Au Québec, la médication anticancer représente 25,4 % des ventes de médicaments. Si le pourcentage parait déjà imposant, il est d’autant plus inquiétant qu’il est en croissance. Les couts des agents antinéoplasiques, utilisés pour soigner le cancer, s’élèvent aujourd’hui à 3,3 milliards de dollars (G$). Le constat est clair : les assureurs et les assurés doivent assumer des couts inégalés… tout comme l’État.Réunis à la mi-mai par la Coalition Priorité Cancer, à l’occasion du symposium Assurances et cancer : sommes-nous à la croisée des chemins?, les acteurs des milieux de l’assurance et de la santé se sont réunis pour tenter de faire le point sur la maladie et ses conséquences financières sur la vie des malades.

Selon une étude menée conjointement par l’Agence de santé publique du Canada, Statistique Canada et la Société canadienne du cancer, deux Canadiens sur cinq recevront un diagnostic de cancer, et si un quart d’entre eux finiront par en décéder, il n’en reste pas moins que le taux de survie est plus élevé que jamais. En effet, environ 63 % des gens survivent aujourd’hui au cancer. Une bonne nouvelle, certes, mais qui pose de nouvelles problématiques en termes d’assurance.

Qualité de vie en danger


« On fait face à une autre réalité : la perte d’autonomie », dit Johanne Murphy, présidente de SecuriGroupe. Les gens atteints du cancer sont plus nombreux à survivre, mais le fait de rester en vie n’en garantit pas nécessairement la qualité. Le cancer mine la santé et peut mener à une longue période d’incapacité, ce à quoi les assurés ne sont malheureusement pas assez préparés, ont constaté les intervenants présents.

 

« Au Québec, seulement une personne sur dix a une couverture d’invalidité de longue durée », s’indigne l’économiste et directeur général de l’Observatoire des services professionnels, Pierre Boucher. Un manque de conscience qui peut avoir de lourdes conséquences pour un malade, a appris à ses dépens Robert Normand.

Une réalité qui frappe de plein fouet


Pour M. Normand, la réalité a frappé de plein fouet quand il a appris que sa femme était atteinte du cancer. Mécanicien et travailleur autonome, ses protections d’assurance ne sont pas en mesure de couvrir adéquatement les traitements que sa femme reçoit, elle qui se bat contre le cancer depuis plus de dix ans. Endetté, M. Normand aurait aimé pouvoir bénéficier d’une assurance invalidité de longue durée ou, encore mieux, d’une assurance maladies graves. « Certains disent que l’assurance maladies graves, c’est assurer le salon, pas la maison. Moi, je dis que c’est assurer la maison, pas le salon », illustre le mécanicien.

 

Bien que l’assurance maladies graves ou une autre assurance invalidité de longue durée semblent être la solution pour pallier les ravages du cancer sur les finances, la solution n’est pas si simple. Les médicaments antinéoplasiques sont couteux, et même les assureurs privés ne sont pas toujours en mesure de répondre aux besoins des malades avec justesse.

« Dans la tête des médecins, quand vous êtes assurés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), vous faites pitié, mais quand vous êtes assurés par un régime privé, vous êtes gras dur », dit Johanne Brosseau, conseillère principale chez Mercer-Marsh Avantages sociaux.

Pour Mme Brosseau, les médecins prescriraient sans doute une médication moins couteuse s’ils ne prenaient pas des raccourcis aussi rapides. La solution, selon elle, pourrait être d’ajouter certains médicaments, comme quelques-uns qui sont utilisés pour traiter le cancer, à la liste des médicaments automatiquement couverts par la RAMQ.

D’après les derniers chiffres de l’organisation, plus de 7 000 médicaments seraient couverts, mais ceux qui sont les plus couteux et les plus efficaces pour traiter le cancer peinent à se tailler une place sur la liste. Leur cout élevé serait à l’origine de leur exclusion.

Un cancer coute 33 000 $


Selon les chiffres de la Coalition Priorité Cancer, les couts moyens par patient atteint du cancer s’élèvent à 32 927 $, un montant que ni les assurés ni les assureurs, et encore moins l’État n’ont les moyens d’assumer. Le transfert de plus en plus important des dépenses en santé du public vers le privé en est une conséquence. Alors que le système privé assumait 21,2 % des couts en santé en 1975, il se retrouve aujourd’hui responsable de 29,7 % des couts, selon l’analyse de l’économiste Pierre Boucher.

 

Pour le vice-président, accès aux marchés et affaires publiques, de Brystol-Myers Squibb, Alain Boisvert, la solution la plus efficace pour partager les couts astronomiques de la maladie est une entente entre les fabricants de médicaments et le gouvernement du Québec. « Ce sont des ententes où l’on convient qu’en vertu d’une entente contractuelle entre le fabricant et l’assureur public ou privé, on consent des réductions de prix, des rabais et d’autres types d’instruments financiers qui vont permettre de contrôler davantage les couts », explique M. Boisvert. Pour lui, ces ententes de partage de risque ne doivent pas seulement se résumer à des mesures économiques. « On peut faire en sorte que ces ententes-là deviennent pour les assureurs une façon d’économiser, mais aussi de s’assurer que les médicaments seront utilisés de la façon la plus judicieuse possible », estime-t-il.

Pierre Marion, directeur principal des ventes chez Croix Bleue Medavie, croit que la solution réside dans l’encadrement des demandes de réclamation. « On va commencer à gérer ce type de réclamation en médicaments dispendieux de la même façon qu’on gérait les cas d’invalidité : avec un encadrement, un soutien, un accompagnement », dit-il.

Si, tout au long de la journée, les intervenants se sont entendus pour dire que la couverture d’assurance en cas de cancer pouvait s’avérer être tout un casse-tête, M. Marion a tenu à souligner la bonne foi des assureurs. « Il n’y a personne qui se lève le matin et qui se dit : “Moi, je vais tout faire aujourd’hui pour que les gens qui sont malades ne puissent pas avoir accès aux médicaments dont ils ont besoin”, croit l’assureur. Tout le monde part avec l’idée de rendre accessible à tout le monde les médicaments dont ils ont besoin. »