La Cour du Québec donne raison à Primmum Compagnie d’assurance qui a résilié la police en raison des activités illicites qui se déroulaient au domicile, et ce, même si le sinistre qui a eu lieu n’a rien à voir avec celles-ci.
Sylvie Chamberland est propriétaire de la maison. Elle y réside avec son conjoint, Gordon Leblanc, et leurs enfants. La police d’assurance a été renouvelée le 15 février 2022. Elle est souscrite avec le même assureur depuis 2010.
L’incendie a eu lieu à Lachine, à Montréal, le 18 décembre 2022, un incendie survient au sous-sol de l’immeuble. Il n’est pas contesté qu’il résulte de la défectuosité d’une batterie rechargeable. La responsabilité des assurés n’est nullement en cause.
Même si l’incendie est rapidement maîtrisé, les dégâts sont considérables. L’expert en sinistre évalue la perte en biens meubles à 38 222,54 $. La réclamation totalise 65 714,14 $ en ajoutant les travaux requis pour réparer les dommages à l’immeuble et le nettoyage des appareils électroniques et des vêtements.
Enquête
Au cours de son enquête, l’assureur suspecte que des activités illégales pourraient compromettre le droit des assurés à l’indemnité. Le cabinet Indemnipro est mandaté par l’assureur pour rencontrer les assurés sur l’usage, la transformation et le trafic de drogues dans l’immeuble. Les entretiens ont lieu le 3 février 2023.
À l’issue de ces entretiens, l’assureur refuse de verser l’indemnité réclamée. Le 7 juillet 2023, Primmum résilie rétroactivement la police au 15 février 2022.
Le recours des assurés est déposé le 15 août 2023. Ils soutiennent que l’incendie survenu dans l’immeuble ne résulte aucunement d’un geste de leur part et qu’il ne découle pas davantage d’une activité criminelle. Une exclusion à cet égard est prévue au contrat.
De son côté, Primmum maintient que si elle avait su que la police était souscrite par une personne qui se livre à des actes criminels, elle n’aurait jamais accepté de couvrir les biens. Le tribunal donne raison à l’assureur. Le jugement a été rendu le 17 février dernier.
L’exclusion applicable
Au procès, M. Leblanc témoigne de manière très succincte. Il reconnaît faire l’usage de cocaïne de manière occasionnelle, depuis une quinzaine d’années.
Le tribunal rappelle que ce n’est pas la conduite des assurés en lien avec l’incendie qui est en cause dans le litige, mais plutôt les activités menées dans l’immeuble. Lors de l’instruction, le juge Stéphane Davignon insiste pour que l’écoute des déclarations des assurés à l’enquêteur d’Indemnipro se fasse en salle d’audience.
M. Leblanc a été victime d’un accident d’automobile, alors qu’il était piéton. Il ne peut plus exercer son métier de soudeur et il reçoit une rente viagère de l’assureur public du régime d’assurance automobile. Il dit occuper ses journées à réparer des vélos, à faire de menus travaux à la maison et à recevoir des amis chez lui.
Un peu plus tard dans l’échange, le demandeur reconnaît qu’il a déjà transformé de la cocaïne en crack, en utilisant un four à micro-ondes situé au sous-sol, de sorte qu’il est possible d’y trouver des résidus. Il explique même comment il procède pour accommoder son ami qui le lui demande.
Sa conjointe déclare plutôt qu’il consomme du crack de manière quotidienne, avec ses amis. Elle affirme qu’il arrive que M. Leblanc reçoive de l’argent de personnes qui viennent consommer avec lui en contrepartie de drogue qu’il leur fournit.
Primmum ne se fonde pas sur l’exclusion prévue au contrat concernant un lien de causalité entre le sinistre et la faute des assurés liée à une activité criminelle. Le contrat indique que l’assureur « ne couvre pas les sinistres qui surviennent lorsque les lieux assurés sont utilisés, en tout ou en partie, pour des activités criminelles ».
Le premier alinéa de l’article 2402 du Code civil du Québec prévoit spécifiquement la possibilité pour l’assureur d’être libéré de ses obligations lorsqu’une violation de la loi par l’assuré constitue un acte criminel.
Les activités auxquelles se livre le demandeur dans l’immeuble correspondent à la définition de trafic au sens de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Les tribunaux siégeant en matière criminelle ont reconnu que transformer la cocaïne en crack, pour ensuite le fumer, parfois en donner ou en vendre, constitue du trafic.
Cette exclusion de la police, laquelle est permise par la loi, suffit à faire perdre le droit à l’indemnité.
Évaluation du risque
Le tribunal prend néanmoins le soin de régler l’autre motif de refus de l’assureur, soit la résiliation rétroactive du contrat. Primmum a fait entendre une de ses souscriptrices séniores. Celle-ci a retrouvé le dossier d’assurance des demandeurs depuis leur première souscription en 2010, incluant les enregistrements des appels téléphoniques visant à établir le risque assurable.
Sur la base des informations fournies dans le rapport d’Indemnipro, cette souscriptrice a décidé de résilier le contrat d’assurance, cette décision prenant effet au précédent renouvellement, le 15 février 2022. Elle témoigne que si l’assureur avait su que des activités criminelles avaient cours dans l’immeuble, le contrat n’aurait pas été renouvelé. Il s’agit « d’un risque que l’assureur n’accepte jamais de prendre », précise-t-elle.
Selon le tribunal, le preneur d’un contrat, ou l’assuré, est tenu de déclarer avec bonne foi tous les faits pertinents dont il a connaissance pour aider l’assureur raisonnable à évaluer le risque, déterminer la prime et offrir un contrat d’assurance. En cours d’exécution du contrat, l’assuré est tenu du même devoir d’information à propos de toutes circonstances qui aggravent les risques stipulés à la police.
En n’informant pas Primmum des activités en cours dans l’immeuble, les demandeurs ont privé l’assureur de son droit de ne pas souscrire le contrat. S’il l’avait su, le contrat aurait été résilié.
Le tribunal rappelle un précédent similaire où la Cour d’appel du Québec, le 12 janvier 2011, a donné raison à Promutuel Bagot contre l’assurée Josée Lévesque et a infirmé le jugement de première instance. Dans cette affaire, la réclamation concernait un incendie, dont l’origine n’avait rien à voir avec l’activité criminelle, en l’occurrence l’entreposage de plants de cannabis pour la revente. Une des trois juges de la Cour d’appel était dissidente et aurait maintenu le jugement qui accordait l’indemnité à l’assurée.