Le compte d’épargne libre d’impôt (CELI) est à peine lancé que plusieurs Canadiens y cotisent déjà au maximum. Malgré l’absence de données complètes pour toute l’industrie, la tendance indique que les conseillers auront fort à faire pour éviter que leurs clients ouvrent leur CELI dans une banque.

Lancé à la fin de 2008, le compte d'épargne libre d'impôt (CELI) est entré officiellement en vigueur le 1er janvier 2009. Depuis, il tient les institutions financières en haleine. Le succès qu'elles anticipaient à la fin de l'an passé s'est en effet matérialisé au-delà des attentes, selon les acteurs interrogés par le Journal de l'assurance.

« Nous avons ouvert environ 375 000 CELI jusqu'à maintenant », a révélé Peter Aceto, PDG d'ING Direct. Il ajoute que le montant des cotisations totales recueillies au sein des CELI par ING Direct s'élève à 1,3 milliard de dollars (G$). Depuis le début janvier, chaque cotisant y a donc déposé en moyenne près de 3 500 $.

« Plusieurs clients ont déjà déposé le montant maximal permis pour cette année, soit 5 000 $, ajoute M. Aceto. D'autres, moins nombreux, ont commencé un programme d'épargne automatique. C'est une stratégie que nous encourageons fortement, même si elle abaisse le montant moyen par compte. »

Gordon Gibson, premier vice-président et directeur général du service aux particuliers de la Financière Banque Nationale (FBN), affirme que le montant moyen s'élève à environ 4 700 $ par CELI dans le réseau bancaire, mais n'a pas encore la moyenne pour les activités de FBN.

Danielle Coutlée, directrice, stratégie de ventes et soutien chez RBC Banque Royale, estime la moyenne de ses CELI à 4 200 $. Selon Mme Coutlée, le nouveau compte est très populaire pour deux raisons majeures : l'accessibilité des sommes à tout moment sans pénalité et l'accumulation de l'avoir à l'abri de l'impôt. « Il n'y a pas de négatif pour ce compte , ce n'est que du positif », lance-t-elle.

Chez Standard Life, la moyenne s'établit à 3 300 $ par CELI, selon Marie-Chantal Viau, consultante principale en gestion de produits d'investissement individuels. « Le montant total actuellement détenu dans les CELI atteint les 4 millions de dollars chez Standard Life », note-t-elle.

De son côté, le vice-président adjoint, marketing et communication, gestion de patrimoine, chez Manuvie, Jeff Carrique, n'est pas en mesure de divulguer ces données, mais il a toutefois précisé que la réponse de la clientèle est très favorable. « C'est encourageant, le montant des cotisations est plus élevé que prévu », dit-il.

La course est donc lancée afin de courtiser les clients et les inciter à ouvrir un CELI. L'actif détenu dans les comptes d'épargne libre d'impôt pourrait atteindre une valeur de 20 G$ cette année seulement, selon une étude de CIBC Marché des capitaux publiée en septembre dernier.

Le Journal de l'assurance a communiqué avec le ministère des Finances et avec l'Agence du revenu du Canada afin de recueillir des données et des statistiques sur le compte d'épargne libre d'impôt. Ni l'une ni l'autre n'a été en mesure de fournir les renseignements demandés. Selon leurs représentants, ces données seront disponibles en 2010.

Mal compris

Un peu plus de trois mois après le lancement du compte d'épargne libre d'impôt, beaucoup de travail reste à faire du côté des institutions financières et des conseillers afin d'éduquer la clientèle sur les avantages de ce nouveau produit. « Il y a certes des aspects du CELI qui ne sont pas bien compris par la population en général. Pensez au régime enregistré d'épargne-retraite (REÉR), il existe depuis plus de 50 ans et plusieurs Canadiens n'y ont jamais cotisé ou ne comprennent pas comment ça fonctionne », dit Tina Di Vito, directrice générale, stratégies de retraite, BMO Groupe financier.

Les conseillers ont donc un rôle primordial à jouer auprès de leur clientèle. « Une grande part de la conscientisation des clients à l'égard de ce nouveau véhicule d'investissement repose entre les mains des conseillers », dit Shawn Kauth, vice-président adjoint, développement des produits de patrimoine à la Sun Life.

Gordon Gibson, de la FBN, explique pour sa part que le CELI fournit un excellent motif pour contacter tous ses clients et revoir leur dossier, leurs besoins, leurs objectifs et leur profil d'investisseur. « Le CELI est l'outil par excellence pour aller chercher de l'information supplémentaire sur le client, car il faut pousser l'analyse plus loin pour déterminer comment le compte s'intégrera dans le plan financier », ajoute-t-il.

D'ailleurs, mieux vaut être proactif et joindre ses clients le plus rapidement possible, croit Marc Vallée, planificateur financier au Centre Financier Classique. Le conseiller pourrait bien passer à côté de belles occasions d'affaires s'il attend plutôt les appels de sa clientèle. « En général, les clients en ont entendu parler, mais plusieurs ne cherchent pas à en savoir plus alors qu'ils peuvent facilement en tirer profit », dit-il.

Planificatrice financière au Groupe Investors, Jeannette Brox constate de son côté que sa clientèle n'a pas trop de problème à démystifier le CELI. La raison est simple : elle a déjà contacté tous ses clients afin de les avertir qu'un nouveau produit pourrait leur permettre d'accumuler des revenus de placement à l'abri de l'impôt. « En tant que conseiller, c'est notre responsabilité de jeter un coup d'œil aux dossiers de nos clients et de déterminer comment ce compte peut leur être utile », note-t-elle.

Produit fidélité

Par ailleurs, Marc Vallée estime que le compte d'épargne libre d'impôt ne constitue pas pour l'instant une avenue d'affaire très lucrative pour les conseillers, étant donné le montant maximal des cotisations qui s'élève à 5 000 $ pour la première année. Il ajoute toutefois que le compte est un outil supplémentaire qui lui permet de renforcer la relation avec ses clients.

C'est un avis partagé par M. Gibson qui qualifie le CELI de produit de fidélisation. « Il faut en ouvrir un, même si les cotisations viennent de transfert plutôt que d'argent neuf », dit-il. Il ajoute que lors d'une rencontre, le fait de ne pas parler du nouveau compte peut faire surgir des interrogations dans la tête du client quant à la compétence de son conseiller.

Le directeur principal, développement de produits et mise en marché individuel chez Desjardins Sécurité financière (DSF), Claude Paré, émet d'ailleurs une mise en garde : « Si vous n'en parlez pas à votre client, quelqu'un d'autre le fera à votre place. »

Pour sa part, Mme Brox croit qu'il ne faut surtout pas négliger le potentiel d'affaire du CELI. « Si vous laissez quelqu'un d'autre ouvrir le compte à votre place, vous risquez de voir l'actif de votre client s'envoler vers ce compétiteur. Vous voulez plutôt ériger une clôture autour de vos clients, ne les laissez pas sauter à l'extérieur », souligne-t-elle.

À tout âge

Tous les Canadiens adultes gagnent à cotiser le montant annuel maximal dans un CELI. « Je trouve remarquable que ce compte fournisse des avantages significatifs pour tous les groupes d'âge », dit Mme Di Vito.

Pour l'instant, les Canadiens âgés de 65 ans et plus sont les plus nombreux à tirer profit des avantages du CELI, soit le tiers d'entre eux, selon un sondage Léger Marketing mené pour le compte de BMO Banque de Montréal. « Si le client a plus de 71 ans, c'est une occasion de continuer à faire fructifier son avoir à l'abri de l'impôt, soit pour des projets ou encore pour léguer aux générations futures », dit Mme Di Vito.

En effet, les titulaires de REÉR doivent convertir leur régime en fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) après cet âge. Ils sont ainsi obligés d'y retirer un montant minimal à chaque année.

Si la personne n'a pas besoin du montant retiré, elle peut le déposer dans le compte d'épargne libre d'impôt. Les revenus générés dans le compte n'affecteront pas à la baisse les prestations gouvernementales basées sur le revenu, comme le Supplément de revenu garanti.

Les plus jeunes demeurent toutefois ceux qui bénéficieront le plus du CELI, à long terme, parce qu'il n'y a pas d'âge limite pour y cotiser des sommes. Les usages du compte sont multiples, disent leurs promoteurs. Le compte peut servir à constituer un fonds d'urgence ou à accumuler les sommes nécessaires à l'acquisition d'une voiture ou d'une maison, entre autres. Le montant placé dans ce véhicule peut aussi être destiné à des projets à plus long terme, telle la retraite.

D'ailleurs, le compte d'épargne libre d'impôt peut servir à entreposer des sommes pour une personne qui n'est pas certaine de vouloir cotiser au REÉR, selon Mme Viau, de Standard Life. « Si un client est indécis, on pourrait lui dire de placer l'argent dans le CELI en attendant. Il a 60 jours après le début de l'année prochaine pour se décider », dit-elle. Si le client décide de cotiser à son REÉR et qu'il reçoit un remboursement d'impôt, il peut le remettre dans son compte libre d'impôt s'il le désire.

Selon les experts, le CELI doit s'imbriquer dans une planification financière complète; il ne doit pas être considéré séparément. Le plan financier doit être revu afin que le compte soit utilisé de concert avec les autres produits. « Le compte d'épargne libre d'impôt a un rôle conjoint avec le REÉR », selon Mme Viau.

Vice-président marketing, assurance et rente individuelle à l'Industrielle Alliance, Jacques Potvin insiste sur les étapes essentielles de cette révision. « Après avoir expliqué les rouages du CELI, il faut établir la situation financière du client. Puis, il faut déterminer les raisons pour lesquelles le client veut investir des sommes. Est-ce pour des projets à court terme, long terme, ou les deux? Enfin, il faut choisir le bon produit en tenant compte de l'aspect fiscal », dit-il.

M. Gibson, de FBN, souligne que ce sont des analyses complexes qui sont tributaires de la situation personnelle de chacun, d'où la nécessité de guider le client dans le processus.

Sécurité recherchée

Dans les derniers mois, les investisseurs ont pleinement réalisé l'effet de la volatilité sur leur portefeuille de placement. Les fortes corrections boursières ont démontré de façon concrète aux clients les effets du risque sur leur rendement, un concept parfois abstrait pour certains d'entre eux. La tolérance au risque d'une partie de la clientèle a donc fondu comme neige au soleil. C'est d'ailleurs ce que confirme M. Vallée, du Centre Financier Classique : « En ce moment, les clients optent pour des véhicules de placement très sécuritaires. »

À la Banque Royale, la majorité des cotisants au CELI ont placé leur argent dans le compte de dépôt d'épargne, un véhicule sans risque et accessible en tout temps, selon Mme Coutlée.

Chez Desjardins Sécurité financière, les clients ont privilégié les certificats de placement garanti ces derniers temps, et parfois les fonds du marché monétaire. « Plusieurs clients utilisent le compte pour se bâtir un fonds d'urgence, ils ne cherchent donc pas à prendre beaucoup de risque », dit M. Paré.

Échaudés par la baisse des marchés boursiers, la majorité des investisseurs veulent que leur capital soit garanti. C'est un constat qui ne s'applique pas seulement au CELI, selon Mme Di Vito. « Les Canadiens attendent et regardent ce qui se passe en ce moment. Ils optent en général pour des placements à court terme et garantis, dit-elle. Nous verrons dans les prochaines années si la tendance en investissement évolue vers des produits plus risqués à mesure que les clients redeviennent confiants envers l'économie et qu'ils comprennent mieux comment le CELI fonctionne. »

Les fonds distincts ont aussi la cote auprès des titulaires d'un compte libre d'impôt à la Standard Life, surtout parce qu'il y a une garantie sur le capital investi et un rendement potentiellement élevé pour les fonds liés aux marchés boursiers. « Depuis le lancement, la moitié des cotisants ont choisi d'investir dans les fonds garantis », affirme Mme Viau.

D'ailleurs, investir maintenant dans les marchés pourrait être payant. « Quand on a un marché boursier qui se transige à la moitié du niveau où il était un an auparavant, c'est le moment d'acheter, pas de vendre, souligne M. Gibson, de FBN.