Le 20 novembre dernier, le Tribunal administratif des marchés financiers (TMF) a condamné l’ex-conseiller Roger Tremblay à des pénalités administratives de 200 000 $. Son certificat portant le numéro 133 149 est aussi révoqué de façon permanente.
De plus, le TMF lui interdit d’agir pour une période de cinq ans à titre d’administrateur, dirigeant d’un courtier, d’un conseiller et d’un gestionnaire de fonds d’investissement. En revanche, le tribunal n’accueille que partiellement la demande de l’Autorité des marchés financiers (AMF), laquelle réclamait notamment l’imposition de pénalités totalisant 500 000 $.
Le jugement du TMF a été rendu le 20 novembre dernier par la juge administrative Antonietta Melchiorre. La décision compte 54 pages et 322 paragraphes. Il a fallu 12 jours en mai et juin 2025 pour entendre la preuve et les arguments des parties.
Les permis de l’intimé sont suspendus depuis février 2022. Par la suite, l’Autorité a dû retourner devant le TMF à plusieurs reprises pour demander des prolongations des ordonnances.
Au moment des faits reprochés, l’intimé était inscrit comme planificateur financier et représentant de courtier en épargne collective et exerçait ses fonctions auprès d’un cabinet pancanadien de services financiers. Il était responsable de gérer le patrimoine de son client « AB », né en 1922, et de son épouse, « HDB », née en 1925. Le couple s’était marié en 1968. L’homme est décédé en 2011, la dame en 2023.
Le 19 décembre 2025, le porte-parole de l'Autorité, Sylvain Théberge, a confirmé que les procureurs du régulateur québécois allaient faire appel de cette décision du TMF.
Pas de remise
Les pouvoirs de redressement, incluant l’ordonnance de remise, constituent des mesures importantes, mais le TMF ne les prononce pas automatiquement. Le tribunal rejette la demande de l’Autorité concernant la remise des biens qui auraient acquis par l’intimé à la suite de ces manquements. « Il n’est pas suffisant de tout simplement établir un lien entre le manquement et le montant obtenu. Il est nécessaire d’établir un lien de causalité entre ces deux facteurs », indique la juge Melchiorre au paragraphe 303.
La méthodologie employée par l’Autorité pour établir la valeur de ces biens « n’est pas appropriée » et le TMF ne peut conclure que les montants réclamés constituent des montants réellement obtenus par l’intimé.
Même si le fait de se retrouver dans une situation de conflit d’intérêts est un manquement grave, il n’y a pas de preuve que la dame dont l’intimé était le mandataire a été affectée par sa conduite et a subi un préjudice.
Les mesures administratives importantes imposées par le TMF suffisent. S’il accordait l’ordonnance de remise de l’ampleur décrite par l’Autorité, cela « revêtirait un caractère punitif qui serait contraire à sa raison d’être ». L’intérêt public ne commande pas l’émission d’une ordonnance de remise.
« HDB était une dame sans enfant et sans famille proche », outre une sœur religieuse encore plus âgée qu’elle, rappelle le tribunal. Il n’y avait pas non plus de neveux ou de nièces ni d’amis proches. « L’intimé s’est occupé d’elle assidûment et régulièrement pendant 10 ans, lui permettant d’avoir une certaine qualité de vie », note le TMF.
Cumul des mandats
Les reproches de l’Autorité envers l’intimé sont sérieux, souligne le tribunal. M. Tremblay a agi comme cofiduciaire de la fiducie testamentaire créée par le mari au bénéfice de son épouse, tout en étant proche aidant de celle-ci en vertu d’un contrat de service professionnel, son mandataire en vertu d’une procuration générale et d’un mandat d’inaptitude, en plus d’être son liquidateur éventuel et son seul héritier. En ayant un accès direct aux fonds du couple, puis à la fiducie, il se serait approprié 839 273 $, selon l’Autorité.
L’intimé ne nie pas avoir agi comme cofiduciaire, mandataire et proche aidant, mais il nie avoir agi en situation de conflit d’intérêts. Dès 2007, il avait transféré un premier groupe de clients, incluant les portefeuilles d’AB et de HDB, à un autre représentant du cabinet. Il allègue n’avoir posé aucun geste à titre de planificateur financier ou de représentant de courtier en épargne collective.
Selon M. Tremblay, la cliente était en droit de retenir ses services à titre de proche aidant et de le rémunérer selon les modalités négociées entre eux. Il soutient avoir exercé ses fonctions avec compétence et bienveillance selon les volontés de ses clients.
Le TMF a considéré plusieurs facteurs, notamment l’expérience de l’intimé, l’âge avancé des clients, certaines décisions à première vue discutables prises ou acceptées par M. Tremblay dans le cadre de ses fonctions, la tenue déficiente des registres et le fait qu’il a personnellement profité de certains biens appartenant à ses clients.
En conséquence, une première pénalité de 100 000 $ est imposée à l’intimé pour avoir contrevenu à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF). Une autre somme similaire s’ajoute pour avoir contrevenu à la Loi sur les valeurs mobilières (LVM). Il n’y a pas de définition de la notion de conflit d’intérêts dans ces deux lois. Le Règlement 31-103 qui relève de la LVM contient cependant les règles de divulgation à cet égard. L’Autorité reprend la définition dans ses propres guides.
« Le conflit d’intérêts existe lorsque le professionnel est susceptible de voir son jugement affecté par ses propres intérêts. Il existe également lorsqu’il est susceptible de prodiguer des conseils ou adopter une conduite des affaires, qui favorise ses intérêts plutôt que ceux de son client », indique le tribunal au paragraphe 24.
Définition du conflit
Même si le professionnel n’est pas conscient de l’existence du conflit d’intérêts, il manque à son obligation d’éviter de se retrouver dans une telle situation. Ce contexte peut survenir même en l’absence de préjudice pour le client. S’il existe une véritable relation amicale entre le client et le représentant, « celui-ci demeure assujetti aux obligations déontologiques prévues aux lois qui l’encadrent lorsqu’il agit dans l’exercice de ses activités au sens large ».
Dans une décision disciplinaire rendue par la Chambre de la sécurité financière en 2025, pour laquelle la sanction n’est pas encore connue, la relation de confiance entre le représentant et son client était définie. La LDPSF est une loi conçue pour protéger le public et doit être interprétée de façon large et libérale, insiste le TMF.
En février 2022, l’intimé a répondu aux questions de deux enquêteurs de l’Autorité durant une journée complète. L’entrevue a été enregistrée et la transcription sténographique de 500 pages fait partie de la preuve analysée par le tribunal. La juge Melchiorre est d’avis que l’intimé n’y a pas fait d’aveux sur tous les éléments constitutifs des manquements à la LVM et à la LDPSF.
Cependant, l’analyse de la preuve lui fait conclure que l’intimé « a de toute évidence fait défaut de sauvegarder son indépendance » et qu’il était en situation de conflit d’intérêts en acceptant d’exercer tous ses rôles auprès de HDB et de la fiducie.
Analyse du contexte
L’Autorité plaidait également que l’intimé a exploité financièrement sa cliente « vulnérable » pendant une dizaine d’années, car les trois éléments prévus dans la jurisprudence sont présents : 1° une mise à profit, 2° une position de force, 3° au détriment d’intérêts vulnérables.
Selon le tribunal, il n’est pas approprié d’analyser isolément certaines décisions prises par l’intimé, mais d’analyser son comportement de manière globale, et ce, en fonction de la situation de la cliente et en fonction de ses volontés. HDB a été décrite comme une femme fière et déterminée, autonome, tête forte et active. Elle aimait passer du temps avec Roger Tremblay, avec les sœurs de ce dernier et sa sœur à elle dans le cadre d’activités extérieures. Ses problèmes cognitifs auraient commencé en mars 2020, au début de la pandémie.
AB était hospitalisé depuis un moment avant son décès et il était préoccupé par le fait de laisser sa femme seule après son décès. M. Tremblay a accepté d’exercer les différentes fonctions auprès du couple après le transfert de son portefeuille vers son collègue.
Le contrat de service professionnel prévoyait qu’il s’engageait à fournir trois heures de rencontre par semaine, en contrepartie d’une somme de 15 600 $ par année. Il a été établi que la cliente exigeait bien plus que les trois heures par semaine. Assez rapidement, le montant a été ajusté à 40 000 $ par année.
De 2011 à 2021, l’intimé apporte à HDB « un soutien constant et continu » et il n’agit pas dans le sens contraire des intérêts et des besoins de la cliente. Il n’existe aucune preuve que le montant des honoraires était exorbitant ou abusif, ajoute le tribunal, ni que HDB a subi un préjudice.
Quant aux sorties payées aux frais de la fiducie ou de HDB, notamment deux voyages de pêche dans les Laurentides en 2023 et 2014, il n’y a pas de preuve que la cliente a été forcée d’effectuer ces voyages. Le fiduciaire a droit de se faire rembourser ses dépenses dans l’exercice de ces fonctions et celles-ci ne semblaient pas abusives ou exorbitantes. Au contraire, la preuve établit que HDB était reconnaissante des services rendus et des soins prodigués par son proche aidant.
Les véhicules de loisirs
L’Autorité soulève l’achat d’un véhicule récréatif (VR) et d’un bateau en son nom personnel. Au lieu d’acheter un chalet, le VR a été acheté d’occasion pour 35 000 $ en 2013, mais HDB n’a pas aimé l’expérience. L’intimé a tenté de le vendre par la suite, sans succès.
Concernant le bateau, il a été acquis en novembre 2014 pour un montant de 72 000 $. Il était immatriculé et assuré au nom de Roger Tremblay, mais ce dernier allègue avec raison qu’il n’aurait pu le stationner à la marina du Yacht-Club de Québec en raison de l’âge de HDB au moment de l’achat. Trois témoins ont confirmé que la cliente était fière de son bateau et insistait sur son entretien.
Toutes les dépenses reliées au bateau étaient payées à même la fiducie ou par HDB. Il a par la suite été vendu et les fonds ont été déposés dans le compte bancaire de la fiducie qui est sous l’ordonnance de blocage depuis février 2022. Le tribunal ne peut conclure que l’achat du bateau constituerait un acte d’exploitation financière de HDB. L’achat a été fait dans son intérêt et à son bénéfice. En outre, le produit de la vente a été retourné à la fiducie.
Ensuite, sur la question de l’appropriation de sommes appartenant à la cliente ou à la fiducie, le tribunal rappelle que l’Autorité doit prouver que l’intimé est en possession ou a utilisé à des fins personnelles des sommes appartenant à la cliente ou à la fiducie, et la comptabilité de ces sommes doit être raisonnable. Les sommes estimées par l’Autorité sont essentiellement pareilles à celles inscrites dans la demande de remise.
Le TMF ne peut conclure que les montants réclamés par l’Autorité constituent des montants réellement obtenus par M. Tremblay. Par contre, l’intimé n’a pas effectué une reddition de compte complète de son administration du patrimoine de la cliente et de la fiducie. « D’ailleurs, le tribunal en tiendra compte dans l’imposition des mesures administratives. »
L’intimé a d’ailleurs indiqué dans son témoignage qu’il payait lui-même un grand nombre de dépenses de HDB, incluant les sorties au restaurant qu’il payait avec sa carte personnelle, et que la cliente remboursait par la suite. Durant l’instruction au fond, l’Autorité accepte l’admission de M. Tremblay selon laquelle il a reçu 40 000 $ par an pendant 10 ans pour agir comme proche aidant de HDB.
La preuve soumise par l’Autorité n’a pas la valeur probante requise pour inciter le tribunal à conclure qu’il y a eu appropriation. La presque totalité des manquements reprochés à l’intimé s’est produite avant mars 2020. Plusieurs professionnels du domaine juridique ou de la santé ont pu observer les capacités et les aptitudes de HDB dès 2011, notamment lors de l’achat d’un condominium en 2017.
« Il n’existe aucune preuve que HDB était dans un état d’incapacité de prendre des décisions ou de comprendre et consentir à des décisions prises par Roger Tremblay », lit-on au paragraphe 239. Le tribunal conclut que HDB a consenti et autorisé le paiement des honoraires, le remboursement des frais de voyage et l’achat, l’entretien et les réparations du bateau.
La gravité objective
Le tribunal considère que le conflit d’intérêts de l’intimé est un manquement grave, que sa conduite était « totalement inappropriée » et que celle-ci n’aurait pas dû perdurer si longtemps. En cumulant tous ses rôles, l’intimé pouvait difficilement distinguer ses intérêts de ceux de la fiducie ou de HDB.
« Son comportement dénigre et discrédite la réputation de l’industrie du secteur financier et brime le lien de confiance entre les professionnels de l’industrie et le public, un lien qu’il faut à tout prix sauvegarder », indique le tribunal.
Le tribunal tient compte du fait qu’il a utilisé le bateau à ses fins personnelles durant plusieurs années. L’achat du VR et du bateau en son nom personnel et sans avoir préparé un document établissant le titre de propriété est « discutable ».
Ces bénéfices ont été considérés par le tribunal dans l’imposition des pénalités administratives. L’intimé a reconnu que la façon dont il tenait les registres était inappropriée et que sa gestion était déficiente.