La contestation judiciaire autour de la clause de suicide en assurance-vie de Beneva, qu’un juge de la Cour supérieure a considéré « nulle et sans effet » dans un jugement rendu en février dernier, franchit une autre étape. Dans un mémoire qu’il vient de soumettre à la Cour d’appel, l’assureur défend le libellé de son contrat et reproche au juge Jean-Yves Lalonde de ne pas avoir tenu compte du contexte global de la police en cause avant de rendre sa décision. 

Les enjeux financiers de cette affaire sont extrêmement importants. Le jugement de première instance force l’assureur à remettre 1,5 M$ aux cinq bénéficiaires d’un assuré qui s’est enlevé la vie à l’intérieur de la période d’exclusion de 24 mois qui était prévue à son contrat en cas de suicide.

Dans son jugement, le magistrat avait adressé un message à propos de cette clause à toute l’industrie de l’assurance, l’invitant à ouvrir les yeux face à cette exigence destinée à protéger les intérêts de l’assuré.

Beneva conteste l’analyse qu’a faite le magistrat de la formulation du contrat qui l’a amené à donner gain de cause aux bénéficiaires. L’assureur veut porter la cause en Cour d’appel dans le but de la renverser.

Les cinq personnes qui devaient se partager le 1,5 M$ ont tenté de stopper ses démarches en présentant une requête en rejet d’appel, mais trois juges ont rejeté leur demande le 29 mai. Beneva pouvait donc poursuivre son action et il devait soumettre un mémoire en Cour d’appel pour exposer ses arguments. C’est ce qu’il a fait le 15 août. La défense déposera le sien au cours des prochaines semaines. 

Les objections de Beneva 

Dans son mémoire, dont le Portail de l’assurance a obtenu copie, Beneva rappelle lui-même qu’afin de permettre à l’assuré de contracter une assurance en toute connaissance de cause, le législateur a voulu lui donner un outil de repérage facile des clauses d’exclusion ou de réduction de garantie qui consiste en un titre approprié clairement indiqué dans le texte de la police.

Cette exigence législative est prévue à l’article 2404 du Code civil du Québec qu’a invoqué le juge Lalonde pour invalider la clause Suicide prévue dans le contrat d’assurance-vie de l’assureur.

« En matière d’assurance de personnes, reconnaît Beneva, l’assureur ne peut invoquer que des exclusions ou les clauses de réduction de la garantie qui sont clairement indiquées sous un titre approprié. »

L’article 2441 

Le plus récent article 2441 du Code civil du Québec dispose que l’assureur ne peut refuser de payer les sommes assurées en raison du suicide de l’assuré à moins qu’il n’ait stipulé l’exclusion de garantie expresse pour ce cas (souligné dans le mémoire de Beneva). Même alors, la stipulation est sans effet si le suicide survient après deux ans d’assurance ininterrompue. 

Toujours selon Beneva, dans l’affaire actuelle, il est acquis que le contrat d’assurance-vie couvrant le disparu prévoyait spécifiquement une clause d’exclusion de garantie en cas de suicide dans les deux années suivant l’entrée en vigueur de la police et que l’indemnité est alors limitée au remboursement des primes versées pour la garantie, sans intérêt. 

Le juge a-t-il erré en droit ? 

Le juge de première instance a conclu dans son jugement de février que seul un titre comprenant le terme « exclusion » ou « limitation » peut constituer un titre approprié au sens de l’article 2402 du Code civil

Beneva rétorque que son interprétation a été « déraisonnable » et trop restrictive et affirme que le titre « SUICIDE » dans le contrat est approprié et répond à l’objectif de clarté du législateur.

« La question n’est pas de savoir si le titre à propos de la limitation en cas de suicide comporte les termes “exclusion ou réduction”, écrit Beneva, mais bien de déterminer si la clause et le titre sont suffisamment clairs pour permettre au lecteur de comprendre le sens de la clause et son effet sur la garantie. (…) Interpréter l’article 2404 C.c.Q comme imposant nécessairement l’utilisation du terme “exclusion” dans le titre constitue manifestement une erreur. » 

L’assureur soutient que l’utilisation du terme « suicide », même seul, ne porte pas à confusion et ne crée aucune ambiguïté : l’assuré raisonnable sait clairement de quoi il est question.

Il cite à l’appui de son point de vue devant la Cour d’appel un document produit par l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui a pour objectif de protéger les assurés, attirant leur attention sur les conséquences d’un décès par suicide suivant le remplacement d’un contrat d’assurance. Pour ce faire, l’AMF a choisi d’utiliser les mots « Clause de suicide ». 

L’assureur reproche aussi au juge de ne pas avoir tenu compte du contexte global du contrat en cause. 

Un titre explicite 

Les motifs avancés par Beneva afin que la Cour d’appel accepte de débattre de la cause en 2024 peuvent se résumer dans cette phrase extraite de son mémoire : 
 
« En somme, une analyse contextualisée permet de mettre en lumière qu’en l’espèce, la clause relative au suicide est chapeautée d’un titre explicite, lequel est facilement repérable puisqu’indiqué en majuscules et caractères gras, sur la première page des Dispositions générales d’une police qui compte au total sept pages. Il s’agit de la seule exclusion applicable à la garantie d’assurance-vie. Le texte de la clause est clair et sans ambiguïté. Le mot “suicide” (en gras et en souligné dans le mémoire) est fort et évocateur. »