Les courtiers d’assurance de dommages ont tout intérêt à se méfier de la percée des assureurs directs en assurance aux entreprises. S’ils ne le font pas, ils se feront jouer le même tour qu’en assurance des particuliers.Ces mots sont ceux d’une sommité en assurance de dommages au Québec : Bernard Boiteau, ancien dirigeant principal en IARD d’AXA Assurances. Ce n’est pas le premier avertissement qu’il livre aux courtiers. L’un des plus mémorables avait été lancé au congrès du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ), en 2006. Il avait alors annoncé qu’AXA était prête à acheter des cabinets de courtage et à les transformer en cabinets d’agents pour éviter qu’ils tombent entre les mains des assureurs directs.

Il identifie la percée des assureurs directs comme l’un des évènements les plus marquants des 20 dernières années. Pour lui, l’acquisition de Bélair par le Groupe Commerce a été une « grande révolution », autant pour les courtiers que les assureurs. « Ça a réveillé beaucoup de monde en amenant les gens à travailler différemment. Ils ont été plus agressifs dans la vente de leurs produits. »

Un autre évènement a bousculé encore plus les assureurs à courtage : l’arrivée de Desjardins. « Il a fallu revoir les façons de faire, autant chez les assureurs dans leur manière de travailler avec les courtiers que pour les courtiers dans leurs relations avec les assureurs. »

Graduellement, les courtiers ont dû eux aussi uniformiser leurs processus et informatiser leurs méthodes de distribution et de traitement des dossiers. « C’était le capharnaüm. Ça n’a pas été une belle période. On a perdu beaucoup de temps et d’argent », déplore-t-il aujourd’hui.

« Desjardins est une menace »

En entrevue au Journal de l’assurance, il dit craindre que l’histoire ne se répète en assurance aux entreprises. « Les assureurs directs y grugent des parts de marché au courtage en baissant les primes. Une très grande partie des souscripteurs savent que la prime qu’ils demandent ne correspond pas à la réalité », dit-il. Il ajoute que la concurrence est tellement féroce que l’on offre des rabais sur les primes, sans lien avec la logique de l’assurance ou des produits. « On veut écrire des polices en se disant que lorsque le marché reprendra, on pourra augmenter les primes. Ça fait bien des années qu’on le dit, mais ça n’arrive pas », dit-il.

Il se dit aussi en désaccord avec les dirigeants d’assureurs qui se sont prononcés au congrès du RCCAQ, en novembre 2011. Certains d’entre eux avaient alors affirmé ne pas craindre la percée des directs en assurance des entreprises. « Quand Desjardins Groupe d’assurances générales a commencé à vendre de l’assurance, tout le monde disait qu’ils allaient se retrouver avec les mauvais clients et les mauvais risques. Je peux vous dire que s’ils n’ont eu que les mauvais risques, ils font pas mal d’argent avec! Il se passera la même chose en assurance des entreprises. Ça ne part pas à coup de centaines de millions, mais ils sont en train de former leur force de vente. Je suis convaincu qu’ils représentent une menace », dit-il.

Un ours qui dort

Il souligne l’arrivée récente de Pierre Dansereau, chez Desjardins, avec qui il a travaillé pendant quelque temps chez AXA. « Il est en train d’embaucher des agents en assurance des particuliers, mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne fassent le saut vers la vente aux entreprises. C’est un ours qui dort », dit-il.

Un autre sujet lui tient à cœur : la relève. Le parcours de M. Boiteau peut sembler atypique pour un jeune, aujourd’hui. Il a fait toute sa carrière chez le même employeur. Il a débuté aux Provinces Unies en 1969 jusqu'à ce que cela devienne AXA. Il a ainsi gravi les échelons, au fil des ans. Cette possibilité de promotion au sein d’une même organisation est, selon M. Boiteau, l’un des grands atouts d’une compagnie d’assurance en matière de recrutement.

Il croit toutefois que les assureurs à courtage doivent investir dans la relève. « Il faut le faire pendant qu’on a encore des gens d’expérience dans les organisations. La formation n’est pas une dépense, mais un investissement. Chaque employeur a le devoir d’exploiter le maximum du potentiel de ses employés, mais il doit aussi leur offrir un environnement de travail stimulant », dit-il. L’approche de recrutement et de rétention devrait être la même pour le cabinet de courtage, dit-il.

M. Boiteau se dit aussi préoccupé par les sinistres catastrophiques. « Avant on regardait le passé pour déterminer les risques prévisibles. Il n’y a plus de cycles dans l’assurance, mais il y en a surement dans le climat. »

Il note toutefois qu’au fil des ans, l’industrie de l’assurance a su s’entourer de spécialistes de divers horizons pour améliorer sa prévision du risque. « Nous sommes au carrefour des sciences des finances, de l’actuariat, de l’administration, du droit, du marketing et des ventes. Autant de secteurs qui se sont greffés à la science de la souscription. Ça nous aide justement à déterminer le juste prix, en fonction des connaissances de tout le monde », insiste M. Boiteau.