Assureur collectif établi en France, Alan a lancé officiellement ses activités en Ontario le 6 janvier 2025, sous le nom d’Alan Canada. Il a obtenu un permis d’exercer en Alberta peu après. L’assurtech en collectif prévoyait en obtenir un en Colombie-Britannique cet été, et au Québec plus tard dans l’année. Mark Goad agit en qualité de chef de la direction d’Alan Canada. L’assureur dit cibler les sociétés de technologie en démarrage et les petites entreprises, avec une offre entièrement numérique.
Fondé en 2016, Alan s’est fait un nom avec une percée dans la fonction publique, remportant coup sur coup des appels d’offres en France. Il a récemment irrité les syndicats en délogeant Mgéfi, une mutuelle qui assurait depuis des années les 130 000 fonctionnaires du ministère de l’Économie et des Finances de France.
L’assureur accumule les pertes financières, mais ses revenus croissent. L’assurtech a produit un revenu annuel récurrent de 523 millions d’euros (M€), soit plus de 828 millions de dollars canadiens (M$), au premier trimestre de 2025. Il s’agit d’une hausse de 44 % par rapport au premier trimestre de 2024. Au terme de cette période de comparaison, Alan a toutefois essuyé une perte nette de 12,7 M€, soit de 20 M$. Les montants canadiens apparaissent au taux de change en vigueur au 30 juillet 2025.
Alan Canada offre pour l’instant deux programmes d’assurance. Au moment de la parution d'un article du Portail de l’assurance, le 30 mai 2025, l'assureur offrait uniquement Alan Bear. À partir de 100 $ mensuellement par assuré, l’employé pouvait s’y inscrire en quatre questions. Depuis, le prix de ce produit a été ajusté à 107 $ par mois.
Alan Bear couvre 80 % du coût des médicaments prescrits, selon un plafond annuel de 3 000 $, 80 % du coût des soins dentaires, sujet à un plafond annuel de 1 500 $ et 80 % du coût des services paramédicaux, selon un plafond annuel de 500 $ par catégorie de fournisseur de soins.
Un deuxième programme est maintenant disponible, soit Alan Marmot, au prix de 150 $ par mois. C’est son produit le plus généreux, avec une couverture de 100 % des coûts de tous les soins. Les plafonds sont relevés à 10 000 $ pour les médicaments et à 2 000 $ pour les soins dentaires.
Moins généreux que ces deux programmes, Alan Chipmunk n’est pas encore offert, mais l’assureur l’affiche sur son site web. Alan Canada prévoyait le lancer à partir de 86 $ par mois : il a révisé son prix à 92 $ par mois.
Perturbateur à offre limitée
En offrant de l’assurance collective directement aux entreprises sans passer par les cabinets de courtage, Alan Canada arrive en perturbateur dans une industrie habituée à un mode de distribution plus traditionnel. Sur son site web, Alan Canada promet à ses clients de réduire les frais d’administration de leurs régimes privés, pour les faire passer de 30 % à 15 % de la prime d’assurance collective.
Après deux invitations à une entrevue, l’une en début d’année et l’autre en juillet, le directeur général d’Alan Canada, Mark Goad, a annulé chaque fois. Il n’a pas voulu la reporter à une date ultérieure. Directeur général et cofondateur d’Alan, Jean-Charles Samuelian-Werve n’a pas répondu à notre demande de contact.
Le Portail de l’assurance a recueilli les réactions de trois spécialistes de la distribution d’assurance collective sur l’arrivée de ce perturbateur. Leur modèle est aussi numérique.
Parmi eux, Chris Gory, président et fondateur d’Orchard Benefits, courtier d’assurance collective torontois actif depuis plus de 20 ans. Orchard Benefits se spécialise auprès des jeunes pousses (startups) du secteur de la technologie. L’offre de services de son cabinet est entièrement numérique.
En entrevue avec le Portail de l’assurance, Chris Gory a dit que la tarification proposée par Alan Canada pour ses programmes est raisonnable. Il soulève toutefois que ces programmes sont plutôt étroits. « Il n'y a pas d’assurance vie, pas d'assurance invalidité, et la couverture santé est très restrictive », remarque-t-il.
M. Gory déplore entre autres qu’aucun programme d’Alan Canada ne couvre les frais de soutien à la fertilité ou pour des vaccins. Ce sont selon lui des couvertures que beaucoup d’entreprises « ajoutent à leurs régimes de nos jours ». Il observe que les assureurs en sont conscients, et cite un partenariat qu’a conclu Manuvie avec Maven Clinic le 5 juin. L’assureur offre à ses participants des régimes un accès illimité aux programmes numériques de cette clinique qui se spécialise entre autres dans les soins de fertilité, ménopause et santé hormonale. Manuvie offre ce type de soutien depuis 2020. Plusieurs autres assureurs offrent une couverture en fertilité.
Si j'étais employeur, je voudrais savoir si les assurance vie et invalidité sont importantes pour mes employés.
– Chris Gory
Le 27 mai, le Portail de l’assurance a publié un dossier de quatre articles sur la santé hormonale des femmes, dont l’un s’intitule Fertilité : les employeurs en retard sur la couverture des traitements.
« Si j'étais employeur, je voudrais savoir si les assurance vie et invalidité sont importantes pour mes employés. Je voudrais en savoir plus sur la couverture des médicaments. Je voudrais savoir si la fertilité est importante pour mes employés. Si les vaccins, ce genre de choses sont importantes pour eux, car on ne peut pas les obtenir par l'intermédiaire d'Alan », souligne M. Gory.
Créneau peu enclin à l’assurance invalidité
Spécialisé dans le créneau des entreprises de technologie comme Alan, le président d’Orchard Benefits concède que seule une minorité de ces entreprises s’intéressent à l’invalidité de longue durée. « Je ne vends pas souvent d’assurance invalidité dans les régimes, car de nombreuses entreprises technologiques sont créées par des jeunes de 25 ans. Ils pensent avoir toute la vie devant eux. Ils ne croient pas à l'invalidité avant d'être plus âgés », explique-t-il.
Celui qui se décrit comme « un gars de chiffes » en a fait l’analyse dans sa clientèle de 126 entreprises, qui représentent entre 5 000 et 6 000 participants de régime. D’entre elles, 29 % ont un régime avec assurance invalidité de longue durée.
Ses données révèlent en outre que seuls 15 % de ses clients offrent la couverture d’assurance vie selon un multiple du salaire; 85 % des entreprises choisissant un montant forfaitaire « pour la plupart de 50 000 $ », dit Chris Gory.
« Alan travaille également avec des entreprises technologiques. C'est probablement pour cela qu'il ne se soucie pas d’offrir de l'assurance invalidité de longue durée. Mais pour l'assurance vie, il n'y a aucune explication », selon lui.
M. Gory estime pourtant le risque bien réel : « J'ai traité une demande d'indemnisation d'assurance vie il y a trois semaines pour un homme de 33 ans atteint d'un cancer. C'est ma neuvième demande d'indemnisation pour une personne de moins de 50 ans. »
Quant à son offre en soins de fertilité, il constate que de plus en plus de ses clients l’offrent. Pour l’instant, c’est le cas de 15 % d’entre eux.
Pas facile de faire sa place
Alan est perçu comme un perturbateur, mais s’imposer ne sera pas facile, si on en juge par l’expérience d’une assurtech en distribution d’assurance collective fondée par un vétéran du réseau des agents généraux. En novembre 2023, Jorge Ramos a fondé Viver pour offrir une alternative aux conseillers rebutés par la difficulté d’obtenir une soumission en assurance collective. Conseiller depuis 30 ans, M. Ramos œuvre parallèlement à titre de directeur national de la planification avancée de Carte Wealth Management, agent général de Mississauga, en Ontario.
Ses régimes offrent de l’assurance vie jusqu’à 150 000 $, et maladies graves jusqu’à 75 000 $. La couverture des médicaments (jusqu’à un maximum de 5 000 $ à 10 000 $, de soins dentaires et de 19 catégories de thérapeutes. Ils prévoient également une couverture d’assurance voyage, des soins de la vue et d’examen des yeux. L’offre comprend le compte de crédits santé.
Viver se définit comme un cabinet de tierce partie en administration et paiement de réclamations. Le conseiller peut utiliser un lien qui lui est assigné par Viver, et qui lui permet d’obtenir une soumission d’assurance en quelques minutes, après que son client a répondu à trois questions. Co-operators Vie assure les régimes collectifs de Viver.
Pour l’instant, la taille moyenne de ses groupes oscille autour de 10 employés, a révélé M. Ramos, en entrevue avec le Portail de l’assurance. Il a confié que son lancement s’est fait discrètement auprès d’agents généraux qu’il connaît. « Nous ne traitons qu’avec les agents généraux. Nous demandons aux conseillers qui viennent directement vers nous de nous présenter à leur agent général, qui les aidera à adhérer », explique M. Ramos. Il ajoute que Viver ne veut pas devenir un agent général.
L’entreprise vient d’amorcer une campagne de marketing sur les réseaux sociaux. « Nous avons commencé à enregistrer des ventes ces deux dernières semaines. Nous comptons encore moins de 100 clients. Notre objectif est d'en atteindre 250 dès la première année. Notre croissance est rapide. Nous avons 600 conseillers répertoriés dans notre système et nous recevons chaque semaine 10 à 20 soumissions par semaine. Une ou deux se traduisent chaque semaine en vente », dit Jorge Ramos qui s’efforce de faire augmenter ce ratio.
Il demeure toutefois confiant, encouragé par l’excellent soutien de la part de conseillers « qui constatent notre différence ». « Nous comptons de nombreux adeptes précoces (early adopters). Les nouveaux conseillers nous apprécient, car nous simplifions les choses. »
Ébranler l’industrie
Plusieurs conseillers tardent à nous rejoindre, car ils apprécient les méthodes traditionnelles et nous bousculons un peu les choses.
– Jorge Ramos
Jorge Ramos constate en revanche que même une fintech issue de l’industrie met plus de temps à attirer l'attention. Il observe que « plusieurs conseillers tardent à nous rejoindre, car ils apprécient les méthodes traditionnelles et nous bousculons un peu les choses ». Le fondateur de Viver entend plusieurs questions de leur part : comment se dérouleront les renouvellements ? Qui assure vos régimes ? « Ils ont une relation de longue date avec leurs clients et leur réputation est en jeu », explique M. Ramos qui doit atténuer leurs craints par plus de formation et de coaching.
Au courant de la montée d’Alan depuis un moment, Jorge Ramos croit qu’Alan Canada ébranlera l’industrie. « Mais je ne suis pas inquiet », affirme-t-il. « Je pense que l'avenir de l’assurance collective repose sur la technologie, et que l'arrivée d'un plus grand nombre d'acteurs contribuera à accroître sa visibilité, prévoit-il. Si de grands acteurs commercialisent la technologie, les avantages sociaux et la facilité d'utilisation, je pense que le marché tout entier va croître. »
C’est aussi le point de vue de Danny Boulanger, vétéran courtier d’assurance collective et président fondateur de Segic, plateforme numérique d’avantages collectifs et individuels. La plateforme héberge ce que M. Boulanger qualifie de « marketplace », parce qu’elle regroupe les solutions numériques de différents partenaires en mieux‑être, télémédecine, finances, et assurance, telles que le cabinet d’assurance vie numérique Emma.
La plateforme offre aussi des services de tierce partie administrateur et payeur. Elle permet l’autoadhésion des participants de régime aux garanties collectives et le contrôle des données et de l’expérience de son groupe par l’employeur, même lors d’un changement d’assureur. M. Boulanger précise que Segic n’est pas un courtier, et que les courtiers sont ses clients. Il rappelle que Segic a d’ailleurs récemment lancé une solution à leur intention, appelée SegicPro IA. Construite sur Microsoft Power Platform, elle utilise l’intelligence artificielle de Copilot pour automatiser les processus de prévente.
Au sujet d’Alan Canada, M. Boulanger note que de nombreux assureurs canadiens hésitent à adopter une approche directe, par crainte de perturber leur réseau de courtiers. « J’ai parlé d’Alan avec quelques courtiers. Ils ont pensé pendant des années que les assureurs ne voudraient pas vendre directement de l’assurance collective, pour ménager leur réseau de distribution et parce que c’est compliqué de le faire. Ils ont peut-être sous-estimé la compétition de l’étranger, de l'Europe. Alan a été fondé en 2016 et a terminé 2024 avec 523 M€.
Avec Alan, je n'ai pas besoin d'un expert pour me vendre de l'assurance collective. Cela fait réaliser au courtier qu’il est remplaçable.
– Danny Boulanger
Il note qu’avec les récentes levées de fonds, Alan a le vent dans les voiles. « Alan Canada arrive avec un modèle perturbateur qui dit que l'assurance collective devient un peu une commodité. Avec Alan, je n'ai pas besoin d'un expert pour me vendre de l'assurance collective. Cela fait réaliser au courtier qu’il est remplaçable », résume le président de Segic qui signale toutefois que l’offre d’Alan Canada se concentre sur les petites et moyennes entreprises (PME).
En éliminant les intermédiaires, Alan Canada pourra selon lui offrir des rabais « avec une approche plus transparente, plus évolutive ». « La bonne nouvelle, c'est que cela va faire évoluer le métier de courtier en assurance collective vers celui de conseiller en programmes d’avantages collectifs », croit Danny Boulanger. Il s’agit selon lui d’une approche-conseil beaucoup plus large, qui cible les besoins de l'entreprise selon ses défis de rétention d'employés, de productivité et d’attraction de nouveaux talents, et la nécessité d’avoir une stratégie santé.
M. Boulanger dit que les courtiers avec lesquels il a discuté se sont dits d’accord avec cette vision. Ils constatent aussi que les entrepreneurs ne veulent plus seulement de l'assurance collective. Si l’assurance collective devient une commodité, le président de Segic croit que cela permettra au conseiller d’ajouter de la valeur grâce à cette vision plus large.