Quand un concessionnaire automobile vend un produit d’assurance, 56 % de la prime payée par le client sert à sa rémunération.
C’est l’un des constats que fait l’Autorité des marchés financiers dans son Rapport d’analyse des divulgations 2016-2018 des assureurs relatif à l’offre de produits d’assurance par l’entremise de concessionnaires automobiles au Québec. Il a été rendu public le 3 juin.
Malgré sa concertation avec l’industrie automobile et celle de l’assurance, et malgré des changements apportés aux règles en place, l’Autorité affirme qu’elle a encore du travail à faire pour assurer un meilleur traitement équitable du client lorsqu’il a acheté un produit d’assurance par l’entremise d’un concessionnaire automobile.
« L’Autorité poursuivra l’intensification de ses mesures afin que soient corrigées les mauvaises pratiques persistantes », peut-on lire dans son rapport.
Rémunération tout aussi élevée pour l’assurance vie
Depuis le milieu des années 2000, les pratiques liées à la vente de la garantie de remplacement, devenue assurance de remplacement (FPQ #5) ont retenu l’attention. Ce nouveau rapport de l’Autorité jette toutefois un éclairage sur la vente de produits d’assurance vie par les concessionnaires.
On y découvre notamment que les concessionnaires automobiles touche une rémunération aussi élevée pour la vente d’un produit d’assurance de personnes que pour une assurance de remplacement. Le produit d’assurance vie le plus commun vendue par les concessionnaire en est un de « type vie, santé et perte d’emploi d’un débiteur » (VSPED). Ce produit permet de rembourser le solde de la dette au moment du décès de la personne assurée, couvrant la valeur maximale de l’emprunt ou encore un certain nombre de mensualités sur le prêt.
L’Autorité y dévoile qu’en moyenne, en 2018, 54 % de la prime vendue à un client pour un produit VSPED allait à la rémunération du concessionnaire. Il faut aussi y ajouter un 4 % de frais administratif moyen, ce qui fait que le concessionnaire touche 58 % de la prime.
En 2018, la vente de produits VSPED a totalisé 268,5 millions de dollars (M$) au Québec. C’est donc dire que les concessionnaires ont touché une rémunération de 145 M$ pour ce produit, en plus de frais administratifs de 10,1 M$.
À titre comparatif, la vente d’assurance de remplacement a totalisé des primes de 156 M$. De ce chiffre, 70 M$, soit 45 % du volume, ont servi à la rémunération des concessionnaires, avec un 10,8 M$ supplémentaires, soit 7 % du volume, en frais administratifs.
Le graphique suivant montre la répartition des primes pour les années 2016 à 2018 :
Refus d’indemnisation élevé
Autre préoccupation de l’Autorité propre à la vente des produits VSEPD : leur taux de refus d’indemnisation, qui a été de 29 % en 2018. C’est plus élevé que dans les réseaux traditionnels, clame le régulateur.
Le régulateur indique que le taux de refus de polices similaires offertes en assurance collective de courte durée était de 5 % entre 2015 et 2017. Il était de 12 % pour des polices de longue durée, sur la même période.
« Le taux de refus élevé des demandes d’indemnisation pour ce type de produit amène à se questionner sur les principaux motifs ayant causé des refus », écrit l’Autorité dans son rapport.
1 police sur 4 résiliée
L’Autorité a aussi constaté qu’une police sur quatre souscrite par un concessionnaire automobile était résiliée avant la fin de son terme. Ce chiffre était le même en 2016, en 2017 et en 2018.
Une particularité a toutefois émergé en 2018. La majorité des résiliations des produits de VSPED, soit 79 %, se sont faites après le 181e jour de l’achat, alors qu’avant, la situation était inverse, comme le démontre ce graphique :
Il faut rappeler qu’en 2017, l’Autorité avait imposé à ce que le délai d’acquisition de la rémunération soit d’au moins 180 jours. Auparavant, le concessionnaire acquérait l’entièreté de sa rémunération dans un court délai.
Des consommateurs ont d’ailleurs signalé à l’Autorité qu’ils avaient été invités par leur concessionnaire à souscrire un produit d’assurance à prime unique qu’ils pourraient ensuite résilier après 30, 60 ou 90 jours. « Le délai mentionné semble correspondre précisément au délai d’acquisition de la rémunération par le concessionnaire », précise le régulateur.
Quand venait le temps de se faire rembourser leur prime unique après avoir annulé le produit, des consommateurs ont signalé à l’Autorité que les versements mensuels de leur financement n’ont pas changée. Le montant du remboursement a plutôt servi à diminuer la durée de leur financement. Des consommateurs ont aussi mentionné que les modalités de remboursement d’une prime unique lors de la résiliation d’un produit d’assurance ne leur ont pas été expliquées par leur concessionnaire.
Pourquoi ne pas avoir attendu les chiffres de 2019, demandent les concessionnaires
Les concessionnaires automobiles ont réagi au rapport par le biais de la Table de concertation portant sur l’offre de produits d’assurance par des concessionnaires d’automobiles, de véhicules récréatifs et de loisir, mis en place de concert avec l’Autorité en 2017.
Cet organisme regroupe la Corporation des concessionnaires d’automobiles du Québec, l’Association des marchands de véhicules d'occasion du Québec, l’Association des commerçants de véhicules récréatifs du Québec et l’Association des concessionnaires de véhicules de loisirs du Québec.
On y retrouve aussi deux assureurs : iA Groupe financier et SSQ Assurance. Ces deux compagnies possèdent la quasi-entièreté de ce marché, tant pour l’assurance VSPED que l’assurance de remplacement. iA en détient d’ailleurs près de 80 %.
Ces six sociétés ont dit prendre acte du rapport déposé par l’Autorité dans un communiqué diffusé l'après-midi du 3 juin. Ils disent toutefois déplorer que le portrait brossé par le régulateur ne tienne pas compte de l’année 2019.
« En 2019, des ressources sans précédents ont été investies par tous les acteurs du milieu pour respecter les demandes et l’échéancier de l’Autorité, mais aussi pour déployer les nouvelles mesures de formation du personnel attitré à la distribution et de leurs gestionnaires, sur le cadre réglementaire afférent », peut-on lire dans leur missive.
Ont-ils des chiffres pour appuyer leur argumentaire ? Non, pas dans le moment, a consenti Pierre Picard, porte-parole d’iA Groupe financier au Portail de l’assurance.
« Les données pour 2019 pour l’ensemble de l’industrie devraient être disponibles en juillet prochain. Tel que mentionné dans le communiqué, les changements ont été mis en place de façon graduelle depuis 2018 et les impacts se feront aussi sentir graduellement, possiblement davantage au cours des années 2020 et suivantes », a aussi indiqué M. Picard dans un courriel destiné au Portail de l’assurance.
Robert Poëti, PDG de la Corporation des concessionnaires d’automobiles du Québec, a rappelé au Portail de l’assurance que la Table de concertation avec l’Autorité existe depuis 2017. Il a révélé qu’un peu plus de dix rencontres ont eu lieues depuis.
Comme M. Picard, il souligne que l’Autorité a diffusé des données de 2016, 2017 et 2018. Il lui aurait apparu plus réaliste de pouvoir constater les avancements et les actions d’améliorations de la table sur une même période pour avoir une idée plus juste en examinant les données de 2019, 2020 et 2021, a-t-il écrit dans un courriel destiné au Portail de l’assurance.
Le tableau suivant présente les données publiées par l’Autorité pour l’année 2018 :
Les objectifs de l’Autorité
L’Autorité conclut son rapport en précisant quels seront ses quatre grands objectifs visant à « ce que soient corrigées les mauvaises pratiques persistantes ».
Tout d’abord, le régulateur exigera que les produits d’assurance offerts aux consommateurs par l’entremise de concessionnaires aient une valeur ajoutée similaire à celle des produits comparables actuellement offerts par un réseau de distribution traditionnel. Ainsi, les primes payées devront être comparables à ceux des autres produits similaires. Il en est de même pour les taux de refus des demandes d’indemnisation.
L’Autorité exigera aussi des pratiques de rémunération qui favorisent le traitement équitable du client. Ces pratiques devront aussi mitiger les risques de conflits d’intérêts.
Le régulateur entend aussi poursuivre les initiatives d’éducation et d’amélioration des divulgations aux consommateurs. Les conséquences du financement d’une prime unique sont notamment dans sa ligne de mire.
L’Autorité compte aussi amener un effet dissuasif important quant aux mauvaises pratiques de vente.