Louis Morisset, PDG de l’Autorité des marchés financiers, dit croire fondamentalement à la valeur du rôle-conseil, mais pas à l’obligation du conseil en toute circonstance. Du même souffle, il rappelle à l’industrie que c’est à elle de faire valoir la valeur du rôle-conseil.morisset_louis_web_rejM. Morisset a tenu ses propos lors d’une entrevue exclusive accordée au Journal de l’assurance le 5 mai dernier, dans les bureaux montréalais du régulateur. Il a en outre dit croire que le rôle-conseil est là pour demeurer là où le consommateur en a absolument besoin.

« Il y a toutefois des situations où le consommateur n’a pas nécessairement besoin d’avoir recours à des conseils, notamment dans les situations où il peut autoévaluer la situation. C’est à l’industrie de faire valoir au consommateur la pertinence d’y avoir recours. À elle de prendre la balle au bond pour assurer une pérennité. Nous avons la conviction que l’industrie doit se prendre en main en ce sens », dit-il. Selon M. Morisset, ce défi de démontrer sa valeur revient aux trois secteurs de l’industrie : assurance vie et de dommages ainsi que fonds d’investissement.

Dans le dossier de la vente d’assurance par Internet, M. Morisset juge que les orientations de l’Autorité ont été bien accueillies dans l’industrie, mais aussi par le ministère des Finances du Québec. « On a trouvé un bel équilibre. Ce sera aussi une évolution », dit-il.

Il ne faut pas arrêter le progrès. Il s’agit de trouver un juste équilibre. Notre rôle est de protéger le consommateur, mais aussi de favoriser le bon fonctionnement des marchés.

– Louis Morisset



Il reconnait ne pas partager le même point de vue que le Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ) sur la question. Le Regroupement dit craindre que le fardeau de protéger le consommateur repose sur le consommateur lui-même et non plus sur le représentant certifié.

« Le consommateur peut se faire une tête lui-même. Il peut avoir recours au conseil s’il en sent le besoin. Il faut même l’encourager. Nous pouvons toutefois très bien concevoir que ce ne soit pas impératif. Il ne faut pas arrêter le progrès. Il s’agit de trouver un juste équilibre. Notre rôle est de protéger le consommateur, mais aussi de favoriser le bon fonctionnement des marchés. On doit considérer les deux pôles et ne pas les mettre en péril », dit le PDG de l’Autorité.


Les orientations de l’Autorité amènent toutefois certaines inconnues, notamment sur qui remplira sur Internet l’analyse de besoins financiers en assurance vie, une obligation pour les représentants certifiés. « La question est légitime, admet M. Morisset, mais nous n’avons pas la bonne réponse à cela encore. La réflexion se fait. On cherche un équilibre pour que le consommateur ne soit pas dans une décision difficile. Ce sont des produits simples dans certains cas. Il s’agit de reconnaitre que dans certaines situations, le recours à un conseiller n’est pas nécessaire. L’industrie de l’assurance et de l’investissement a le défi de démontrer la valeur du conseil. Il se peut que ce soit plus difficile dans certains cas. »
Analyse des besoins financiers et rémunération des conseillers

Joint après l’entrevue, Eric Stevenson, surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution de l’Autorité, a précisé que l’achat d’assurance sur Internet implique que le consommateur soit en mode d’autoévaluation de ses besoins. Toutefois, ajoute-t-il, l’assureur aura aussi la responsabilité de s’assurer que le consommateur comprenne ce qu’il achète. « Si l’assureur constate qu’il ne comprend pas, son système devra se bloquer », dit-il.

Autre enjeu : la rémunération des conseillers financiers en fonds d’investissement. Louis Morisset ne cache pas que la deuxième phase du Modèle Relation Conseiller-client (MRCC2) risque d’exacerber les différences entre les secteurs de l’assurance vie et de l’investissement. Il dit toutefois croire fermement que l’Autorité se doit d’aller au bout de ce dossier.

« Les différences entre les deux ont-elles leur raison d’être ? Créent-elles des effets néfastes pour le consommateur? Je ne pars pas avec la prémisse qu’il faut harmoniser les réglementations et que ces écarts doivent être éliminés. Il est toutefois raisonnable de faire cette réflexion », soutient M. Morisset.

« Nous avons d’ailleurs prévenu l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP) que c’était une priorité pour nous. Ça l’est aussi pour le Conseil canadien des responsables de la règlementation en assurance (CCRRA). S’il y a des problèmes, il faut les repérer. L’industrie n’est pas toujours encline à voir certains enjeux adéquatement », dit M. Morisset.

Il souhaite clore ce dossier le plus tôt possible. Il se dit toutefois conscient que le tout ne se fera probablement pas avant 2016.

Encadrement des agents généraux

L’Autorité garde aussi à l’œil la question de l’encadrement des agents généraux en assurance de personnes. Lors de sa dernière évaluation en 2013, le Fonds monétaire international (FMI) lui avait fait part de ses appréhensions sur ce volet. La prochaine révision est prévue pour 2017 ou 2018, mais M. Morisset ne souhaite pas se faire taper sur les doigts à ce moment.

« On doit s’y pencher. On comprend toutefois la réalité pour les cabinets d’assurance de recourir aux agents généraux pour faire appliquer les mesures de conformité. C’est un élément important. Il y a quelques écarts qui émergent, mais c’est un élément qui nous interpelle », dit le PDG de l’Autorité.

Besoin de cohérence

Dans la même veine, M. Morisset juge important pour l’industrie que celle-ci soit bien réglementée. « Ça lui donne du crédit. Il ne faut toutefois pas tomber dans les dogmes. Je ne crois pas que les principes internationaux doivent s’appliquer à tout prix. On cherche à trouver l’équilibre entre ces deux pôles. Si nous n’encadrons pas le Mouvement Desjardins comme le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) le fait pour la Banque Nationale, c’est Desjardins qui en sera pénalisé », dit-il.

M. Morisset veut ainsi amener l’Autorité à un autre niveau, pour qu’en tant que régulateur, elle soit amenée à jouer un facteur positif et contributif dans la conduite des marchés. « Ce n’est pas pour rien que je suis à la table de Finance Montréal. J’y entends les doléances de l’industrie », dit-il.

Il veut aussi faire évoluer l’Autorité pour qu’elle prenne des décisions dans des dossiers chauds. Le PDG de l’Autorité ne cache pas qu’il a poussé ces équipes pour que le régulateur prenne position dans certains dossiers.

« La vente d’assurance par Internet était un dossier qui trainait depuis 2012. Je voulais qu’on avance. Même chose pour l’assurance de remplacement, où on a donné un coup de semonce dans ce segment. Nous avons une industrie qui a besoin de cohérence », dit-il.

Révision de la loi 188 et enforcement

L’Autorité suit aussi de près la sortie attendue de la révision de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (loi 188). M. Morisset souligne que cette révision serait idéale pour enchâsser dans la loi ses orientations énoncées quant à la vente d’assurance par Internet ou de la distribution sans représentant. Si certains ont vu dans la publication des recommandations de l’Autorité un ballon politique qui donnerait au Ministre le loisir de changer de position, ils sont dans l’erreur, dit son PDG.

« Notre mission est de proposer. C’est ensuite au gouvernement d’en disposer. Toutefois, nous nous parlons. D’ailleurs, nous sommes les mieux placés pour aller chercher le pouls de l’industrie et pour mener une réflexion sur les enjeux qui la touchent. Il faut utiliser cette expertise », dit-il.

L’Autorité poursuit aussi ses efforts en enforcement. Comme les malfrats sont souvent insolvables après leurs méfaits, l’Autorité pousse davantage pour obtenir des peines d’emprisonnement, pour qu’ils puissent repentir leurs mauvaises actions pendant un certain temps. Il souligne par ailleurs que ceux-ci restent longtemps aux prises avec un jugement.