En janvier 2023, la nouvelle norme comptable pour les contrats d’assurance IFRS 17 a remplacé la norme IFRS 4, en vigueur depuis 2004. IFRS 17 a depuis entraîné plus de volatilité dans l’état des résultats des assureurs de personnes. 

L’entrée en vigueur d’IFRS 17 au Canada n’est pas survenue sans heurts. Prévue initialement en 2018, elle a été reportée plus d’une fois sous la pression de l’industrie canadienne. Initié il y a plusieurs années par l’International Accounting Standards Board (IASB), de Londres, le chantier des IFRS est d’envergure mondiale. Des pays ne les ont pas adoptées, dont les États-Unis. 

Maintenant qu’IFRS 17 est chose faite pour le Canada, les assureurs ont commencé à en ressentir les effets dès l’exercice financier de 2023, car ils avaient déjà ajusté leurs chiffres de 2022 pour les rendre comparables. Par exemple, Beneva a vu son bénéfice net exploser de 149 % en 2023. Dans l’article du Portail de l’assurance publié le 26 avril 2024 à ce sujet, Jean-François Chalifoux, président et chef de la direction de Beneva, avait expliqué la hausse du résultat net par plusieurs éléments, citant la norme IFRS 17 en premier. 

De son côté, iA Groupe financier a aussi vu son résultat net augmenter de 149 % en 2023. L’assureur avait alors invité à considérer ces chiffres avec prudence, étant donné les ajustements aux normes IFRS.

En 2023, Humania Assurance a rapporté un résultat net de 6,2 millions de dollars (M$), comparativement à 25 M$ en 2022, selon les chiffres rajustés à IFRS 17, soit une baisse de 75 %. Sous l’ancienne norme, le bénéfice net d’Humania Assurance aurait été de 9,9 M$ en 2022. 

Autre effet des IFRS, iA Groupe financier a vu augmenter ses liquidités en raison de la nouvelle norme. Lors d’un entretien avec l’analyste Mario Mendonca, de Valeurs Mobilières TD, Denis Ricard, président et chef de la direction d’iA, a souligné que le capital en excédent de la compagnie est passé d’environ 300 millions de dollars à 1,5 milliard de dollars au premier trimestre de 2024. « Nous avions une marge supplémentaire dans nos réserves qui n’était jamais reconnue dans le capital. Tout d’un coup, avec IFRS 17, nous ne pouvions plus garder cette marge supplémentaire, elle devait être libérée », avait expliqué M. Ricard lors de l’entretien. 

Importants changements à la présentation des résultats 

Hélène Pouliot

À l’invitation du Portail de l’assurance, Hélène Pouliot, habituée d’analyser les rapports financiers des assureurs, a brossé un portrait de ce qu’IFRS 17 a changé dans la divulgation des résultats financiers des assureurs de personnes au Canada. Actuaire et conseillère en assurance vie depuis plusieurs années, reconnue comme chef de file dans l’industrie, Mme Pouliot a récemment occupé le poste de présidente de l’Institut canadien des Actuaires. Elle a dit avoir veillé à simplifier ses propos pour faciliter la compréhension et mieux saisir la portée des changements qu’entraîne IFRS 17. 

Les primes se fondent dans les résultats 

Hélène Pouliot constate en premier lieu que des éléments n’apparaissent plus dans le résultat net. C’est entre autres le cas des primes, des réclamations ou des changements dans les réserves des assureurs.

Elle note qu’avec IFRS 17, on ne voit désormais que le résultat des activités d’assurance et le résultat financier. « Ceux-ci représentent la différence entre ce à quoi on s’attendait et le résultat obtenu. On divulgue donc la performance par rapport à l’attendu plutôt que le niveau actuel des primes et des réclamations », explique l’actuaire. 

Elle ajoute que l’assureur qui récolte des primes supérieures à ses attentes verra un effet positif sur son résultat d’assurance. S’il a en revanche des réclamations plus importantes que prévu, l’effet sur le résultat d’assurance sera négatif.

De même, les résultats financiers résulteront de la différence entre le rendement prévu des placements de l’assureur et le rendement qu’il en a obtenu, selon les explications de Mme Pouliot.

Nouveau concept de la marge sur services contractuels 

La notion de marge de service contractuel amenée par IFRS 17 est un autre changement majeur qui touche les résultats des assureurs, selon Hélène Pouliot.

Pour en simplifier la présentation, Mme Pouliot évoque la réserve, qu’elle décrit comme le calcul de la valeur présente des réclamations, moins la valeur présente des primes. « Sous IFRS 4, nous pouvions avoir une réserve négative. Si la valeur escomptée des primes était supérieure à celle des réclamations prévues, la réserve était négative, ce qui permettait de réaliser les profits attendus dès l’émission des polices. Sous IFRS 17, si la même situation se présente, l’assureur doit plutôt établir une marge de services contractuels qui représente les profits futurs à réaliser. Ceux-ci ne peuvent être réalisés que selon la cédule d’amortissement de la marge, au fur et à mesure que les services sont rendus », expose la conseillère en assurance.

Dans un exemple hypothétique, Hélène Pouliot suppose une réserve négative de 10 M$ inscrite au moment de la vente d’une police d’assurance. Sous IFRS 17, ce montant devient une marge de services contractuels de 10 M$. « On ne réalise aucun gain ni aucune perte au moment de l’émission de la police, commente-t-elle. Je le diffère plutôt sur la période où l’assureur rend les services sous la police, ce qui peut être de très longue durée. » 

Des résultats plus volatils 

Hélène Pouliot relate que pour déterminer les réserves actuarielles, l’industrie utilisait avant IFRS 17 un taux d’escompte selon une méthode unique au Canada, soit la méthode canadienne axée sur le bilan. « En vertu de cette méthode, l’assureur déterminait la valeur de ses réserves en utilisant la valeur comptable de l’actif requis pour satisfaire aux obligations, en tenant compte du réinvestissement », dit-elle.

« Les actifs étaient choisis afin de reproduire le plus étroitement possible les flux de passif. Un changement de valeur des actifs entraîné par un changement de taux d’intérêt était donc accompagné par un changement presque équivalent de réserve, ce qui stabilisait les résultats », relate Mme Pouliot.

 Il y a une déconnexion entre le taux de rendement des actifs réels et celui de nos réserves, ce qui amène de la volatilité additionnelle
– Hélène Pouliot

Le 1er janvier 2023, IFRS 17 a évacué cette approche. L’actuaire estime qu’il s’agit de l’un des principaux changements entre IFRS 17 et IFRS 4. 

« Le taux d’escompte pour déterminer les réserves est maintenant basé sur un portefeuille d’actifs de référence plutôt que le portefeuille d’actifs réels. Le portefeuille de référence doit avoir des caractéristiques semblables à celles du passif des contrats d’assurance, relativement à la liquidité en particulier. Ce portefeuille n’est composé que d’actifs à revenus fixes », illustre Hélène Pouliot. 

« Selon cette méthode, il y a une déconnexion entre le taux de rendement des actifs réels et celui de nos réserves, ce qui amène de la volatilité additionnelle dans les résultats des assureurs. »

Pour les compagnies d’assurance de personnes, dont les obligations sont de longues durées, les rendements reliés aux actifs représentent un élément important dans les résultats, rappelle Hélène Pouliot. « L’impact d’un changement des taux d’intérêt peut maintenant être plus significatif en raison de la méthode utilisée pour déterminer les réserves », dit-elle.