Au moment où des évènements passagers exacerbent une volatilité déjà bien présente depuis un an en raison de la COVID-19, des spécialistes en placements entrevoient une reprise économique au deuxième semestre de 2021 et des occasions sur les marchés.
Dans son rapport des perspectives 2021, Capital Group analyse et anticipe les mouvements économiques et financiers pour le Canada, les États-Unis, la zone euro et les marchés émergents. Selon le gestionnaire, la plus forte reprise économique de 2021 est attendue dans la zone euro et sur les marchés émergents. Capital Group croit que l’Europe et l’Asie domineront au chapitre des innovations.
« La croissance économique est de retour, observe Capital Group sur le plan macroéconomique. Le Fonds monétaire international (FMI) estime que le produit intérieur brut (PIB) mondial grimpera de 5,2 % en 2021. » Capital Group émet toutefois des réserves : « Des risques continuent de peser sur cette reprise, le principal étant la résurgence de la COVID-19. »
La prévision du FMI fait largement consensus, observe Swiss Re. Pourtant, l’avis du banquier mondial de l’industrie de l’assurance diverge : selon lui, le PIB mondial augmentera plutôt de 4,8 %. Dans une récente édition d’Economic Insights, il note que les prévisions de croissance aux États-Unis en 2021 sont disparates, alors que celles du taux d’intérêt à 10 ans sont beaucoup plus concentrées.
Au-delà du rebond de 2021, Swiss Re croit que la reprise trainera en longueur, entrainant dans son sillage un environnement macroéconomique difficile, le maintien des bas taux d’intérêt et une hausse potentielle de l’inflation. « Nous pensons que la gravité de la récession entrainée par la COVID-19 aura des conséquences à long terme sur l’économie mondiale. »
Selon le réassureur, la COVID-19 a pesé sur le bilan des ménages et des entreprises. « Le ratio de la dette au PIB des ménages et des entreprises non financières a augmenté d’environ 20 points de pourcentage (0,2 %) au troisième trimestre de 2020 », précise Swiss Re.
Les vaccins rassurent
La COVID-19 demeure une source constante de volatilité sur les marchés financiers depuis bientôt un an, en plus de contribuer à l’endettement record des gouvernements et au recul de leur économie. « La nature sait comment intervenir de temps à autre pour nous rappeler qui est aux commandes », écrit Gestion de placements Manuvie dès les premières lignes de son bulletin Connaissances mondiales du premier semestre 2021.
Mais pour Manuvie, la COVID-19 n’est pas que mauvaise nouvelle. « La mise au point et l’administration de plusieurs vaccins dans un délai record augmentent la probabilité que 2021 soit une bien meilleure année que 2020 », prévoit Gestion de placements Manuvie.
Le gestionnaire n’entrevoit cependant pas de retour à la normale. Certains changements seront durables, annonce Frances Donald, directrice générale, économiste en chef, monde, et chef mondiale, stratégie macroéconomique, de Gestion de placements Manuvie. Elle signale notamment que la ligne de démarcation entre la politique budgétaire et la politique monétaire a été brouillée. « C’est l’un des perturbateurs macroéconomiques qui sont apparus à la suite de la pandémie et qui pourraient persister même après sa disparition. »
Vice-président et économiste en chef d’iA Groupe financier, Clément Gignac croit qu’il faut mesurer le chaud et le froid en matière de COVID-19. « Actuellement, c’est un peu un jeu de souque à la corde entre les bonnes nouvelles de la vaccination et celles des mutations du virus », a-t-il lancé dans la revue économique d’iA du 29 janvier 2021.
Retard du Canada en matière de vaccination
M. Gignac croit que le rythme de vaccination jouera un rôle important pour le PIB des économies. Il rapporte des prévisions du FMI selon lesquelles la Chine connaitra la plus solide reprise économique d’ici la fin de 2021, avec un PIB de 10,7 % plus élevé par rapport à la fin de 2019. Toujours au terme de 2021 par rapport à l’ère pré-COVID, les États-Unis auront repris 1,8 %, alors que le Canada sera en retard de 0,4 %, énumère l’économiste en chef d’iA.
Il attribue cette dernière prévision à la lenteur des campagnes de vaccination. « La croissance économique des pays sera intimement liée à la vitesse de vaccination », dit-il. Le rythme de vaccination plus lent au Canada qu’aux États-Unis pourrait teinter les données économiques dans les prochains mois, a-t-il dit.
Or, M. Gignac rappelle que la vaccination se déroule très inégalement d’un pays à l’autre. Dans sa revue économique du 5 février, il le démontre avec une liste de 23 pays classés selon le nombre de doses uniques de vaccins contre la COVID-19 administrées par groupe de 100 personnes. Dans ce classement alimenté par les données du site ourworldindata.org, le Canada arrivait tout juste devant la France, et loin derrière les États-Unis. La moyenne mondiale était alors de 1,9 %.
Évolution quotidienne
La situation évolue de jour en jour. Selon les données de ce site au 9 février, la France affichait un taux de vaccination de 3,61 %, devant le Canada (2,97 %). À cette date, les champions de la vaccination se suivaient dans cet ordre : Israël (67,86 %), les Émirats arabes unis (45,77 %) et le Royaume-Uni (20 %). Les États-Unis affichaient pour leur part un taux de 13,05 %. La moyenne mondiale du classement demeurait la même.
Dans sa revue économique du 29 janvier, iA rapportait par ailleurs la confirmation par les États-Unis d’un recul de 3,5 % du PIB en 2020. Une situation qui ne devrait pas se prolonger, puisque l’économie américaine regagne déjà du terrain, a commenté Clément Gignac. Le taux d’emploi tarde toutefois à suivre : le PIB profite de gains de productivité, notamment en raison du télétravail, mais les secteurs confinés comme l’hôtellerie et la restauration pèsent sur l’emploi, explique-t-il.
Selon les données préliminaires d’Eurostat, office statistique de l’Union européenne (UE), la productivité de l’Europe s’est aussi repliée en 2020. Son communiqué du 2 février 2021 livre une première estimation indiquant que le PIB a diminué de 6,8 % en 2020 dans la zone euro (les 19 pays membres de l’UE qui utilisent l’euro comme monnaie) et de 6,4 % dans l’UE (qui compte au total 27 pays).
Les marchés secoués en début d’année
En attendant la reprise économique, les marchés financiers ont connu des débuts agités en 2021. Durant la semaine du 25 janvier, des titres comme celui de la chaine de magasins de jeux vidéos GameStop, ceux de théâtres et de cinémas AMC Entertainement Holdings et celui du fabricant de téléphones intelligents BlackBerry ont bondi sous les attaques de boursicoteurs. La plupart se sont réunis au moyen des médias sociaux, par exemple le forum WallStreetBets (WSB) de Reddit, et se sont munis d’une application de négociation sans frais comme Robinhood Markets pour parier contre les prévisions des grands investisseurs.
Les fonds de couverture avaient en effet pris des positions de vente parce qu’ils jugeaient ces titres peu performants. L’audace qu’ont eue les boursicoteurs de les défier a payé, au début. Selon le bulletin du 29 janvier de Pratte Gestion de portefeuilles, le cours de l’action de GameStop avait augmenté de 150 % en milieu de séance le lundi 25 janvier, puis de 200 % deux jours plus tard. L’action cotée GME à la Bourse de New York (NYSE) a en effet atteint un sommet de près de 348 $ US le 27 janvier, alors qu’elle se transigeait à 76,79 $ US le 25 janvier.
Pratte Gestion de portefeuilles a cité dans son bulletin les propos de Telsey Advisory Group selon lesquels le prix de cette action et la valorisation actuelle n’étaient pas durables. Dès la semaine suivante, Wall Street leur donnait raison. Après s’être négociée dans les 225 $ US au début de la séance du 1er février, l’action de GameStop s’est dégonflée à environ 54 $ US à la fin de la séance du 4 février.
« L’envolée soudaine et brusque du prix de l’action et de la valorisation de GameStop a sans doute été alimentée par des liquidations forcées étant donné le fort intérêt pour la vente à découvert », mentionne dans son bulletin Pratte Gestion de portefeuilles.
Avertissements des organismes de règlementation
Le 27 janvier, la Securities Exchange Commission (SEC) a déclaré qu’elle surveillait étroitement la volatilité qui touche en ce moment les options et les actions. « Conformément à notre mission de protéger les investisseurs et de maintenir des marchés équitables, ordonnés et efficients, nous collaborons avec nos collègues de la règlementation pour évaluer la situation et examiner les activités des entités règlementées, des intermédiaires financiers et des autres acteurs du marché », a-t-elle ajouté.
Le 1er février, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) et l’Organisme canadien de règlementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) ont aussi mis les investisseurs canadiens en garde contre cette bulle spéculative. Depuis cette date, le cours de l’action de GameStop s’est dégonflé de façon constante.
L’action de GameStop avait amorcé le Nouvel An avec un cours de 17,25 $ US au 4 janvier. La valeur plancher du cours dans les 52 dernières semaines a été de 2,57 $ US. Selon les données de la NYSE, une courbe sur un mois se terminant le 9 février montre que le pic de l’action a été atteint entre le 25 janvier et le 2 février.
Dans son bulletin suivant publié le 5 février, Pratte Gestion de portefeuille rapportait que les boursicoteurs étaient déjà passés à autre chose. « Depuis jeudi dernier, c’est au tour du marché de l’argent de connaitre un engouement provenant des utilisateurs de WallStreetBets. À l’ouverture des marchés le 1er février, le prix de l’argent a dépassé les 30 $ US l’once : une première en huit ans », signale le gestionnaire.
Mécanique implacable
Dans la revue économique hebdomadaire du 29 janvier d’iA Groupe financier, Sébastien McMahon a lui aussi expliqué cette frénésie par la vente à découvert. « La plupart des grands hedge funds ont des stratégies longues (pari sur la hausse du prix d’un titre) et courtes (pari sur sa baisse, ou vente à découvert) », a rappelé le gestionnaire de portefeuilles principal, fonds diversifiés, et économiste d’iA.
Pour vendre à découvert, l’investisseur doit détenir un compte sur marge à découvert auprès d’un courtier en valeurs mobilières. Dans le cadre de cette opération, l’investisseur emprunte à son courtier un lot d’actions au prix du marché parce qu’il prévoit que leur prix baissera. Il doit éventuellement remettre les actions au courtier. Il empoche la différence si le prix a baissé, mais si le prix a monté, il doit au contraire débourser la différence.
Un fonds de couverture vendra à découvert les titres d’entreprises au mauvais bilan (stratégie courte) et achètera des actions d’entreprises plus prometteuses (stratégie longue), explique M. McMahon. « Avec la démocratisation de l’investissement et les réseaux sociaux, des gens se sont rassemblés. Ils ont acheté beaucoup de titres des compagnies vendues à découvert par les fonds de couverture, pour faire monter leur prix et forcer les fonds à les racheter. À court terme, la stratégie a fonctionné. »
Sébastien McMahon observe que les fonds de couverture ont ainsi dû racheter les actions vendues à découvert et vendre des actions qu’ils détenaient pour couvrir leurs pertes. « Tout ça crée un volume de transactions et de la volatilité », résume l’économiste. Selon les données citées par le gestionnaire et économiste d’iA, la bourse de New York a enregistré un volume de transaction record, supérieur à celui enregistré au début de la COVID-19, au premier trimestre de 2020.
Prendre du recul
Face à des bulles spéculatives comme celle de janvier 2021, Sébastien McMahon recommande de prendre du recul. Ce conseil a de nombreux échos dans l’industrie des fonds de placement. Dans un bulletin récemment publié sur son site, BMO Fonds d’investissement recommande aux investisseurs de maintenir leurs objectifs.
On y rappelle aussi que les marchés peuvent générer des rendements négatifs, même dans les années positives. « Au cours des 35 dernières années, on a observé des rendements négatifs chaque année, et ce, même dans les années où les marchés ont inscrit des rendements exceptionnels », indique le bulletin en question.
En guise d’exemple, BMO rappelle que les marchés ont rapporté 30,7 % en 2009, mais qu’à un certain moment, ils étaient en baisse de 20 %. « Conserver ses placements en bourse est la meilleure solution lorsqu’on a un horizon de placement à long terme », selon la banque.
BMO rappelle aussi la chute des marchés de décembre 2018 : « Le marché a progressé de plus de 28 % de décembre 2018 à décembre 2019. Si vous avez conservé vos placements pendant la période de volatilité survenue à la fin de 2018, votre portefeuille a enregistré ces gains. »
Pour sa part, François Rancourt, vice-président de district à Placements Mackenzie, a partagé des données indiquant que chaque période baissière s’est avérée plus courte que les périodes haussières. « Dans un rally boursier, il y a des gagnants et des perdants, et celui de 2020 n’a pas fait exception. Nous traversons une période inusitée », a dit M. Rancourt lors d’un webinaire diffusé vers la fin de 2020 par le cabinet Expertiz Gestion de patrimoine.
« La pandémie, le confinement, ce sont des choses que nous n’avons jamais vécues. Il faut remonter à la Seconde Guerre mondiale, voire à la grippe espagnole de 1918 pour retrouver un contexte semblable. Mais d’un point de vue historique, économique et des marchés, nous sommes à peu près dans les normes de rendement pendant une récession », observe M. Rancourt.
Brève chute, longue remontée
François Rancourt invite aussi les investisseurs à remettre les choses en perspective. « Une reprise entraine toujours une plus grande expansion et une plus longue remontée que la contraction et la chute entrainées par une correction boursière », tire-t-il d’une expérience statistique qui porte sur une période de 60 ans.
« De la crise de 2008-2009 jusqu’au 30 septembre 2020, l’indice composé S&P/TSX du marché boursier canadien a généré un rendement cumulatif de 195 % », illustre le vice-président de Mackenzie. Un investissement de 100 000 $ au creux de cette crise aurait procuré 295 000 $ à la fin du cycle haussier qui s’est terminé au mois de février 2020, « juste au début des corrections boursières liées à la COVID-19 », ajoute-t-il.
En moyenne au Canada, une expansion économique non interrompue par une récession génère 130 % de rendement cumulatif et dure 54 mois, soit un peu plus de quatre ans. En revanche, une récession dure neuf mois et entraine une perte de 27 %. Dans les deux premiers trimestres de 2020, la bourse canadienne a perdu 17 %. « Depuis cette période, on est déjà à 7 % de croissance », a dit M. Rancourt lors de sa présentation, le 12 novembre 2020.
Le constat est le même sur les marchés américains. Selon l’indice S&P 500 des 500 plus grosses sociétés publiques aux États-Unis, une expansion donne en moyenne un rendement cumulatif de 150 % et dure 51 mois. Selon cet indice, une récession dure en moyenne 13 mois et entraine une perte de 26 %.