Plus de trois ans et demi après l’adoption du projet de loi 3 par l’Assemblée nationale, les courtiers d’assurance de dommages n’ont plus besoin de demander la permission à un assureur pour avoir un accès direct au Fichier central des sinistres automobiles (FCSA). Depuis le 10 juin 2025, le système permet cet accès direct aux courtiers.
Le Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ) en a fait l’annonce dans un blogue pour ses membres le 12 juin dernier. Tout cabinet inscrit auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) peut en faire la demande.
Les cabinets doivent franchir diverses étapes, notamment en faisant la démonstration de la robustesse de la sécurité informatique. Le Groupement des assureurs automobiles (GAA) fournit tous les guides et l’accompagnement requis pour aider les courtiers à utiliser le FCSA.
Dans toutes les autres provinces canadiennes, les courtiers avaient un accès direct à l’ensemble des données sur les sinistres automobiles, en temps réel à l’étape de la soumission. Au Québec, la procédure était plus longue et compliquée, ce qui faisait en sorte de désavantager les courtiers par rapport aux agents qui offrent le produit d’assurance automobile auprès d’un seul assureur.
À son arrivée à la présidence du conseil du RCCAQ en novembre 2022, Maryse Rivard en avait fait l’un de ses principaux chantiers. En janvier 2023, en entrevue avec le Portail de l’assurance, elle rappelait que ce dossier faisait partie des sept chantiers prioritaires de son mandat à la présidence.
Ce mandat a été renouvelé en novembre 2023. En juin 2024, Mme Rivard affirmait que l’on pouvait voir la lumière au bout du tunnel dans le dossier de l’accès direct des courtiers au FCSA. Le courtier Claude Pinsonneault avait alors contacté le Portail de l’assurance pour rappeler certains faits historiques.
En informant les membres du RCCAQ de la résolution du dossier, Lucie Fréchette, actuelle présidente du conseil, a d’ailleurs rendu hommage à Mme Rivard.
Depuis 25 ans
La gestion du FCSA, dont l’AMF est propriétaire, est dévolue au GAA depuis la fin des années 1990. Depuis le début de 2023, les deux organismes ont collaboré avec le RCCAQ pour implanter une nouvelle solution d’accès direct pour les courtiers.
Une nouvelle infrastructure technologique a été développée par le GAA. De son côté, l’AMF a établi des règles de conformité en matière de sécurité de l’information et de protection des renseignements personnels. Un guide de certification encadrant les règles d’accès au FCSA a été préparé, souligne le RCCAQ.
« Au quotidien, les courtiers d’assurance de dommages qui demanderont et obtiendront l’accès n’auront plus à faire appel aux assureurs pour consulter le dossier d’un client au FCSA », indique le RCCAQ. Le processus fastidieux qui leur était imposé empêchait les courtiers de rendre un service diligent aux consommateurs, fait-il valoir.
Le courtier devait passer par un assureur pour obtenir l’information sur le consommateur inscrit dans le FCSA. S’il plaçait le risque auprès d’un autre assureur, le courtier devait faire une nouvelle demande, ce qui retardait le processus de soumission. Cela posait un sérieux désavantage par rapport aux agents, qui avaient un accès direct au FCSA.
3 ans et demi
La plateforme du GAA n’était pas conçue pour nous recevoir.
- Maryse Rivard
Il aura fallu trois ans et demi pour que les choses se mettent en place, depuis l’adoption du projet de loi 3 en décembre 2021. Pourquoi a-t-il fallu autant de temps ? « Je n’ai aucune réponse intelligente à vous donner là-dessus », indique Maryse Rivard lors d’un entretien avec le Portail de l’assurance.
Elle confirme qu’à partir de février 2024, comme le changement législatif n’était toujours pas mis en vigueur, elle a mis plus de pression sur l’AMF et le GAA, « de manière polie, mais insistante ». Jusque-là, chaque fois que le RCCAQ soulevait une question, les parties prenantes se renvoyaient la balle.
Mme Rivard souligne les efforts de Julien Reid, directeur principal, encadrement des institutions financières à l’AMF. À partir de mars 2024, ce dernier a contribué à faire avancer les choses. « On a fait des réunions sur Microsoft Teams aux deux semaines, pendant un an. Je ne l’ai jamais rencontré en personne. » Leurs rencontres ont continué après la fin de son mandat à la présidence, car le RCCAQ lui a confié le soin de mener le projet à terme.
En juin 2024, le RCCAQ venait d’obtenir la confirmation que le GAA acceptait les demandes du réseau de courtage. Maryse Rivard espérait alors que les cabinets allaient pouvoir se connecter directement dès le mois de septembre 2024. Des problèmes d’ordre informatique ont retardé l’implantation. « La plateforme du GAA n’était pas conçue pour nous recevoir », explique-t-elle.
Trois cabinets ont participé au projet pilote. En cours de route, les préoccupations supplémentaires associées aux nouvelles dispositions découlant de la Loi sur la protection des renseignements personnels (Loi 25) ont aussi rendu les choses plus complexes.
Maryse Rivard souligne que son travail de courtier au sein de son cabinet de courtage, associé au groupe Synex, lui permet d’observer les façons de faire des courtiers ailleurs au Canada. Un de ses collègues anglophones lui a même fait la démonstration en récupérant son propre historique de réclamations, en quelques minutes, ce qui l’a estomaquée.
« Nous sommes vraiment une société distincte. On ne fait rien comme les autres. Au Québec, tout est plus long. C’est le parcours du combattant », ajoute-t-elle.
La non-conformité
Le courtier Louis Cyr se réjouit du changement d’attitude de l’AMF, du ministère des Finances et du GAA concernant l’accès direct des courtiers au FCSA. Il attend ce moment depuis juin 2020.
À la suite d’une inspection menée par le GAA, son cabinet avait alors reçu un avis de non-conformité. On lui reprochait sa manière d’utiliser le Fichier central des sinistres automobiles en faisant un transport d’information. Dans plusieurs dossiers, la consultation faite par l’entremise d’un assureur A aurait mené à la souscription d’une police, mais auprès de l’assureur B.
Si le courtier constate que le FCSA rapporte des réclamations dont le client ne lui a pas parlé, il est dans l’obligation d’en informer l’assureur à qui il propose de souscrire ce risque. « Si je ne le dis pas à l’assureur, je contreviens à mon code de déontologie », explique Louis Cyr en entrevue avec le Portail de l’assurance.
Le GAA menace de suspendre l’accès du cabinet au FCSA si la non-conformité se poursuit. Le courtier Cyr résume ainsi la réponse qu’il a faite au GAA : « Vous m’avez pris à ne pas suivre votre règlement, je le reconnais. Mais je continuerai de ne pas le suivre. Si vous m’achalez encore avec ça, je vais demander à ce que ce règlement soit changé », dit-il.
En conséquence, le 2 octobre 2020, le courtier envoie un premier courriel au ministre des Finances, Éric Girard, pour lui souligner le problème posé au réseau de courtage associé à l’accès au FCSA. « En ce moment et depuis trop longtemps, nous devons être mandatés par un assureur, ce qui est ridicule et sans fondement », écrit-il.
Il reçoit une réponse le 24 novembre 2020 en provenance d’un conseiller politique du ministre Éric Girard, dont il nous a transmis une copie. Ce dernier lui confirme que le gouvernement est au courant de cet enjeu. Il indique au courtier que des discussions sont en cours entre le RCCAQ et l’Autorité des marchés financiers à ce sujet.
Le 31 mai 2021, Louis Cyr écrit à nouveau au ministre pour lui expliquer de manière plus détaillée les désavantages imposés aux cabinets de courtage indépendants comparativement aux assureurs directs et aux agences, particulièrement dans le contexte de la distribution par Internet.
Dans ce courriel où il refait l’historique de la création du FCSA, M. Cyr rappelle que les données qui y sont inscrites n’appartiennent pas au GAA ou à l’AMF, mais « à chacun des assurés ». Quand le client mandate un courtier de lui soumettre une couverture en incluant la recherche au Fichier, ce dernier devrait avoir accès aux données de son mandant sans autorisation autre que celle prévue dans la Loi sur l’assurance automobile (LAA).
« Si la loi l’interdit, c’est donc pour moi une erreur à corriger. Si la correction n’a pas été faite jusqu’à présent, c’est parce qu’aucun intervenant n’a demandé aux tribunaux de se pencher sur la question », écrit M. Cyr.
Un engagement
Dans la réponse du cabinet du ministre datée du 18 août 2021, le même conseiller politique lui indique que le ministère « est d’avis que l’accès direct, s’il est permis, devra se faire de manière sécuritaire en s’assurant que tous les mécanismes adéquats soient mis en place pour assurer la protection des renseignements personnels ».
« Pour cette raison, il lui apparaît nécessaire que les échanges entre les acteurs concernés et l’Autorité des marchés financiers se poursuivent », ajoute le conseiller politique du ministre.
« Cela dit, le ministère souhaite qu’une éventuelle solution identifiée par ces derniers ne soit pas rendue caduque par un élément technique prévu par la LAA. Par conséquent, il entend, lorsque l’occasion se présentera, demander à l’Assemblée nationale du Québec de considérer ces modifications qui auraient pour effet de permettre, sans obliger, un accès direct », précise le conseiller.
M. Cyr informe rapidement un membre du conseil d’administration du RCCAQ que le ministère des Finances est prêt à entendre les représentations à cet égard. Les démarches sont reprises auprès de l’AMF. Le changement sera inclus dans le projet de loi omnibus déposé quelques semaines plus tard. L’article 179.1 de la LAA est ainsi modifié pour autoriser cet accès.
Impact énorme
Je ne suis pas intervenu pour aider mon cabinet. Le GAA voulait me réprimander, ce qui m’a fait réagir.
- Louis Cyr
En assurance automobile des particuliers, la rapidité de la soumission est au cœur du processus d’affaires des assureurs. « Si tu veux vendre une police, tu ne peux pas perdre ta journée en procédures inutiles », insiste M. Cyr. Le client peut lui-même demander la permission au GAA de consulter son dossier au FCSA et le transmettre au courtier. Cependant, il n’a pas toujours cette information avec lui lorsqu’il est déjà chez le concessionnaire et a rapidement besoin d’une soumission.
Au Québec seulement, le marché de l’assurance automobile des particuliers représentait 5,2 milliards de dollars (G$) de primes en 2023, selon les données de l’AMF. Les assureurs directs distribuaient 67 % de ce volume. « Si la police est vendue par un de ses agents au lieu d’un courtier, l’assureur économise 12,5 % en commission », explique Louis Cyr.
M. Cyr souligne aussi que le client qui souscrit une police auprès du courtier fait partie du portefeuille de son cabinet. La valeur de ce portefeuille est déterminante lors de la vente de l’entreprise ou pour la recherche de financement.
Louis Cyr n’est pas du tout surpris du temps qu’il a fallu pour concrétiser le changement législatif. Les assureurs ont toujours été opposés à l’idée d’élargir l’accès au FCSA. « La loi était écrite ainsi, seuls les assureurs avaient accès au fichier. On ne peut pas les blâmer de faire du lobbying par l’entremise de leur association et de vouloir maintenir le statu quo », dit-il.
L’AMF devrait s’occuper elle-même de la gestion du Fichier, selon M. Cyr, au lieu de confier cela à une structure associée aux assureurs. « S’il y avait une logique de saine gestion des ressources pour justifier la fusion des deux chambres en assurance, ça s’impose d’autant plus ici », dit-il.
L’assurance des particuliers représente 25 % du volume du cabinet Louis Cyr Assurances, et plus de la moitié est de l’assurance habitation. « Je ne suis pas intervenu pour aider mon cabinet. Le GAA voulait me réprimander, ce qui m’a fait réagir », dit-il.
« J’ai produit l’étincelle qui a permis au RCCAQ de faire avancer le dossier, qui piétinait depuis des années. Grâce au RCCAQ et à Maryse Rivard, on a enfin réglé le sujet. » Louis Cyr a d’ailleurs écrit à Mme Rivard afin de la féliciter et la remercier pour sa ténacité.