La saga de la vente de L’Excellence a récemment pris fin devant la Cour d’appel du Québec. Le tribunal a réaffirmé la décision rendue en août 2018 par la Cour supérieure dans les trois poursuites intentées après la vente de l’entreprise et qui condamnait les anciens présidents de l’entreprise à dédommager les deux actionnaires fondateurs.

Les appelants devant la Cour d’appel, Antoine Ponce et Daniel Riopel, ont vu leurs demandes être rejetées. Le juge Jocelyn Rancourt a rédigé les motifs du tribunal auxquels souscrivent les juges Robert Mainville et Lucie Fournier

L’avocat Maurice Charbonneau, du cabinet Trivium, nous a informés de la publication de cette décision datée du 14 septembre 2021. 

L’aperçu de l’affaire 

Les appelants exercent les fonctions de présidents de trois sociétés regroupées sous la dénomination « Le Groupe Excellence », lesquelles étaient contrôlées par les actionnaires Michel Rhéaume et André Beaulne (les intimés). 

Ces sociétés étaient deux compagnies de courtage d’assurance de personnes : Michel Rhéaume & Associés (MRA) et Beaulne & Rhéaume Assurance (BRA), et l’assureur L’Excellence compagnie d’assurance vie (EVA).

M. Riopel est le neveu de M. Beaulne et avocat et président de MRA et de BRA depuis mars 2002. M. Ponce est actuaire et devient président d’EVA en février 2002. 

En mars 2002, MM. Ponce et Riopel signent « l’entente des présidents » qui prévoit notamment une bonification de leur rémunération en fonction du dégagement des profits excédentaires et d’une plus-value corporative des sociétés sous L’Excellence. Les appelants ont droit à 40 % des profits excédentaires et 40 % de la plus-value corporative de L’Excellence. 

Les appelants ont par la suite entamé des négociations avec les actionnaires pour racheter leurs parts dans L’Excellence. En septembre 2006, M. Rhéaume vend des actions pour 26,5 millions de dollars (M$). En février 2007, M. Beaulne vend les siennes pour 10,3 M$. 

Quelques mois plus tard, les appelants vendent leurs intérêts dans L’Excellence pour un total de 74,28 M$. Les intimés s’adressent aux tribunaux et réclament solidairement des appelants des dommages et intérêts de plus de 24 M$, dont 62 % pour Riopel et 38 % pour Beaulne. 

Les appelants ont riposté par une action en diffamation pour 2 M$ et par une action subsidiaire fondée sur l’entente des présidents. 

Première instance 

En première instance, le juge Michel Déziel rend sa décision le 1er août 2018, laquelle est ensuite rectifiée le 5 septembre 2018. 

Il accueille partiellement l’action des intimés et rejette les deux actions entreprises par les appelants. Ceux-ci sont condamnés à payer aux intimés la somme de 11 884 743 $, plus les intérêts courus depuis la transaction. Il y a trois ans, la somme totalisait 19,2 M$. Les frais de justice et d’expertise étaient aussi à la charge des administrateurs. 

Selon ce jugement, les appelants ont utilisé à leur profit des informations obtenues grâce à leurs fonctions. En leur qualité d’administrateurs et de dirigeants, les appelants sont redevables des devoirs de bonne foi, de loyauté et d’intégrité envers la société, et ces devoirs s’étendaient également aux actionnaires Rhéaume et Beaulne. 

Les appelants ont failli à ces devoirs en communiquant des renseignements confidentiels à l’acquéreur, et ce, à l’insu des intimés.

Selon la Cour d’appel, le juge Déziel a commis une erreur en déterminant que les devoirs d’honnêteté et de loyauté s’appliquent aux actionnaires. « Cette erreur n’est pas déterminante puisqu’il s’appuie également sur l’obligation de bonne foi et de renseignement impartie aux appelants pour conclure à l’existence d’une faute de ceux-ci envers les intimés », écrit le juge Rancourt. 

« Les appelants ne me convainquent pas que le juge de première instance a erré en concluant que les intimés ont été lésés par les appelants lorsque ces derniers ont racheté leurs actions pour revendre L’Excellence peu après avec un profit substantiel. 

Mésentente et financement 

En 2005, les intimés s’affrontent dans un litige concernant le partage des revenus de courtage entre BRA et MRA. Parallèlement, les présidents amorcent à l’insu des actionnaires des discussions avec l’Industrielle Alliance (iA). Une entente de confidentialité est signée à la fin de juillet 2005. L’assureur iA s’engage à ne considérer aucune forme de transaction à l’égard de L’Excellence ou le Groupe Rhéaume sans l’accord écrit de MM. Ponce et Riopel, et ce, pour une période de 24 mois. 

Le Fonds de solidarité FTQ accepte de financer la transaction avec Michel Rhéaume, qui se conclut le 1er septembre 2006. Le 22 mars 2007, la transaction avec André Beaulne est conclue par l’entremise d’une société de portefeuille détenue par les appelants. Cette fois, le Fonds de solidarité FTQ ne finance pas la transaction. 

En mai 2006, iA établit la valeur de L’Excellence à 35 M$, montant que M. Ponce qualifie, « compte tenu de ce qu’on doit payer aux actionnaires actuels, de vente de feu ». 

Le 31 janvier 2008, après de nombreuses offres de la part d’IA, les appelants cèdent leurs intérêts dans L’Excellence pour une somme totalisant 74,28 M$. 

Le 30 mai 2012, la Cour supérieure réunit les trois instances, soit la requête des intimés et les deux requêtes des appelants. 

Le procès s’étale sur 19 jours entre le 5 octobre 2017 et le 18 mai 2018. Michel Rhéaume décède avant la fin de son contre-interrogatoire, cinq jours après le début de l’audition sur la preuve.

Les devoirs 

La Cour d’appel donne partiellement raison aux appelants sur la question des devoirs et obligations des appelants envers les intimés. La Cour suprême reconnaît le droit de l’actionnaire contre l’administrateur ou le dirigeant si ce dernier a manqué à une obligation distincte envers l’actionnaire et que celui-ci a subi un préjudice direct et indépendant de celui subi par la société. Ces obligations ne peuvent être simplement étendues aux actionnaires. 

Selon la Cour d’appel, le juge de première instance semble avoir confondu les devoirs propres au droit civil avec le devoir fiduciaire, issu de la « common law ». Le droit civil ne reconnaît pas ce devoir d’honnêteté et de loyauté entre l’administrateur et l’actionnaire en dehors des rapports contractuels auxquels le Code civil du Québec attache un tel devoir. 

Même si l’entente des présidents ne le prévoyait pas, l’article 1434 du Code civil prévoit qu’un contrat oblige les parties non seulement pour ce qu’elles y ont exprimé, mais également pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages. 

L’erreur du juge de première instance « n’est toutefois pas déterminante dans la mesure où le juge s’appuie également sur l’obligation de bonne foi et de renseignement pour conclure que les appelants ont commis une faute envers les intimés ». Le juge a eu raison de conclure que les informations cachées aux intimés auraient eu une incidence majeure sur la décision de Rhéaume et de Beaulne de vendre leurs intérêts » à Ponce et Riopel et sur la valeur des actions et de leur prix de vente. 

Six autres questions 

Les appelants ont soumis six autres questions à la Cour d’appel. Le tribunal a rejeté les prétentions des appelants. 

La question no 1 concerne les quittances signées par les intimés lors de la vente de leurs parts aux présidents. La Cour d’appel estime que le juge de première instance « pouvait raisonnablement conclure que les appelants ne pouvaient pas se prévaloir des quittances compte tenu de leur mauvaise foi dans l’exécution de leurs obligations envers les intimés. Dit autrement, ils ne pouvaient se prévaloir de la quittance pour se dégager de leur responsabilité découlant de leurs manœuvres dolosives ». 

La question no 3 concerne l’absence d’analyse du juge de première instance sur le lien de causalité entre les fautes alléguées et les dommages réclamés. Appréciés dans leur ensemble, les faits appuient clairement la conclusion du juge qui reconnaît l’existence d’un lien causal entre violation de l’obligation de renseignement et les dommages subis par les intimés. Les appelants affirment que les discussions avec iA ont pris fin le 30 mai 2006, soit avant les transactions avec les intimés. Les discussions ont été réactivées en 2007, après les transactions. 

« En réalité, l’intérêt d’iA a toujours été d’acquérir l’ensemble des intérêts de L’Excellence » et cet intérêt « ne s’est jamais démenti », comme le montrent divers faits cités par la Cour d’appel. Le 9 mars 2007, 13 jours avant la clôture de la transaction avec M. Beaulne, IA a soumis aux appelants une offre d’achat de 55 M$ pour l’ensemble des intérêts de L’Excellence, offre qu’ils refusent. Ils ont représenté aux intimés que la valeur de l’entreprise était de 35 M$. 

Responsabilité solidaire 

La question no 4 concerne la conclusion sur la responsabilité solidaire des appelants, alors que le juge ne dit rien sur ses motifs. Ils énoncent que le juge retient leur responsabilité en prenant appui sur l’entente des présidents et que ce contrat ne renferme aucune disposition prévoyant la solidarité.

Encore une fois, le juge Rancourt indique que l’obligation de maximiser les profits et la valeur a été contractée pour le service ou l’exploitation d’une entreprise au sens de l’alinéa 2 de l’article 1525 du Code civil. Le juge de première instance pouvait prendre appui sur l’entente des présidents. 

Pas un nouveau procès 

La question no 5 concernait l’analyse des dommages réclamés à propos de laquelle les appelants reprochent sept erreurs dans son évaluation des dommages. La Cour d’appel n’a pas à refaire le procès ou à réexaminer la preuve. En présence d’une preuve d’experts contradictoire, le juge de première instance a un large pouvoir discrétionnaire. Les administrateurs n’ont su montrer aucune erreur manifeste ou déterminante. 

La question no 6 soulève le problème de l’appréciation de la preuve et l’absence de considération du juge envers certains faits. Ce moyen d’appel a été jugé non fondé, la Cour d’appel n’ayant pas à soupeser à nouveau la preuve administrée lors de l’instruction. 

La question no 7 concerne le rejet sommaire du recours en diffamation intenté par les administrateurs à l’encontre des actionnaires. Selon le juge Rancourt, les appelants n’ont pas réussi à démontrer que les allégations des intimés sont fausses, puisque le juge a reconnu que les premiers ont manqué à leur obligation de renseignement et qu’ils ont caché aux intimés l’intérêt d’iA. Les appelants n’ont pas davantage démontré l’intention malicieuse des intimés ni l’absence de cause pour tenir ces propos. 

La Cour d’appel rejette l’appel entrepris à l’égard des trois dossiers, avec les frais de justice tant en appel qu’en première instance.