Le marché des logiciels de gestion de la clientèle dédiés aux conseillers financiers s’est enrichi d’un nouveau joueur. À sa tête, un vétéran de ce créneau croit que son projet répond à un besoin des conseillers qu’il n’a pas réussi à combler dans une autre vie appelée Kronos Technologies. Pas plus que n’y sont parvenus ses concurrents, plaide-t-il. 

Jean-François St-Pierre

Lorsqu’il a vendu Kronos Technologies à Equisoft en 2018, Jean-François St-Pierre avait déjà l’intuition qu’il reviendrait à l’industrie de l’assurance de personnes. Deux ans plus tard, il reçoit trois appels qui l’en convainquent : on lui dit que sa contribution n’est pas terminée. En septembre 2021, il réussit à convaincre deux partenaires avec qui il démarre le projet Laylah. Il s’agit de Guillaume Lorquet et de Jean-Christophe St-Pierre. Les trois sont actionnaires de l’entreprise. 

Souvent appelées CRM (pour customer relationship management), des solutions telles que celles d’Equisoft (Equisoft Connect) ou de Salesforce occupent actuellement le marché des logiciels de gestion de la clientèle. Plusieurs autres joueurs offrent des solutions partielles. 

Gestion des données d’abord 

Comment l’application d’Innovations Laylah inc. diffère-t-elle de celle qu’offrait Kronos Technologies (et qu’offre maintenant Equisoft Connect) ?

L’approche part d’un autre angle, dit M. St-Pierre qui s’explique en revenant sur l’époque de Kronos Technologies. « Au temps de Kronos, nous avons abordé le développement de l’application sous l’angle des fonctionnalités nécessaires au conseiller dans son quotidien. Avec les années, nous nous sommes rendu compte que des données incomplètes, l’empêche de faire correctement son travail, peu importe les fonctionnalités de son application », relate-t-il. 

À l’époque Kronos, Jean-François St-Pierre a tenté de résoudre le problème, mais les données provenant de plusieurs sources créaient selon lui plus de problèmes qu’autre chose. « La gestion des doublons, la possibilité de transfert de clientèle et bien d’autres fonctionnalités reliées à la gestion des données, nous ne l’avons pas bien fait », reconnaît M. St-Pierre. 

« Là où Laylah se différencie, c’est que nous avons d’abord créé une application de gestion des données », dit Jean-François St-Pierre. La priorité des trois partenaires est d’offrir au conseiller une vue unifiée et complète des données sur sa clientèle. « Après, il sera possible d’ajouter des fonctionnalités pour l’aider dans son quotidien », explique M. St-Pierre. 

L’équipe de Laylah vise à regrouper des données de différentes sources et de les sécuriser pour que les données entrées par la suite ne viennent pas écraser les premières. « Nous offrons aujourd’hui une application qui est capable de gérer les données de la clientèle, de les modifier et de garder une trace de tout ce qui se passe. L’utilisateur de l’application peut ensuite partager ces données avec d’autres systèmes ou avec d’autres utilisateurs de Laylah », dit M. St-Pierre.

Partager ou récupérer 

M. St-Pierre dit que l’utilisateur de Laylah pourra accepter de partager des données avec d’autres utilisateurs. Par exemple, l’agent général ou le client avec son conseiller. Il précise que l’utilisateur pourra arrêter le partage des données avec un autre utilisateur. Les données lui reviennent lorsqu’il coupe le lien avec un autre utilisateur. « Elles sont alors supprimées de l’application Laylah de l’autre utilisateur », explique M. St-Pierre.

L’application vise à donner au conseiller une vue d’ensemble de sa clientèle. Il pourra aussi partager ses données avec d’autres conseillers. « Le conseiller pourra avoir une vue complète de son client, et partager les données avec les autres acteurs du marché, conseillers, agents généraux et assureurs, affirme M. St-Pierre. Le conseiller pourra ensuite ajouter par couche les fonctionnalités dont il a besoin pour son logiciel de gestion de la clientèle. »

Jean-François St-Pierre reconnaît que si l’un des utilisateurs qui gravitent autour du conseiller, client, assureur ou agent général, n’accepte pas de partager ses données, le conseiller ne pourra pas avoir une vue d’ensemble du portefeuille du client. « Notre objectif a été de mettre une solution à la disposition de tous les acteurs du marché », dit-il. 

Gestion des doublons 

Product owner chez Laylah et ancien conseiller, Alain Racine présente l’application dans une vidéo. Son rôle consiste à agir comme traducteur entre l’utilisateur et le développeur « Parce que les données sont dispersées à divers endroits et que cela vous fait perdre un temps fou, nous avons développé deux fonctions importantes : la synchronisation des assurances et des placements et la gestion automatisée des doublons », lance M. Racine en guise d’introduction. 

Il soutient que Laylah synchronise les informations de la majorité des assureurs et des principaux courtiers en placements. Selon lui, Laylah regroupe automatiquement les doublons avec un taux d’efficacité de 97 %. Il ne fusionne pas les données, évitant ainsi qu’elles soient supprimées. L’utilisateur peut au besoin défaire les regroupements, lorsqu’il constate qu’il s’agit de deux personnes différentes portant le même nom. 

Un mois gratuit 

Laylah offre un abonnement gratuit d’un mois à l’application. « En plus de tester les différentes fonctionnalités que Laylah offre, incluant les analyses financières et la planification retraite, le conseiller peut donc synchroniser sa clientèle en provenance de multisources et constater le résultat sans qu'il ait à débourser un seul dollar », souligne Jean-François St-Pierre. 

Le prix d’entrée à la plateforme varie entre 80 $ et 120 $ par mois. « Ce n’est pas plus cher que les autres outils de gestion de clientèle dans le marché », soutient M. St-Pierre.

L’enjeu des données sur l’en vigueur 

Le co-fondateur de Laylah ajoute avoir tout mis en œuvre pour que les conseillers ne dépendent plus d’une seule organisation dans la gestion de leurs données clients. « Chaque conseiller, chaque particulier, chaque propriétaire d’un entrepôt (hub) de données aura son propre Laylah, un peu comme une île », illustre M. St-Pierre. Il estime cette qualité cruciale dans le cas des données sur les affaires en vigueur, maillon faible de la chaîne de partage entre la compagnie d’assurance, l’agent général et le conseiller.

« La gestion des données sur l’en vigueur ne fonctionne pas du tout dans l’industrie », clame M. St-Pierre. Organisme sans but lucratif dédié à l’échange de données numériques uniformisées, CLIEDIS (anciennement Canadian Life Insurance EDI Standards) n’est pas encore parvenu à rallier tous les assureurs autour d’une norme commune d’échange de données sur l’en vigueur appelée CITS (Canadian Insurance Transaction Standardization).

Christian Laroche

Récemment associé à Laylah et actionnaire minoritaire, Christian Laroche a renchéri sur le problème de fluidité des données sur les affaires en vigueur en assurance de personnes. Il fonde ses commentaires sur son expérience à la direction d’agents généraux depuis 1999. M. Laroche a quitté la présidence du Québec de Réseau d’Assurance IDC Worldsource (IDC) en décembre 2020. Le Mouvement Desjardins a acquis l’agent général la même année. Christian Laroche exerce également le rôle de consultant au sein de sa compagnie de consultation Saxum.

« Les données circulent bien entre le conseiller, l’agent général et l’assureur au moment de l’émission d’une police. Mais les données ne sont pas mises à jour par la suite », dit M. Laroche. « Même l’agent général ne recommandera pas à ses conseillers sur son système d’arrière-guichet pour maintenir à jour les données de son portefeuille de clients », confie-t-il. Avec le partage des données entre applications Laylah, Christian Laroche croit que le conseiller aura toutes les données au même endroit.

De son côté, M. St-Pierre signale que le conseiller ira principalement chercher ses données chez les fournisseurs (assureurs, courtiers de fonds communs, banque, etc.). « Ce n’est pas Laylah qui ira chercher la donnée », ajoute-t-il. Il insiste aussi sur le fait que les échanges entre les différentes applications Laylah sont sécurisés. 

Portrait incomplet 

CLIEDIS demande aux assureurs participants que les données sur les blocs d’affaires en vigueur incluent non seulement les informations sur les polices en vigueur, mais aussi celles qui ne le sont plus, ainsi que les informations qui concernent les clients orphelins et les transferts d’affaires d’un conseiller à un autre.

Au moment d’écrire ces lignes, le site de CLIEDIS montrait la mention « TBD » (à être déterminé) sous les assureurs Assomption Vie et Sun Life. Sous les noms Desjardins Sécurité financière, EDGE Benefits, Humania Assurance et Plan de Protection du Canada (PPC) figure la mention « pas d’information ». 

Le site mentionne que les projets de BMO Assurance et de Co-operators sont en cours. Les fichiers CITS de Co-operators avaient été approuvés dès 2012, mais pour les polices en vigueur seulement. 

Les assureurs approuvés sont Beneva, Canada Vie, Empire Vie, Équitable, Financière Foresters (dont PPC est une filiale), iA Groupe financier, ivari, Manuvie et RBC Assurances

L’échange de données sur la conformité des conseillers en format CITS est beaucoup plus fluide, grâce au système APEXA, initiative appuyée dès le départ par de grands assureurs et agents généraux. Fournisseur de solutions numériques et de données en assurance vie dont sont membres plusieurs assureurs nord-américains, MIB Group Holdings (MIB) a acquis APEXA en 2022. MIB voulait offrir à ses membres une solution numérique axée sur la conformité des conseillers, et convoitait la connexion qu’APEXA est réputée avoir avec quelque 50 000 conseillers au Canada. Plus de 95 % des grandes compagnies d’assurance vie canadiennes et leurs agents généraux partenaires utilisent aujourd’hui APEXA, disait alors le MIB.