Chaque Canadien s’est absenté au moins sept jours de son travail, en 2006. C’est ce que révèlent des données récentes de Statistique Canada. Et les données de 2006 montrent une aggravation de la situation par rapport aux années précédentes. Comment stopper le problème ? Les assureurs prônent un virage vers une plus grande intervention.
C’est au Québec et au Nouveau-Brunswick que les problèmes d’absentéisme sont les plus importants au Canada. Avec un taux d’absentéisme de 9,3 jours par personne en 2006, le Québec se classe à l’avant-dernier rang, juste devant le Nouveau-Brunswick, qui compte une perte de 9,7 jours.
Pourquoi les Québécois sont-ils en tête de liste quand il est question d’invalidité? Les problèmes de santé mentale prennent une place de plus en plus grande au sein de la population active et viennent gonfler les chiffres de l’absentéisme.
Interrogés sur la question, plusieurs assureurs supposent qu’il s’agit d’une différence culturelle avec le reste du pays. « On a constaté que les causes invalidantes comme les maladies psychologiques sont plus élevées ici. Est-on plus ouverts? Plus informés? Les campagnes ont-elles été faites de la même manière? On ne le sait pas », lance François Boisjoly, vice-président vente et marketing, assurance collective, au Groupe SSQ.
Deux pistes pourraient aussi expliquer l’augmentation de l’absentéisme : un environnement de travail plus stressant et le vieillissement de la population. Avec des travailleurs plus âgés et toujours en activité, on peut s’attendre à ce que les courbes d’absentéisme au sein des entreprises ne fléchissent pas de sitôt. Dans une autre étude de Statistique Canada, il est d’ailleurs reconnu que les travailleurs âgés s’absentent plus longtemps que leurs collègues plus jeunes.
En 2006, les personnes âgées de 55 à 59 ans qui travaillaient à temps plein ont perdu plus de 10 jours pour cette raison, tandis que leurs homologues du principal groupe d’âge actif n’en ont perdu que 7. Les personnes âgées de 60 à 64 ont perdu un peu plus de 12 jours », révèle Statistique Canada.
Intervention des assureurs
Afin d’éviter que l’invalidité ne devienne chronique ou que l’assuré ne tombe dans une « zone de confort », les assureurs misent sur une approche proactive d’intervention. Chez SSQ notamment, la gestion des cas d’absentéisme qui ne se faisait autrefois que sur papier est désormais encadrée par du personnel. « Dès qu’on reçoit une demande de prestation pour invalidité, on prend contact avec l’assuré. On s’informe de la perception qu’il a de son invalidité. Il sent que l’assureur est là. On veut mieux connaître l’invalidité et lui offrir un soutien supplémentaire », explique François Boisjoly.
En parallèle avec cette première prise de contact, l’assureur communique aussi avec l’employeur. « Et on n’hésite plus à parler au médecin traitant du traitement choisi, quitte à le payer pour obtenir une entrevue », révèle M. Boisjoly. Le but n’est pas de s’ingérer dans la vie de l’assuré mais plutôt d’éviter que la personne perçoive l’assurance invalidité comme un droit acquis. « Si la personne n’est pas interrogée, elle restera facilement une semaine ou deux de plus en invalidité », soutient-il.
Et lorsque l’assureur le juge utile, il a recours à un médecin-conseil pour confirmer ou infirmer le diagnostique du médecin traitant. Cette mesure demeure rare et est très stressante, signale M. Boisjoly.
Le modèle d’intervention de la Financière Sun Life est, lui aussi, basé sur une communication entre toutes les parties. Lorsqu’un dossier d’invalidité de longue durée atterrit sur le bureau d’un conseiller en gestion de la santé, ce dernier communique avec l’employeur afin d’avoir sa vision de l’invalidité, de comprendre la nature du poste et de voir ce qui se passe dans l’entreprise. Ensuite, le conseiller entre en contact avec l’assuré et prend un rendez-vous avec lui… chez lui!
« L’entrevue dure environ deux heures […]. Il faut 15 à 30 minutes au conseiller pour expliquer son rôle et pour que l’employé soit plus en confiance. Il y a toujours une crainte, une peur que la prestation soit coupée, etc. Mais le rôle du conseiller n’est pas d’approuver ou de couper la prestation. S’il est en contact avec l’employé, c’est que l’indemnisation a été acceptée. Il est vraiment là en relation d’aide », explique Esther Adida, directrice, service de l’invalidité chez Financière Sun Life. Bien entendu, seuls les dossiers jugés complexes franchissent cette étape. Cette intervention conduit ensuite à la conception d’un programme de réadaptation.
L’assureur Great-West, tente aussi de réduire l’absentéisme par le biais d’une communication active, voire d’une intervention avec l’employeur. « Nos programmes d’assurance collective mettent l’accent sur l’intervention rapide », explique Diane Grégoire, directrice associée, Communications-Québec. Mme Grégoire signale que Great-West veut aider les organisations à comprendre les raisons sous-jacentes à l’absentéisme en milieu de travail, à déterminer ce qui peut être fait pour régler une situation avant qu’elle ne devienne chronique.
Sue Reibel, Vice-présidente Règlements Vie et Invalidité, Assurance collective pour l’assureur Manuvie, croit qu’il n’est pas utile d’agir sur l’absentéisme dès les tout premiers jours pour ne pas envenimer les choses pour rien. « Nous recommandons aux employeurs d’attendre au moins trois à cinq jours avant d’intervenir. » Mais les absences non justifiées devraient attirer l’attention des employeurs.
Manuvie propose aussi son aide aux chefs d’entreprises aux prises avec des problèmes d’absences récurrentes les lundis et les vendredis.
L’employeur doit s’y mettre !
C’est un fait, l’absentéisme frappe les compagnies de toute taille. « Il y a trois ou quatre ans les employeurs s’inquiétaient de la hausse de l’assurance médicaments. À présent, ils s’inquiètent de l’augmentation des coûts de l’assurance salaire », constate Julie Cousineau, conseillère principale, assurance collective au sein du cabinet de services-conseils Normandin Beaudry.
Même constat chez Morneau Sobeco, une firme qui représente les employeurs auprès des assureurs en matière d’assurance collective. Toutefois, révèle Gaétan Olivier, conseiller principal, il reste du chemin à parcourir avant que les employeurs ne prennent les choses en main. « Faire des changements, c’est difficile avec certains employeurs mais par contre, on a franchi une première étape puisque tous reconnaissent désormais qu’il y a des coûts importants liés à l’absentéisme », lance-t-il. L’intervention active est essentielle, souligne à son tour
Louis Bernatchez, associé et chef de la pratique d’assurance collective à Montréal pour Morneau Sobeco. À présent, un chef d’entreprise peut et doit mettre en place des processus de gestion et de suivi de l’absentéisme. « Certains avaient l’habitude de se dire que si l’employé est malade et qu’il a un billet du médecin, ils n’ont plus qu’à payer le salaire. Aujourd’hui, quand un employé est absent depuis trois ou quatre semaines, ils cherchent à savoir comment ils peuvent intervenir », souligne M. Bernatchez. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) encourage vivement la mise en place de processus et de politiques internes de gestion de l’absentéisme. Non seulement cela permettrait une meilleure gestion de l’absentéisme mais en plus les chefs d’entreprises pourraient économiser sur leurs coûts d’assurance, estime Simon Prévost, vice-président, Québec. « Il faut que les entrepreneurs définissent eux-mêmes la politique interne. Et l’avantage d’une PME c’est qu’elle peut être flexible et personnalisée. »
Chez Manuvie, on a fait quelques constats depuis deux ou trois ans. Ainsi, les employeurs ont mis au point des outils pour mieux suivre et évaluer les absences de leur personnel. Toutefois, la majorité d’entre eux n’ont pas encore le réflexe de communiquer rapidement avec leurs employés. Au Québec, c’est encore plus marquant. L’engagement est moindre que dans le reste du pays. « Je dirais qu’il y a plus d’employeurs dans le reste du Canada qui se penchent sur la question de l’absentéisme. Au Québec, ce sont généralement les entreprises de plus de 3000 employés qui le feront », fait remarquer Sue Reibel.
Plusieurs chefs d’entreprises hésitent cependant à intervenir craignant les coûts inhérents que cela engage, affirme Mme Reibel. Et parmi les employeurs qui n’ont pas souscrit d’assurance invalidité de courte durée, rares sont ceux qui ont un programme impliquant le gestionnaire de première ligne, déplore-t-elle.
L’argent demeure toujours et encore le nerf de la guerre. Si on ne démontre pas à l’employeur la perte d’argent et de productivité liée à l’absentéisme, il ne bouge pas, soutient Gaétan Olivier, ce que constate également Julie Cousineau.
Retour au travail
Ce que les employeurs ne savent pas toujours, c’est qu’ils ont le droit d’aller chercher des renseignements médicaux et d’intervenir afin d’aider un employé malade à retourner au travail rapidement et dans de bonnes conditions.
Une fois l’intervention faite, la mise en place d’un programme de retour au travail progressif est requise. Mais là encore, ça coince! Nombre de PME n’ont pas les ressources pour accommoder un travailleur. L’employeur va souvent demander à ce que l’employé revienne à 100% ou pas.
Instaurer un tel programme est un réel défi, constate Julie Cousineau. « Pourtant, l’employeur en sortirait gagnant, mais il ne le sait pas », dit-elle. Dans l’industrie de l’assurance, il faut compter en moyenne une semaine de retour au travail progressif pour chaque mois où l’employé aura été absent, note Julie Cousineau. Des délais qui peuvent paraître énorme quand une entreprise ne compte qu’une dizaine d’employés. Dans les petites structures, les employés resteront absents plus longtemps si on ne peut pas les accommoder », déplore Esther Adida.