Les fortes inondations printanières qui ont frappé plusieurs régions du Québec en 2017 et 2019 ont marqué les esprits et figurent comme exemple significatif des effets concrets des changements climatiques au Québec. Mais un autre phénomène serait aussi à craindre que les crues du printemps, croit le chef du Bureau de projet de Communauté métropolitaine de Montréal sur la gestion des risques d’inondations, Nicolas Milot. Selon lui, les grands orages qui se multiplient à l’été et à l’automne et qui provoquent de fortes pluies sont autant à craindre, car les cours d’eau et les villes ont de la difficulté à les absorber.
Plusieurs territoires ont subi le 21 mai dernier les foudres de l’un de ces événements météorologiques extrêmes, un derecho. Le coût des dommages assurés pour la province a été estimé à 155 M$, en plus des 60 M$ qu’a dû débourser Hydro-Québec. Si de tels phénomènes climatiques restent rares au Québec à ce jour, le nombre de gros orages qui laissent tomber de grandes quantités d’eau en quelques heures est en augmentation et continuera de se multiplier dans le futur.
Les prévisions que nous avait faites Nicolas Milot le 13 juin se sont révélées prophétiques. Trois jours à peine après notre entrevue, le type d’orages violents qu’il nous avait décrit se déchaînait sur plusieurs régions. À Montréal, on a vu des couvercles d’égout projetés à des dizaines de pieds sous la pression de l’eau et les rues ont été noyées. À Ste-Marthe-sur-le-Lac, la foudre survenue durant ce système s’est abattue sur une maison, qui a aussitôt pris feu, du jamais vu en 22 ans de carrière, a commenté un représentant du service de police.
De grandes quantités d’eau sur de petits territoires
L’avertissement lancé par Nicolas Milot est limpide : il ne faut plus penser aux inondations seulement en termes de zones inondables avec des rivières qui débordent au printemps, mais il faudra se préoccuper d’un nouveau phénomène, plus fréquent : des pluies intenses et imprévisibles qui génèrent beaucoup d’eau sur un petit territoire en peu de temps et créent des inondations intenses qui se produisent un peu n’importe où même en l’absence de cours d’eau.
Les effets de l’artificialisation du territoire
Deux phénomènes sont en cause et se conjuguent : la quantité d’eau qui s’abat sur le Québec ou certaines régions s’explique par les changements climatiques. C’est une question de météorologie. Un deuxième facteur va accroître les dommages : l’artificialisation du territoire.
« Plus on grossit, que l’on fait de l’étalement urbain, plus on draine l’eau vers des égouts plutôt que de le laisser pénétrer dans le sol, plus les effets se font ressentir, décrit Nicolas Milot. Les changements climatiques amènent plus d’eau et en parallèle, on a un territoire plus artificialisé qui fait en sorte que le ruissellement se fait plus rapidement. »
Ces orages violents qui peuvent laisser plus de 100 mm d’eau au sol en très peu de temps peuvent toucher de nombreuses régions même si elles ne sont pas situées le long de cours d’eau. Il est difficile pour les villes et municipalités de se préparer à affronter de tels phénomènes.
Selon Nicolas Milot, le Québec connaît depuis 2011 des événements climatiques majeurs aux deux à trois ans. Le Saguenay vient d’être touché par des glissements de terrain importants qui ont provoqué la perte de nombreuses maisons et le déménagement de plusieurs familles.
Importance des pluies estivales et automnales
Nicolas Milot parle d’enjeu et défi majeur pour les villes et municipalités au sujet de la hausse des grandes pluies estivales et automnales. Les infrastructures telles que les réseaux d’égouts de surface, souligne-t-il, ont été conçues à une autre époque et ne sont pas adaptées pour faire face à de tels afflux d’eau accentués par le ruissellement, les rues asphaltées et les grands stationnements où l’eau ne peut s’infiltrer.
« On ne déterrera pas tous les égouts du Québec pour les grossir, dit-il ; donc il faudra empêcher une certaine quantité d’eau de s’y rendre ».
Optimiste, il soulève la capacité des villes à réagir depuis les grandes crues de 2017 et 2019 et à faire face à ces nouveaux défis que posent les inondations printanières et causées par les gros orages. De plus en plus de municipalités élaborent des cadres réglementaires pour favoriser l’infiltration de l’eau à l’échelle de la propriété privée, telles que l’interdiction de diriger ses gouttières vers la rue, mais vers un coin de terrain où elle pourra s’infiltrer dans le sol.
Un bon aménagement du territoire permet de retenir ou de retarder le ruissellement le plus longtemps possible avant qu’il n’atteigne un cours d’eau ou une conduite d’égout. La présence de milieux naturels est capitale à cet effet. Si l’eau tombe dans une forêt ou un espace gazonné, elle pourrait ne jamais rejoindre autre chose, mais si on les remplace par des milieux bâtis, asphaltés, avec des toits et des gouttières, elle s’oriente à un autre endroit très rapidement. Il sera vite très engorgé et va aller en rejoindre un autre dans un égout ou un ruisseau, pouvant créer des débordements ou des inondations.
Craindre les phénomènes pour des raisons différentes
Nicolas Milot craint ces deux phénomènes pour des raisons différentes. Quand les inondations printanières surviennent, elles coûtent extrêmement cher au gouvernement, aux villes et aux assureurs. Mais en termes de vies humaines, les décès causés par ces crues énormes sont très rares, voire inexistants dans la province.
Les inondations éclair provenant de pluies intenses coûteront beaucoup moins cher en termes de dommages parce qu’elles sont plus localisées et beaucoup moins de gens seront touchés, mais parce qu’elles sont imprévisibles, rapides et intenses, elles représentent un enjeu pour la protection des personnes. Pour les assureurs, il devient important de mutualiser de tels risques qui peuvent survenir n’importe où, à n’importe quel moment en été ou à l’automne. Certaines compagnies pourraient y voir une occasion d’affaires ou de nouvelles couvertures, d’autres pourraient plutôt être tentées de ne plus couvrir ce genre de sinistres, croit M. Milot.
Submersions côtières
Nicolas Milot dit qu’il ne faut pas perdre non plus les submersions côtières liées aux grandes marées et à la hausse des niveaux de la mer, des phénomènes qui surviennent notamment en Gaspésie. D’ailleurs, le 12 juin dernier, la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbeault, a annoncé une aide financière de 9,3 millions pour des travaux de protection des berges sur une longueur de 1,2 km. Cette somme servira à protéger des bâtiments résidentiels, des commerces, une résidence pour personnes âgées et des infrastructures municipales. Selon le MSP, il y aurait plus de 4 000 km de côtes à protéger de l’érosion dans l’Est de la province.
L’UMQ publie un guide pour faire face aux changements climatiques
En avril dernier, la Chaire de recherche du Canada en action climatique urbaine a rendu publiques ses analyses qui mettent en lumière le rôle crucial des villes pour agir face à la crise climatique. L’Union des municipalités du Québec (UMQ) vient de publier en juin un premier guide à l’attention de ses membres pour les aider à faire face aux changements. Intitulé S’adapter au climat par la réglementation, ce guide aborde à travers des exemples concrets dans la province, dix thématiques qui devraient faire l’objet d’actions de la part des municipalités, telles que la densité, la mobilité, la construction et les restaurations durables, les arbres et les milieux naturels.
Un aspect essentiel n’y est toutefois pas abordé, l’accès, la construction et le retrait de citoyens qui vivent dans des zones inondables. Cette question, explique-t-on à l’UMQ, est une compétence provinciale gérée par le gouvernement.
Selon Nicolas Milot, le Québec est jeune dans l’encadrement de ses zones inondables. Il date de la fin des années 80. Avant cette réglementation, il y avait déjà beaucoup de bâtisses dans les zones qui doivent être traitées comme des droits acquis. En 2022, on est très conscient de ne pas rajouter inutilement des constructions dans des zones à haut risque d’inondations, mais en même temps, on ne pourrait pas exproprier tous les gens qui y vivent, car ça coûterait des milliards de dollars au gouvernement en rachats de propriétés. La réglementation d’urbanisme est l’un des meilleurs outils dont disposent les villes et les municipalités pour s’adapter aux changements climatiques.