L’Autorité des marchés financiers obtient gain de cause contre l’ex-représentant Richard Powers et pourra continuer son action devant le Tribunal administratif des marchés financiers (TMF).

M. Powers, sa firme Gestion Richard Powers et trois autres sociétés mises en cause demandaient au TMF de rejeter l’acte introductif d’instance de l’Autorité daté du 7 février 2023 et modifié le 16 août dernier et réclamaient l’arrêt des procédures. 

La demande en rejet repose sur des allégations voulant que la demande de l’Autorité soit abusive, car elle constituerait un manquement à l’équité procédurale. Quatre motifs distincts ont été allégués par les demandeurs et ils ont tous été rejetés par le TMF. 

La requête de l’intimé découle directement de la décision rendue par le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière en septembre 2021. L’intimé avait alors reconnu sa culpabilité aux cinq chefs d’accusation

Il avait alors été condamné à des amendes totalisant 15 000 $ et à cinq années de radiation temporaire. Il s’agissait d’une deuxième sanction disciplinaire contre ce représentant. 

Devant le TMF 

Pour déterminer si les procédures devaient être arrêtées, le TMF devait répondre aux motifs soulevés afin de déterminer si le recours intenté par l’Autorité était abusif. 

Les quatre motifs allégués sont reliés : 

  • au non-respect de l’équité procédurale prévue dans la Loi sur la justice administrative ;
  • au défaut de l’Autorité de déposer sa demande en temps opportun ou du défaut d’informer Richard Powers de la possibilité qu’elle entreprenne ce recours devant le Tribunal ;
  • au délai entre les manquements reprochés à Richard Powers et la demande de l’Autorité ;
  • au fait que Richard Powers serait jugé deux fois pour la même conduite.

Sur ce dernier aspect, le jugement rendu le 2 octobre dernier rappelle que le comité de discipline de la Chambre et le TMF ont des pouvoirs complémentaires. Contrairement au comité de discipline qui s’occupe des manquements déontologiques commis par les représentants certifiés, le tribunal peut agir à l’égard d’un cabinet, d’un de ses administrateurs ou dirigeants ou d’un représentant. Il peut imposer des pénalités administratives et, selon le cas, radier ou suspendre l’inscription ou assortir le permis de diverses conditions du cabinet ou du représentant. 

Le TMF a également le pouvoir de résoudre ou résilier toute transaction relative à l’assurance conclue par un représentant ou par toute autre personne ou entité, ce qui est le cas dans le présent dossier. L’Autorité ne demande pas au TMF d’imposer des pénalités administratives. 

L’Autorité demande plutôt au tribunal de « résoudre toute cession, tout transfert de propriété, toute demande de changement ainsi que toute désignation de bénéficiaire effectuée concernant les polices d’assurance Canada Vie du Canada ». 

Selon le TMF, « il s’agit donc de deux recours complètement différents même s’ils sont basés sur la même conduite et que le résultat final qui découlerait de l’ensemble de ceux-ci ne serait pas contradictoire ». 

Les délais 

Les faits reprochés à M. Powers remontent à mars 2010, pour le transfert des polices, et plus de huit ans après la demande de changement de titres. La demande en rejet souligne que la poursuite de l’Autorité est abusive en raison de ces longs délais. 

Le tribunal estime plutôt que la demande de l’Autorité ne constitue pas un recours pénal entrepris devant la Cour du Québec, mais bien « un recours de nature administrative ayant pour objectif la protection du public et en vertu duquel aucun délai de prescription ne peut être invoqué. Conséquemment, la prescription prévue à l’article 494 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ne s’applique pas ». 

Les parties intimées alléguaient aussi que le délai les empêche de présenter une défense pleine et entière. Elles avancent qu’elles auraient notamment assigné un témoin qui est décédé en décembre 2021. Le TMF rappelle que l’audience devant le comité de discipline de la CSF a eu lieu le 12 avril 2021. « Si ce témoin était si important et que son témoignage avait apporté un éclairage différent sur l’affaire, Richard Powers aurait eu l’occasion de le faire témoigner lors de cette instance, mais il a choisi de ne pas le faire », lit-on au paragraphe 50 du jugement du TMF. 

Toujours sur la question du délai, l’Autorité a pris connaissance le 5 février 2021 de la reconnaissance de culpabilité faite en décembre 2020 par M. Powers devant le comité de discipline de la Chambre. Il a été déclaré coupable le 8 septembre 2021. La demande initiale de l’Autorité a donc été déposée dans un délai de deux ans. 

La demande en rejet de l’intimé Powers mentionne que l’Autorité a été avisée dès le 18 novembre 2019 du contenu du rapport d’enquête du syndic de la Chambre. Le TMF détermine plutôt que c’est à partir du moment où l’Autorité ouvre son enquête, en février 2021, que le délai commence à courir.

L’Autorité a choisi de débuter l’enquête une fois le dossier du syndic de la Chambre réglé par le comité de discipline. « Il s’agit de son privilège et nul ne peut s’immiscer dans ce processus vu les larges pouvoirs d’enquêtes qui sont attribués à l’Autorité », écrit la juge Christine Dubé.

Toujours dans la demande en rejet, M. Powers et les sociétés mises en cause avancent que l’intimé n’aurait pas reconnu sa culpabilité devant le comité de discipline, ou aurait minimalement fait valoir des moyens de défense, s’il avait été informé de la possibilité qu’un recours soit entrepris par l’Autorité pour obtenir l’annulation des polices. 

Selon le Tribunal, l’Autorité a raison de réfuter cet argument en raison du caractère confidentiel des enquêtes qu’elle mène à huis clos. Le TMF conclut que la demande de l’Autorité n’est pas abusive, qu’elle a été déposée en temps opportun et que l’organisme de réglementation ne pouvait informer M. Powers de la possibilité qu’elle entreprenne ce recours. 

En droit administratif, le critère d’analyse de la prescription consiste à prouver que le délai a causé un préjudice important, ce qui n’est pas le cas dans le présent dossier, selon le tribunal. 

Équité procédurale 

La première question analysée par le TMF concernant le respect de l’équité procédurale prévue à la Loi sur la justice administrative. La juge Dubé rappelle que la décision de l’Autorité d’instituer une enquête n’est pas une décision administrative. Les dispositions invoquées par M. Powers et les mises en cause ne s’appliquent pas à la présente affaire,

La demande en rejet allègue aussi que l’Autorité a manqué à son devoir de transparence. Le tribunal rejette cet argument en rappelant que l’intimé et les mises en cause ont été avisés qu’il y avait absence d’intérêt assurable dans cette affaire et que la reconnaissance de culpabilité confirme que les parties intimées pouvaient s’attendre à ce qu’un recours éventuel puisse viser les polices d’assurance en question.

Malgré cet avertissement, le TMF est d’accord avec l’Autorité qu’elle n’avait aucune obligation d’informer l’administré de son intention lorsqu’elle mène des enquêtes. Conséquemment, le tribunal conclut qu’il n’y a pas eu de non-respect de l’équité procédurale et la demande de l’Autorité n’est pas abusive.