La nécessité de se maintenir dans un marché très concurrentiel est certainement un excellent moteur d’innovation. L’innovation est également un facteur de mobilisation des employés, ce qui est fort utile en cette ère où les gens peuvent aller travailler ailleurs si leur travail n’est pas valorisé.
Dans le cadre d’InsurTech Québec, au début avril, une session intitulée « Comment créer et entretenir une culture d’innovation ? » mettait en vedette les représentants d’un assureur et d’un géant numérique. La discussion était animée par Carol Roy, chef des opérations chez GFT Canada.
La concurrence et l’apparition de nouveaux acteurs dans le marché sont certainement des facteurs à considérer, souligne Steve Labranche, directeur du Centre d’excellence en innovation de Beneva.
Du côté de l’assurance automobile, certains fabricants ont commencé à profiter des nouvelles technologies numériques pour offrir eux-mêmes des produits d’assurance. « Ils sont en mesure de capter en temps réel toutes les données tirées des véhicules, c’est vraiment une position privilégiée », note M. Labranche.
Les constructeurs peuvent ajuster la tarification, voire remettre en cause certains paramètres classiques de l’assurance, notamment le dossier de conduite du propriétaire et de son historique de réclamations. « Cela risque d’être transformateur », dit-il.
La concurrence vient aussi des géants numériques qui perturbent les attentes des clients et qui les rendent plus impatients devant la lourdeur du processus d’assurance.
Dans ce contexte, l’intégration des deux mutuelles La Capitale et SSQ Assurance au sein d’un même groupe dans un délai serré est un objectif ambitieux. « On n’a pas le choix d’innover si l’on veut y arriver », souligne M. Labranche.
De son côté, Brian Cann, directeur régional, est du Canada de Microsoft, confirme que la concurrence et les attentes des clients sont de puissants facteurs poussant à l’innovation et à la recherche de nouvelles solutions d’affaires.
Pour attirer les talents, l’entreprise doit être en mesure de leur dire à l’avance sur quels projets ils seront appelés à contribuer. « Quand je passe des entrevues avec de jeunes diplômés, ils nous le disent : la marque est importante, ils sont fiers de travailler pour une grande entreprise, mais ils veulent savoir concrètement ce qu’ils vont faire », explique M. Cann.
Le travail à distance
La pandémie a permis d’accélérer la popularité de la plateforme de partage Teams, déjà implantée dans le marché depuis quatre ans. L’outil avait été développé avec la collaboration de clients internationaux. « C’était déjà assez robuste quand la plateforme a été mise en marché. Alors, nous avons été en mesure de la déployer lorsque tout le monde a été retenu à la maison par la pandémie », indique Brian Cann.
Microsoft a pu créer des solutions pour inclure les personnes non voyantes ou malentendantes dans le contexte du travail collaboratif afin de favoriser la participation de toute la main-d’œuvre dans un projet d’entreprise.
« L’innovation, ça commence par le haut. Auparavant, on valorisait beaucoup la compétence des individus, et ça créait une sorte de syndrome du héros, où certains individus prenaient beaucoup de place », dit-il. L’échange d’idées et la remise en question étaient plus difficiles.
Avec l’arrivée du nouveau PDG, Satya Nadella, en 2014, l’entreprise a développé une culture de l’apprentissage, où tous les employés sont encouragés à participer aux projets. Ce changement de culture a même modifié toute l’évaluation du personnel.
Par exemple, les gestionnaires doivent, sur une base trimestrielle, montrer des situations où ils ont contribué à stimuler l’innovation dans leur équipe.
À gauche, Brian Cann, de Microsoft. À droite, Steve Labranche, de Beneva.
Photo : Alain Castonguay
Union des forces
Dans les deux entreprises qui ont joint leurs forces au sein de Beneva, il y avait déjà des acteurs responsables de stimuler l’innovation dans leur organisation. Les forces ont été regroupées et l’innovation ne relève plus d’un petit groupe.
Au centre d’excellence que dirige Steve Labranche, on met en place une pratique d’innovation qui est modelée aux besoins de l’entreprise et à l’expertise des équipes. On se préoccupe donc d’améliorer l’efficience tout en prenant soin de réfléchir à l’innovation plus stratégique.
L’approche de la conception créative (ou « design thinking ») permet de gérer l’innovation en se basant sur les forces des membres de l’équipe. Cela facilite le développement de solutions innovantes, estime M. Labranche.
Le volet expérimental n’est pas pour autant négligé. L’assureur doit faire la vigie du marché et suivre l’innovation développée tant chez la concurrence qu’au sein des jeunes pousses.
Généralement, ce volet est mené en amont des projets. « Ça nous permet de valider des hypothèses ou d’évaluer le risque. Si on embarque en mode projet, on sait déjà quels sont les paramètres à respecter, donc c’est plus facilitant. Encore une fois, il y a un équilibre délicat à maintenir entre l’expérimentation et les projets, mais ça demeure un travail d’équipe et de collaboration », ajoute-t-il.
Il existe de nombreux concepts en gestion des ressources qui tournent autour de l’agilité, de la cocréation et de la maximisation de l’intelligence collective, poursuit M. Labranche. Ils visent tous à donner plus de latitude afin que chacun puisse amener sa contribution aux travaux en cours.
« En innovation, ce n’est pas parce que le projet échoue qu’il prend fin, il y a toujours quelque chose à en retirer. Il nous faut créer ce contexte et le rendre le plus favorable possible pour tout le monde. On n’a pas de terminologie exclusive pour le définir, mais il faut sentir cela dans l’atmosphère de l’organisation », dit-il.
C’est le même esprit qui doit guider l’entreprise dans ses relations avec les partenaires que sont les fintechs, les laboratoires universitaires et les centres de recherche comme il y en a chez Microsoft ou GFT, qui a su créer un écosystème de collaboration entre les assureurs. « Nous avons aussi investi avec d’autres partenaires dans du capital de risque, par l’entremise de fonds d’investissement. Ça nous permet de nous rapprocher de ces écosystèmes d’innovation et de nous tenir à jour. Ça nous aide à grossir la boîte à outils et ça nous donne parfois un accès privilégié », précise M. Labranche.
Cinq jours
Brian Cann raconte que chaque mois de juillet, chez Microsoft, on mène un « hack-a-thon » à l’échelle mondiale auquel tous les employés peuvent participer, de même que tous les clients et partenaires. On s’enregistre dans un site web, on précise ses compétences et ses champs d’intérêt, et on forme ensuite des équipes pour aboutir à des solutions aux problèmes, dans tous les secteurs imaginables, incluant la gestion des ressources humaines. La compétition dure cinq jours, et les gestionnaires sont tenus de libérer les employés qui veulent y participer.
M. Cann cite en exemple le Cirque du Soleil, qu’il a incité à participer à cette session d’innovation. Ils ont aimé le projet de tatouage électronique, qui peut les aider pour maquiller les artistes. « C’est un accident, et c’est souvent comme ça, en se joignant aux autres et en découvrant d’autres perspectives, qu’on trouve des idées pour ses propres projets », dit-il.
Le rendement
Les fonds pour la R&D ne sont pas illimités et le droit à l’erreur n’est pas infini non plus, lance Carol Roy, ce que reconnaît Steve Labranche. Il note que la mesure des bénéfices de l’innovation ne se fait pas toujours par le retour sur l’investissement (ROI). « Le ROI n’est pas toujours là, et quand il y en a un, il faut parfois se montrer patient. Quand Airbnb a commencé, l’entreprise générait 200 $ de revenus par semaine. On voit où ils sont rendus, mais cela a quand même pris un certain temps », dit-il.
Au-delà de la valeur financière, il faut analyser la valeur intrinsèque de la proposition soumise. « Est-ce que cela me permet de me distinguer, de me démarquer ? Qu’est-ce que cela apporte à l’expérience client ? », dit-il.
Même si une idée est mise de côté en raison des impératifs commerciaux, il faut tout de même rester à l’affût et se demander à quel moment le contexte sera opportun pour la récupérer. « En expérimentation, on se lance parfois dans quelque chose sans vraiment savoir ce que l’on cherche. Même si nous avons des axes bien définis, ça peut bifurquer », dit-il.
Selon lui, si on décide d’explorer en se mettant des barrières en termes d’échéance et de fonds investis, ça peut tuer la créativité. « On ne doit pas se focaliser seulement sur les coûts, mais il y a un juste équilibre à trouver, en se faisant confiance. Si on veut innover, il faut avoir la sagesse de savoir quand s’arrêter. Il arrive qu’un chantier d’exploration ne produise pas le résultat attendu, que le projet ne soit pas mature, mais il pourrait l’être un jour. Il faut trouver cet équilibre et ne pas transformer le volet R&D en puits sans fond », indique Steve Labranche.
Brian Cann précise que de manière régulière, les équipes de Microsoft soumettent des projets aux collègues qui votent pour choisir la meilleure proposition. La formation gagnante est alors invitée à venir présenter son idée au siège social de Redmond, en banlieue de Seattle, et on la fait travailler avec d’autres collègues. Cette activité, tout comme celle tenue en juillet, contribue à créer un esprit de camaraderie.
Défi de la main-d’œuvre
La capacité d’adaptation des clients aux nouveautés offertes dans le marché a tout de même des limites, ajoute M. Cann. Le rythme du changement s’accélère et ce ne sont pas toutes les organisations qui arrivent à suivre, surtout dans le contexte de rareté de la main-d’œuvre. « Tout le monde est confronté à cela », dit-il.
Chez Beneva, on lancera sous peu une vitrine qui permettra à l’organisation de présenter les chantiers en cours et de solliciter la participation de ses employés pour alimenter la réflexion. « Les réunions au bureau, ça facilitait cela. En télétravail, il faut continuer de le faire », note Steve Labranche.
La meilleure façon de rentabiliser les efforts en recherche est d’inclure les innovateurs dans toutes les étapes de la chaîne de valeur de l’entreprise, selon M. Labranche. Les centres d’excellence coordonnent ces efforts avec la collaboration des différents secteurs d’affaire de l’assureur. « Ça ne peut pas être juste les gens des TI qui mènent l’innovation », précise-t-il.
« Il ne faut pas oublier de célébrer chacun des progrès, car ça affecte un peu l’esprit d’équipe si on attend à la livraison du projet pour souligner son succès. En innovation, la livraison du projet prend du temps et ça peut être une autre équipe qui en est responsable. Il n’y a pas d’échec. Soit on apprend, soit on avance et on capte les occasions au moment opportun. Il faut souligner les progrès, un à la fois, si on veut avancer », conclut M. Labranche.
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