Intact Assurance a été obligée par la Cour d’appel d’indemniser un assuré dont la bâtisse a fait l’objet de production illégale de cannabis. Ce jugement fait suite à une décision rendue en 2016, dans laquelle l’assureur avait eu gain de cause.
Après avoir découvert un système de production de cannabis à l’intérieur d’une bâtisse dont il était le locateur, Éric Cousineau, homme d’affaires, n’a pas été en mesure de se faire indemniser par son assureur, malgré le fait qu’il ait souscrit à une assurance tous risques. L’assureur affirmait que le demandeur était au courant de ce qui se passait dans sa propriété.
C’est Maurice Charbonneau, président et avocat chez Charbonneau, avocats conseils, qui a relevé l’existence de ce jugement au Journal de l’assurance.
Refus de la part de l’assureur
M. Cousineau est propriétaire d’un bâtiment à Granby et souhaitait le faire louer à des fins commerciales. Celui-ci s’est ainsi fait contacter par un homme nommé Patrick Cyr, qui disait vouloir utiliser le bâtiment pour y installer un garage d’esthétique automobile, pour y vendre des « produits connexes et d’entretien », pour y entreposer et pour y vendre des motos. Une entente s’est conclue par un « bail verbal » en décembre 2012.
Quelque temps plus tard, le demandeur s’est rendu compte que son locataire n’avait pas payé son loyer et transféré le compte d’électricité à sa charge. Ainsi, il s’est rendu sur place pour se rendre compte qu’il n’y avait aucune activité liée à l’automobile dans le bâtiment. Il communique aussitôt avec le Service de police de la municipalité de Granby.
Au moment de la perquisition, il est également révélé, après l’analyse d’empreintes digitales, que le locataire ne s’appelait pas Patrick Cyr, mais bien Patrick Séguin, un individu ayant des antécédents criminels.
De plus, des activités clandestines étaient également réalisées à l’intérieur du bâtiment. « Le 14 juin 2013, après avoir obtenu un mandat à cet effet, l’enquêteur Alexandre Labrecque effectue une perquisition et constate qu’il y a eu une plantation hydroponique de cannabis à l’intérieur du bâtiment. L’odeur du cannabis y est très perceptible. Les équipements ont disparu, de même que Séguin, qui a quitté les lieux », peut-on lire dans le jugement.
Intact a par la suite refusé de payer une réclamation de M. Cousineau, affirmant que l’appelant était au courant de ce qui se déroulait dans l’établissement.
Enregistrements de M. Séguin
En novembre 2014, la défense dépose une requête introductive d’instance en garantie contre Patrick Séguin. Quelques jours après le dépôt de la requête, M. Séguin contacte Me Jessie Courteau, avocate qui travaille au même cabinet que l’avocate chargée du dossier d’Intact, Danielle Archambault, afin de lui demander de faire tomber la requête en échange d’informations sur l’affaire.
Plusieurs discussions ont suivi, dont cinq qui ont été enregistrées. Lors de ces échanges téléphoniques, Patrick Séguin affirme qu’Éric Cousineau était au courant de tout ce qui s’était déroulé dans son immeuble. De plus, M. Séguin a affirmé que le tout avait pour but de réaliser une fraude à l’assurance.
La juge de première instance, Suzanne Mireault, a par la suite admis les enregistrements de ces appels et la transcription de ceux-ci comme témoignage, menant à la décision de rendre la police d’assurance nulle ab initio.
La validité du témoignage questionnée
Plusieurs erreurs ont été commises, d’après les juges Marie-France Bich, Manon Savard et Mark Schrager de la Cour d’appel.
Le dépôt tardif des enregistrements et des transcriptions est la première. « J’estime que la demande faite très tardivement par l’intimée, bien qu’elle ne le prenne pas complètement par surprise, le “prive […] de l’arme inestimable du contrinterrogatoire qui a toujours été un des points d’appui de l’équité devant nos tribunaux” », explique le juge Schrager.
Ensuite, le témoignage de Patrick Séguin n’était pas assez fiable et n’aurait pas dû être admis en cour, soutiennent les juges. En effet, dans le jugement de 2016, la juge Mireault disait : “même si ce dernier [Séguin] est un criminel et qu’il a usé de faux-fuyants et montré des hésitations dans ses commentaires à Danielle Archambault et à Me Courteau, la soussignée est convaincue, selon la balance des probabilités, qu’il a notamment dit la vérité…”, ce qui, d’après le Tribunal, ne satisfait pas les critères en matière de fiabilité.
Cela est suffisant pour exclure cet élément de preuve. Sans les enregistrements, il n’y a plus manière de prouver que M. Cousineau était bel et bien au courant de ces activités illégales, soutient le Tribunal.
Le Tribunal tranche
Les juges affirment qu’une erreur de droit a été commise et que “l’appelant aurait dû avoir gain de cause en première instance”.
Néanmoins, “l’assureur n’a pas agi abusivement en conduisant une enquête. Cette enquête l’a mené à Séguin, dont le témoignage, s’il avait été validement mis en preuve, aurait pu justifier le refus de paiement de l’indemnité d’assurance”.
Intact a ainsi été condamnée à payer 43 111,60 $, moins une franchise de 2500 $ avec intérêts et l’indemnité additionnelle au demandeur. Ce montant comprend les couts des réparations à neuf découlant du sinistre, évalué par un expert en sinistre mandaté par Éric Cousineau.
Notons que M. Cousineau réclamait un total de 1 066 313,35 $, comprenant notamment des montants pour dommages-intérêts.