Les délocalisations de maisons qui se trouvent dans des zones à risque d’inondations sont appelées à augmenter, prévoit Michael Bourdeau-Brien, professeur de Finance, assurance et immobilier de l’Université Laval et membre du Réseau Inondations Intersectoriel Québec (RIISQ). Même si cette option peut apparaître très dispendieuse, au final, il calcule qu’elle pourrait être moins coûteuse pour les gouvernements, les villes, les assureurs et les ménages si l’on tient compte de toutes les répercussions directes et indirectes qu’entraînent les dommages occasionnés par les grandes crues sur les bâtiments, le portefeuille des familles et le moral des occupants.
Michael Bourdeau-Brien a aussi collaboré au groupe de travail fédéral sur l’assurance inondation et les relocalisations. Titulaire d’un doctorat sur les catastrophes naturelles et leurs effets sur les marchés financiers, il rappelle que les changements climatiques se caractérisent par des extrêmes et il a déjà commencé à s’intéresser aux effets des grandes sécheresses qui pourraient survenir au Québec dans le futur comme l’Europe en a connues cet été. Il contribue également à un ouvrage du RIISQ, La gestion des risques liés aux inondations au Québec, que les Presses de l’Université du Québec vont publier au début du mois de novembre.
Amnésie et myopie
Beaucoup de communautés sont encore établies dans des zones inondables. Elles s’y sont installées en raison du laxisme passé des villes, d’un manque de fiabilité ou de l’absence de cartographie des zones à risque à l’époque où elles se sont installées dans ces lieux et parce que les effets des changements climatiques n’avaient pas encore commencé à se faire sentir. Michael Bourdeau-Brien, qui s’intéresse à l’aspect comportemental dans les prises de décisions des individus, avance une troisième explication majeure : l’amnésie et la myopie.
« L’attrait des propriétés en bordure des cours d’eau est tellement fort, explique-t-il, que quelques années après une catastrophe, les gens oublient les dommages. La plupart des études qui évoquent l’amnésie et de la myopie sont américaines et anglaises, mais je n’ai aucune raison de croire que cette réaction serait absente ici. Les inondations de 2017 et de 2019 ont augmenté la connaissance du risque, mais la littérature démontre que la sensibilité aux dangers d’inondations et de catastrophes naturelles en général diminue avec le temps. On peut s’attendre qu’après cinq ou sept ans, les gens soient beaucoup moins sensibles et aient beaucoup moins peur d’être victimes d’une inondation. Ils en viennent à penser que c’est un risque moins présent qu’il ne l’est en réalité ».
La place de l’assurance inondation
Au Canada, rappelle-t-il, de plus en plus d’assureurs offrent une assurance inondation. Toutefois, les zones à haut risque sont souvent exclues des couvertures proposées, car les primes seraient tellement élevées, pouvant aller jusqu’à des milliers de dollars annuellement pour le seul volet inondations, que peu de familles auraient les moyens de se l’offrir. Les assurances inondations qui sont proposées, observe Michaël Bourdeau-Brien, sont souvent conçues pour des ménages qui résident dans des maisons à faible ou moyen risques d’inondation. Ce produit d’assurance, croit-il, est là pour rester malgré une augmentation des sinistres dans le futur, car il répond à un besoin dans la population.
Selon lui, il appartient toutefois aux gouvernements d’indemniser les gens dont les résidences subissent de grands dommages très coûteux. Beaucoup de pays le font. Le Québec indemnise les propriétaires de maisons lourdement endommagées par les inondations, mais il a toutefois fixé un plafond à vie de 250 000 $, dont 50 000 $ pour la portion terrain.
« Pour les petites et moyennes inondations, l’assurance privée a sa place et peut s’avérer la plus utile, exemple lorsque des sous-sols se font inonder, ajoute l’expert. Mais quand les eaux atteignent le premier plancher et affectent la structure de façon majeure, je crois que les gouvernements n’ont pratiquement pas le choix d’aider financièrement les victimes, car ce serait des événements trop coûteux pour les assurances et même avec de la réassurance ».
Informer, une responsabilité conjointe
Depuis 2017 et 2019, les connaissances et les choix en matière d’inondations et de risques ont fortement progressé au Québec. La cartographie des zones inondables a évolué. Info-Crues, dit Michael Bourdeau-Brien, forme une belle avancée même si ce n’est pas encore un outil auquel le grand public peut recourir pour connaître exactement le degré de risques dans telles zones.
Alors, à qui revient la tâche de rafraîchir la mémoire des gens ou de bien les informer sur les dangers d’inondations dans certains secteurs où ils songent à s’établir ? « C’est une responsabilité conjointe, répond-il. Les assureurs via la tarification ont un rôle à jouer pour communiquer l’information sur les risques, les gouvernements doivent publier les cartes de zones de risques d’inondations avec des hauteurs de submersion et les villes pourraient mettre des repères qui permettent de visualiser quelle hauteur l’eau a atteint lors d’une année de grande inondation ».
La relocalisation, une solution appelée à croître
La relocalisation de familles vivant dans des zones inondables peut apparaître comme le dernier recours en raison des coûts élevés qu’elle engendre. C’est pourtant une avenue qui peut s’avérer avantageuse. Cette option est perçue par le gouvernement fédéral comme une façon d’aider à réduire les risques liés aux inondations.
Financièrement, décrit-il, en raison de l’augmentation des risques liés aux changements climatiques, il va devenir rentable pour les finances publiques et la société dans son ensemble de relocaliser après sinistre. « Le dommage à la propriété, c’est juste une facette des conséquences des inondations et ce n’est probablement pas la plus importante, précise-t-il. Plusieurs articles démontrent que les conséquences intangibles, que ce soit en terme psychologique et moral, de perte de productivité et de pertes salariales, sont probablement tout aussi importantes que les dommages matériels directs, si ce n’est plus. Si on inclut ces dommages intangibles dans des analyses, on réalise mieux l’aspect coûts-bénéfices de la relocalisation. À mes yeux, c’est absolument essentiel d’en tenir compte. On ne peut pas uniquement s’arrêter aux aspects matériels. Une bonne étude va inclure l’entièreté des coûts/bénéfices ».
Pour ces raisons, il s’attend à ce que les relocalisations augmentent dans le futur.