En matière de stratégies de ressources humaines, le gestionnaire peut adopter l’approche offensive, soit attirer du personnel vers son entreprise, ou défensive, à savoir retenir le personnel en place. Un bon équilibre entre les deux est requis, selon Étienne Claessens.
Le président de Soluflex était le conférencier à l’ouverture du récent congrès du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ). Son allocution était intitulée : « Pénurie de main-d’œuvre : agir maintenant pour éviter le pire ».
M. Claessens a fondé son entreprise en 2008 et il a créé le tout premier réseau de franchises en consultation sur la gestion des ressources humaines. Le réseau compte six bureaux au Québec. Soluflex a collaboré avec plus de 1 500 entreprises depuis ce temps.
Pour la stratégie offensive, établir la marque de l’employeur commence par le processus de sélection et les candidats qui viennent en entrevue doivent dire du bien de l’entreprise après leur entrevue, même si leur candidature n’a pas été retenue. La même expérience de qualité doit être offerte lors de l’étape cruciale de l’accueil et de l’intégration, insiste-t-il.
Si l’on veut jouer de manière plus défensive, il faut parler de rémunération globale, de la possibilité d’avancement dans l’entreprise et de la valorisation des bons coups. « Si l’entreprise est moins bonne en défensive, cela affecte son taux de roulement des effectifs », dit-il.
À l’inverse, l’entreprise qui excelle en défensive, mais est faible à l’offensive, risque d’attirer « le mauvais monde et de les garder trop longtemps, ce qui est encore pire », dit-il.
Selon Étienne Claessens, l’employeur doit être bon dans les deux volets si l’on veut que le département des ressources humaines fonctionne rondement. Cela permet de libérer la direction de l’entreprise des tâches quotidiennes pour qu’elle puisse se consacrer au développement des affaires.
« Pour avoir plus de temps, il faut mieux déléguer les responsabilités, ce qui demande d’avoir confiance envers ses employés. Pour cela, ça prend les bonnes personnes au bon endroit. La roue avance. C’est la mission même de mon entreprise », ajoute-t-il.
Le ratio
Le nombre de postes vacants au Québec a frôlé les 300 000 au premier trimestre de 2022, soit 6,2 % des besoins de main-d’œuvre des entreprises. Au deuxième trimestre, ce pourcentage a grimpé à 6,5 %.
Le ratio entre le nombre de chômeurs et le nombre de postes vacants est tombé sous la barre du 1, ce qui veut dire qu’il y a moins de chômeurs que d’emplois à pourvoir. Au Canada, c’est en Colombie-Britannique et au Québec que le nombre de postes vacants est le plus élevé.
L’industrie de l’assurance et des services financiers n’est pas le secteur le plus touché. Néanmoins, le taux de postes vacants dans ce secteur est passé de 3,3 % en 2020 à 4,9 % en 2022.
À l’époque où Étienne Claessens travaillait chez ING (maintenant Intact), on se préoccupait déjà de la pénurie de personnel en assurance et l’industrie a pris les choses en main.
Selon la Coalition pour une relève en assurance de dommages, en 2020, déjà 19 % de la main-d’œuvre était âgée de 55 ans et plus. Les tendances au vieillissement démographique étaient observables tant chez les experts en sinistre que chez les agents et les courtiers en assurance de dommages.
Le phénomène du vieillissement démographique et de la rareté de la main-d’œuvre devrait durer encore de 15 à 20 ans, selon lui. Les données de Statistique Canada sur la population active ne se démentent pas. Il continuera à sortir plus de gens du marché du travail qu’il y aura de nouveaux entrants jusqu’en 2030. Ce n’est qu’à partir de 2031 que cet écart cessera.
La perte de qualité du service à la clientèle est la préoccupation la plus importante pour les courtiers présents ce matin-là, selon le sondage maison mené par le conférencier. La flambée des salaires et le ralentissement de la croissance organique sont aussi d’autres sujets de préoccupation.
Étienne Claessens recommande aux entrepreneurs d’évaluer la proportion de leur budget qu’ils consacrent à l’amélioration de leurs pratiques de gestion des ressources humaines. « Si vous ne le savez pas encore, et que vous savez déjà que c’est l’un des problèmes importants et que ça durera encore de 15 à 20 ans, c’est le temps d’évaluer ce que cela représente pour vous », précise-t-il.
La pyramide
Sur le marché du travail, les « enfants-rois » débarquent dans les entreprises à peu près en même temps que les boumeurs les plus jeunes (nés entre 1957 et 1964) partent à la retraite. « On se disait : ils vont frapper un mur en arrivant sur le marché du travail. Et non, la place se libère », dit-il.
En plus, la pandémie de COVID-19 a accéléré le départ à la retraite parmi les plus de 60 ans. Ces derniers pouvaient encore donner quelques bonnes années à leur employeur. La pandémie a aussi provoqué d’autres phénomènes, dont les absences pour maladie et la réduction de la semaine de travail, ce qui diminue la performance et la productivité.
Les solutions sont de trois ordres : 1° l’immigration, la diversité et l’inclusion de nouvelles catégories de personnes, 2° l’amélioration des processus d’affaires par la numérisation et 3° les stratégies de ressources humaines. « C’est mon sujet : devenez un top employeur ! », dit-il.
L’employeur doit mesurer le degré d’engagement de son personnel envers l’entreprise. Il doit améliorer ses méthodes de recrutement, particulièrement à l’étape de l’accueil. Selon M. Claessens, les nouveaux employés sont très nombreux à baser leur décision de partir ou de rester dans l’entreprise en fonction de ce qu’ils ont ressenti à leur première journée de travail.
Le guide de l’employé doit être présenté rapidement et inclure les valeurs de l’entreprise. Les politiques et règlements doivent être accessibles sur le téléphone sans fil de l’employé. La rémunération globale, l’appréciation de la performance, la formation qui vise à développer le potentiel des meilleurs employés, la planification stratégique menée avec toute l’équipe et la transparence de la direction sont autant de facteurs qui déterminent le taux de rétention des employés.
Inflation salariale
La flambée des salaires est observée depuis un moment, mais elle s’est accentuée en 2022. En 2023, le Conseil du patronat du Québec prévoit une hausse moyenne de 4,1 % de la masse salariale des entreprises. Selon M. Claessens, ce pourcentage pourrait être plus élevé chez les PME.
La hausse des taux d’intérêt en vigueur depuis le deuxième semestre de 2022 met énormément de pression sur la dette hypothécaire des ménages. Les employés qui sont propriétaires depuis peu seront particulièrement sensibles aux offres salariales qui leur permettront d’améliorer leur situation à cet égard.
Les entreprises doivent ajuster la rémunération en fonction de l’expérience ou ancienneté et de la performance. « L’entreprise nous embauche, mais l’on s’en va en raison de notre supérieur immédiat », note-t-il.
Parmi les moyens qui permettent d’augmenter l’engagement et d’améliorer la rétention, Étienne Claessens insiste sur la valeur de la marque de l’entreprise. Le recrutement est désormais axé sur le marketing, car les meilleurs ambassadeurs de l’entreprise sont ses employés. Il faut donc encourager cette forme de référencement.
Les employeurs sont scrutés par les candidats et il faut leur faire vivre une expérience durant le processus de sélection. Le sentiment des personnes non retenues à l’égard de l’entreprise est un élément à ne pas négliger. Les entreprises performantes attirent les employés performants, ce qui en attire d’autres.
Par ailleurs, « on tolère de plus en plus l’incivilité, alors qu’on ne le faisait pas avant », ajoute M. Claessens, ce qui pousse le taux de roulement à la hausse. Il y a des conséquences pour l’entreprise si on laisse le climat de travail se détériorer.
L’employeur doit favoriser la collaboration, l’attitude positive, le respect, et rappeler les règles de base en matière de comportement. Le gestionnaire doit donner l’exemple et dire bonjour — et merci — aux collègues qu’il croise au bureau. « Rappeler quelqu’un et répondre aux courriels, on dirait que c’est une habitude perdue », dit-il.
Travailler de la maison
Par l’entremise du RCCAQ, Soluflex offre un questionnaire qui permet à l’entreprise de poser son propre diagnostic sur la gestion des ressources humaines. D’autres cours sont offerts, dont l’un qui porte sur la gestion de la performance en situation de télétravail.
Si, un an après le début de la pandémie, on n’observait pas vraiment l’impact du télétravail sur la performance des salariés, la fatigue psychologique est observable par la hausse des invalidités en santé mentale.
« Il faut rappeler à l’employé qu’il doit s’imposer une discipline », suggère Étienne Claessens. Il suggère de rappeler aux employés l’importance de s’habiller correctement avant de s’installer devant son écran, de sortir prendre l’air à l’heure du lunch, de fermer l’ordinateur et de suspendre les notifications reliées au travail en soirée, afin de créer un mur entre le boulot et la maison.