour y parvenir, elles doivent participer à l’indemnisation des victimes. « Si c’est leur argent qui était dépensé, elles penseraient différemment, croit-il. Si elles devaient contribuer à l’indemnisation, cela les obligerait à se responsabiliser. »
Cette réflexion est au cœur de son projet de doctorat d’établir un mode de partage des indemnités auquel les municipalités participeraient.
Un fonds de prévention et d’indemnisation collectif ?
Il jette donc sur la table une idée de création d’un mécanisme de partage, sorte de fonds collectif dont le modèle serait à préciser, mais qui serait dédié aux inondations et qui serait financé par les municipalités. Leur contribution serait calculée en fonction de leur niveau de risques, de leur capacité de payer et de leurs efforts pour réduire ce risque dans leur territoire.
Selon lui, le partage de la facture n’est pas équitable. « Si je demeure au 7e étage d’un immeuble, je paie quand même pour les inondations à Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Mais jusqu’à quel point quelqu’un qui vit dans une zone à risque ne devrait-il pas participer un peu plus que celui qui n’a pas de risque du tout ? », dit-il.
Il rappelle qu’il y a quelques décennies, les municipalités trouvaient difficilement à s’assurer. Elles ont réagi en créant une mutuelle d’assurances pour gérer leurs propres risques. Et ça fonctionne depuis 30 ans.
« C’est la même chose pour les inondations, propose Bernard Deschamps : il faut se doter d’un outil auquel contribueraient les municipalités et qui va permettre de gérer ce risque d’inondations et de verser des indemnités. Il serait fondé sur le principe de l’assurance : c’est l’ensemble des assurés qui paient les indemnités, mais la prime n’est pas la même pour tous. »
« Si mon risque est plus élevé, je vais payer plus cher. Présentement, l’argent qui sert aux indemnités vient des programmes d’aide financière post-catastrophe. Ce que l’on dit, c’est : mettons de l’argent de côté tout de suite, prenons une partie pour l’investir dans les mesures de protections et d’atténuations et le reste servirait à verser des indemnités. Mais travaillons à réduire le risque, pas juste à le financer », conclut-il.