Dans un jugement rendu le 24 juillet dernier, L’Unique Assurances générales a été condamnée à verser l’indemnité prévue à l’assuré dont la résidence a été rasée par le feu. L’assureur niait la couverture en alléguant qu’il s’agissait d’un incendie volontaire.
La décision, datée du 24 juillet 2024, a été rendue par la juge Suzanne Ouellet, du district de Kamouraska de la Cour supérieure du Québec. Elle donne raison au demandeur Luc St-Pierre, dont la propriété était couverte par une police émise par l’assureur.
L’immeuble résidentiel a été déclaré perte totale à la suite de l’incendie survenu le 30 octobre 2020. Les parties ont admis le quantum des dommages, évalué à 301 651,17 $.
Une fois l’existence du contrat d’assurance établie, la couverture relativement aux biens faisant l’objet de la réclamation étant confirmée et le sinistre constaté, l’assureur doit prouver que le sinistre est dû à une faute intentionnelle commise par l’assuré pour nier la couverture.
Dans une longue décision de 250 paragraphes sur 39 pages, la juge Ouellet conclut que la preuve soumise en défense n’est pas suffisante relativement à la cause probable de l’incendie. Le tribunal retient plutôt la thèse du demandeur, comme quoi la cause de l’incendie demeure indéterminée.
L’exclusion
L’assureur doit prouver qu’il peut bénéficier de l’exclusion prévue à l’article 2464 du Code civil du Québec, laquelle est également prévue au contrat, relativement à la faute intentionnelle de l’assuré. En novembre 2019, sur les conseils de son courtier, le propriétaire avait changé d’assureur pour aller vers L’Unique.
L’assureur n’a pas à prouver la motivation ou le mobile de l’assuré qui a participé intentionnellement au sinistre. Néanmoins, le tribunal cite un jugement de la Cour d’appel qui rappelait qu’« il faut présumer qu’une personne saine d’esprit ne met pas le feu sans raison ».
Il appartient alors à l’assuré de fournir des explications plausibles pour écarter l’hypothèse avancée par l’assureur concernant la faute intentionnelle. En l’absence d’une preuve directe, il faut recourir aux présomptions de faits graves, précises et concordantes. La démarche est inscrite à l’article 2849 du Code civil.
Le contexte
L’immeuble incendié est une résidence unifamiliale sur deux étages, en plus d’un sous-sol. L’assuré en est le propriétaire unique après l’avoir acheté de son père en 2014. La résidence, qui fait partie d’une exploitation agricole, a été construite au 19e siècle. Elle avait été agrandie en 2012. Un patio avec une aire de rangement sous celui-ci a été ajouté en 2018.
Une thermopompe a été installée en 2020. D’autres rénovations étaient projetées à l’automne 2020 au deuxième étage et des travaux étaient requis mieux isoler la maison. Le fournisseur Bell est intervenu à trois ou quatre reprises au cours de l’année 2020, la dernière fois seulement deux jours avant l’incendie.
Un poêle à bois en fonte au sous-sol sert à chauffer la résidence. Pour allumer le feu, le propriétaire utilise des morceaux de carton-fibre imbibés de diésel. C’est ce qu’il a fait, tôt le matin, le jour de l’incendie, mais en précisant qu’il a allumé le feu avec de l’écorce de bouleau.
Le tribunal analyse les détails de la situation financière de l’assuré et de l’entreprise agricole qu’il exploite. Au moment du sinistre, il n’a pas d’enfant et il ne cohabite pas avec sa conjointe. Leur relation bat de l’aile, mais M. St-Pierre se dit convaincu de voir les choses se replacer. Après l’incendie, le couple s’est reformé et deux enfants sont nés.
La réputation de l’assuré est aussi longuement analysée dans le jugement. M. St-Pierre est conseiller municipal et pompier volontaire, en plus de travailler comme conseiller en financement agricole à la succursale d’une institution financière de Cabano.
Le jour de l’incendie, après les tâches reliées à son élevage, le propriétaire est sorti prendre le petit déjeuner au village. Il repasse à la maison pour prendre son ordinateur portable et repart tout de suite. Il n’entend aucun détecteur et ne sent pas la fumée.
Durant le sinistre
Un voisin constate l’incendie vers 8 h 50, un peu moins de 30 minutes après le départ de l’assuré pour sa journée de travail. En arrivant à la banque, il reçoit un appel de la caserne d’incendie. Il revient rapidement à son domicile et participe à l’extinction du feu.
Son comportement est longuement analysé. Il pense à trois choses qu’il veut absolument sauver du brasier : une bonbonne de propane de 20 livres dans une annexe au rez-de-chaussée qui peut menacer ses collègues, son chien et le classeur dans lequel se trouvent notamment les papiers de la ferme remontant aux années 1940.
Les pompiers ont utilisé une stratégie défensive pour éviter la propagation des flammes aux bâtiments de la ferme. Au bout du compte, les trois tiroirs du classeur sont sauvés et la bonbonne est retirée. Par contre, le chien est mort.
L’assuré se fait héberger chez son cousin. Le lendemain en retournant chez lui, il constate que le brasier n’est pas éteint. Il procède alors à son extinction avec 500 gallons d’eau et de la mousse.
À l’instruction
Au procès, l’agent de police qui était présent sur les lieux de l’incendie et qui a pris sa déclaration témoigne que l’assuré ne semble pas déstabilisé par le sinistre. L’agent a lui-même écrit le rapport, comme l’assuré portait encore son équipement de pompier.
Selon le policier, M. St-Pierre est calme, peu volubile, mais il ne pleure pas et ne s’effondre pas. Le policier n’a pas jugé bon de protéger le site de l’incendie après avoir parlé au chef pompier.
Le préventionniste en sécurité incendie de la MRC de Rivière-du-Loup soupçonne que le feu est probablement d’origine électrique. Il ne peut récupérer le panneau situé au sous-sol, enterré par les décombres qui ont été empilés à l’aide d’une pelle mécanique. Il y retourne deux jours plus tard, mais il ne trouve rien d’anormal dans le panneau et conclut à une cause indéterminée pour l’incendie. Il écrit cette conclusion dans son rapport du 15 novembre 2020.
Une première experte en sinistre a rencontré l’assuré le jour même de l’incendie, à la caserne de pompiers. Ses impressions sont mitigées à l’égard de M. St-Pierre, mais elle n’a pas fait de rapport complet à l’assureur.
Cette dernière de même que l’agent de police et le préventionniste ont témoigné de leurs impressions au procès, mais la juge Ouellet estime que celles-ci ne sont pas « suffisamment graves, précises et concordantes » pour inciter le tribunal à présumer qu’il y a eu incendie volontaire.
D’autres témoins ont fait part d’impressions différentes lors du procès concernant le comportement de l’assuré. Les présomptions émises « ne font naître que le doute et l’incertitude ».
Le tribunal constate que M. St-Pierre adorait son chien qu’il venait d’acquérir depuis quelques semaines, un Labrador de huit ou neuf ans trouvé dans un refuge. L’animal l’a d’ailleurs réveillé durant la nuit précédant l’incendie. Il l’a fait sortir et le chien refusait de rentrer dans la maison, ce qui était inhabituel. Selon lui, la bête a senti que l’incendie couvait dans les murs.
Récit incriminant
La veille de l’incendie, M. St-Pierre a eu une conversation avec un collègue de travail, qui a trouvé qu’il semblait déprimé. L’assureur y voit un récit incriminant et une preuve de préméditation. Au procès, ce collègue de travail estime qu’il n’a pas pris le récit de M. St-Pierre pour du « cash ».
Le propriétaire avait plusieurs fois exprimé sa crainte de voir la maison s’embraser en raison de son âge et de l’état de ses installations électriques. Situés dans leur contexte, ces propos ne constituent pas, en soi, une preuve prépondérante de l’intention, selon le tribunal.
La juge Ouellet détermine que l’hypothèse de l’incendie volontaire comporte des invraisemblances par rapport aux circonstances de l’affaire.
Des expertises
Tant le demandeur, par l’entremise de l’expert Marc Lauzé, que l’assureur via l’expert David Savard, ont fait produire des rapports d’expertise sur l’incendie. Les deux experts se réfèrent à la même méthode scientifique fournie par la National Fire Protection Association (NFPA) matière d’enquête après incendie.
En l’absence d’éléments suffisants, le guide de la norme NFPA 921 suggère à l’enquêteur de « ne pas hésiter à conclure en une région d’origine ou une cause indéterminée ».
Les deux experts s’entendent pour dire que le lieu d’origine est la partie ouest de la résidence, la partie la plus ancienne de l’immeuble. L’incendie faisait rage au sous-sol dans l’emplacement appelé chambre à bois, selon l’expert Lauzé.
L’expert Savard juge « fort peu probable » que le système électrique soit à l’origine de l’incendie. De son côté, l’expert Lauzé souligne que l’hypothèse ne peut être éliminée complètement, car les composantes du système électrique n’ont pas été expertisées. Ce dernier rappelle aussi que des travaux ont été faits par Bell, qui a installé un nouveau boîtier sur le mur ouest, à 12 pouces sous l’autre, car M. St-Pierre avait des problèmes avec sa connexion Internet.
L’expert Savard écarte l’hypothèse d’un problème avec le poêle à bois. L’expert Lauzé est moins catégorique, car il restait toujours du combustible à l’intérieur du poêle. L’hypothèse de la combustion spontanée est éliminée par l’expert du demandeur et l’expert Savard ne l’a pas analysée.
Dans son rapport remis à l’assureur, M. Savard indique que la trame temporelle et les circonstances permettaient d’établir le scénario d’un incendie volontaire comme étant « le plus probable ». Cependant, il admet ne pas avoir d’éléments objectifs observables et mesurables pour supporter sa thèse.
Le tribunal conclut que la preuve d’expertise en défense et la preuve profane ne permettent pas d’établir la cause probable de l’incendie. Devant une cause indéterminée, la juge Ouellet accueille la demande et ordonne à l’assureur d’indemniser son client comme le prévoit le contrat.
Les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle s’ajoutent à compter du 30 décembre 2020. Selon le calculateur du Barreau du Québec consulté par le Portail de l’assurance, la somme due par l’assureur atteignait 380 504,33 $ à la date du jugement.