Un des articles qui s’ajoute à la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (dite Loi 39.1) sort du lot. Alors que les autres nouveaux articles de cette loi viennent hausser les exigences de protections des données personnelles, l’ajout de l’article 40.1 de la Loi 39.1 facilite l’accès aux informations sur un tiers, mais seulement après sa mort, « si la connaissance de ce renseignement est susceptible d’aider le requérant dans son processus de deuil ». 

Maître Antoine Aylwin, avocat associé et spécialisé en vie privée et cybersécurité, chez Fasken Montréal, explique qu’avant ce changement, les héritiers potentiels ou toute personne ayant des intérêts financiers reliés au défunt pouvaient réclamer l’accès aux informations permettant d’accéder à son patrimoine. Toutefois, les proches qui auraient voulu obtenir des explications et des archives, ne serait-ce qu’une simple photo, pour des raisons plus intimes ou sentimentales, n’y avaient pas droit : « Le deuil, ce n’est pas un droit à faire valoir. Ce n’est pas une réclamation monétaire. Ce n’est pas un recours. Donc, ce n’était pas un motif reconnu en vertu de la loi. » 

Pourtant, qu’ils fassent une réclamation d’assurance vie ou à la suite d’un incident brutal ayant coûté la vie à un proche, il est bien rare que les proches réussissent à évacuer de leur esprit une foule de « pourquoi ? », par lesquels ils essaient de continuer d’accrocher leur vie à un sens. Jacques Cherblanc, professeur titulaire au département des sciences humaines et sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi et coauteur de Quand le deuil se complique, présente le deuil comme une perte de contrôle : « C’est un événement qui défie toute logique. On ne sait pas ce que c’est. On ne sait pas expliquer ce qu’est la mort, si ce n’est que l’absence de vie. C’est la fin de la vie. On se retrouve face à cet inconnu, cette absence de sens, et aussi au sens du décès parfois. Il est rare qu’on se dise ‟oui, la personne était rendue là, à mourir” ».  

Le droit d’aider  

Me Antoine Aylwin affirme que les compagnies d’assurance possèdent parfois des informations privilégiées qui ne leur permettent pas toujours de relayer la responsabilité à d’autres professionnels. Si cela peut être le cas, lorsque les informations relèvent du dossier médical, les enquêtes d’assurance amènent à des découvertes auxquelles personne d’autre n’aurait accès : « Parfois, dans le cadre d’une assurance vie, l’enquête de l’assurance va être plus élaborée que ce que vont savoir les policiers, qui vont seulement constater un décès. » 

Ce juriste spécialisé en vie privée souligne cependant que cette possibilité d’aider en dévoilant quelques secrets d’assureur n’entraîne aucune obligation. « C’est important de le comprendre, parce que l’on dit qu’une personne ‟peut” » communiquer. Dans la loi, lorsqu’il y a des obligations, nous allons mettre un ‟doit” ». Donc, cela va dépendre du bon jugement des personnes qui travaillent dans l’assurance à savoir si elles considèrent la condition à rencontrer et si elles désirent le faire », indique-t-il.

À l’inverse, comme le droit à la confidentialité demeure préservé par le code de déontologie de la profession, un dévoilement d’information qui est jugé inapproprié par une tierce personne pourrait mener à une plainte à la Commission d’accès à l’information. « Cela étant dit, si une personne n’est pas de mauvaise foi, je ne pense pas qu’ils vont vouloir appliquer des peines importantes. », précise Me Aylwin. 

Lorsque la jurisprudence ne répond plus 

Selon Jacques Cherblanc, il n’est pas facile de savoir si des informations obtenues, même vivement sollicitées, contribueront au bien-être ou, au contraire, à nourrir un questionnement qui n’en finit plus. 

Cet expert du deuil assure toutefois que la relation apparemment sereine ou non avec le défunt est loin d’être le facteur permettant de déterminer si des dévoilements pourraient contribuer à ce que les endeuillés parviennent à trouver un sens plus paisible à ce monde où le défunt n’est plus. « Par exemple, si c’était votre mère, mais que vous n’aviez vraiment pas une bonne relation avec elle, le fait qu’elle décède peut vous amener une réaction de culpabilité ou un deuil difficile, parce que, justement, vous avez l’impression de ne pas avoir eu la relation que vous auriez dû avoir avec elle. Maintenant, c’est trop tard. » 

Devant ces grandes interrogations, Me Aylwin admet que la jurisprudence risque de ne pas apporter un grand secours ni aujourd’hui, ni même plus tard, pour encadrer l’application d’un nouvel article qui n’apporte pas de contrainte et ne mènera que rarement, à son avis, devant les tribunaux : « Bien sûr, il y a des morts tous les jours, mais le fait que quelqu’un ait des renseignements sur une personne décédée, que la famille ne possède pas, et que cela pourrait aider dans le processus de deuil, tout cela réuni, je ne pense pas que cela va arriver souvent », ajoute-t-il.

Parmi les bonnes pratiques, Antoine Aylwin suggère donc de concevoir un manuel d’encadrement accessible à l’équipe, qui prendrait en considération des données provenant de la psychologie. Il propose également de réclamer l’avis d’un expert qui accompagne déjà l’endeuillé, lorsque tel est le cas, afin de justifier sa décision. 

Ce nouvel article de la loi fait donc plus qu’offrir aux professionnels de l’assurance une forme de liberté. Il les incite à se donner les moyens de prendre des décisions qui pourraient être lourdes de conséquences. Mais Jacques Cherblanc y entrevoit aussi une responsabilité éthique qui, si elle est honorée de façon consciencieuse, pourrait contribuer au rayonnement des valeurs associées à l’institution de l’assurance : « Mon client m’a fait confiance parce qu’il voulait assurer la sécurité de son conjoint, de sa conjointe. Et la sécurité n’est pas seulement financière : ça relève aussi du sentiment ! Je dois donc aussi concourir, par mes interventions, à favoriser ce sentiment de sécurité. » 

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