Le 29 mai dernier, l’action collective menée contre des assureurs de dommages concernant les travaux de restauration après sinistre a encore une fois été rejetée.
La Cour d’appel du Québec a confirmé la décision rendue le 24 février 2022 par le juge Jocelyn Geoffroy, de la Chambre des actions collectives de la Cour supérieure du Québec. La demande d’autorisation d’exercer une action collective contre les assureurs de dommages avait alors été rejetée par le juge Geoffroy.
La juge Marie-France Bich a rédigé la décision au nom de ses collègues Michel Beaupré et Guy Cournoyer, de la Cour d’appel du Québec. Le demandeur Alain Tessier souhaitait obtenir l’autorisation d’intenter une action collective aux noms des personnes assurées par les défenderesses, en l’occurrence 13 compagnies d’assurance de dommages.
Le requérant est représenté par Me François Daigle, du cabinet Daigle & Matte. M. Tessier voulait représenter les assurés qui, à la suite d’un sinistre, se voient offrir le choix d’un entrepreneur lié par une clause de ristourne monétaire avec l’un ou l’autre des assureurs visés par l’action collective.
Le recours avait pour fondement « l’utilisation d’un stratagème allégué qui consiste, pour les compagnies d’assurance défenderesses, de proposer une liste préétablie d’entrepreneurs pour l’exécution des réparations après sinistre à leurs assurés, en ne divulguant pas à ces derniers qu’il existe des ententes signées avec ces entrepreneurs à l’effet que ceux-ci, en échange du mandat de réparations, doivent verser une ristourne monétaire aux compagnies d’assurance »
Le jugement de première instance détermine que la demande d’autorisation ne peut être accordée, car le tribunal estime que l’action collective ne répond pas aux quatre conditions exigées par l’article 575 du Code de procédure civile. Les faits allégués ne soutiendraient pas les conclusions recherchées, ajoute le juge Geoffroy.
La Cour d’appel confirme la validité de cette conclusion en indiquant que l’action collective envisagée se fonde « essentiellement sur des conjectures et des spéculations, c’est-à-dire un échafaudage d’hypothèses et de suppositions reposant sur quelques faits insuffisants à la démonstration d’un syllogisme juridique défendable ».
Le cas du requérant
Le cas de l’appelant Alain Tessier est résumé par la Cour d’appel. Il a lui-même utilisé les services de l’entrepreneur que l’assureur lui proposait à la suite d’un dégât d’eau à son domicile, survenu en mai 2007. Il a découvert le « stratagème » qu’il dénonce en 2019, soit que « l’entrepreneur était lié par une clause de ristourne avec la défenderesse à cette même époque ».
En première instance, la demande d’autorisation était rejetée concernant la plupart des assureurs mentionnés dans la requête. Le tribunal soulignait que M. Tessier a continué de renouveler son contrat auprès du même assureur. L’indemnité réclamée lui a été entièrement versée.
De plus, la requête indiquait qu’une portion des membres du groupe risque de payer davantage pour des travaux dont le coût dépasserait la couverture d’assurance. Le tribunal indique que cela ne constitue pas un préjudice indemnisable. Il ajoute que ce cas de figure ne correspond pas à la situation de M. Tessier et qu’il n’a donc pas l’intérêt juridique requis pour représenter le groupe.
Concernant les allégations factuelles de la demande d’autorisation, la Cour d’appel souligne que même si l’existence des ristournes pouvait être tenue pour avérée, et même si les assureurs n’informent pas les clients de leur existence, le lien allégué entre ces ristournes et leur impact sur les indemnités, la prime ou sur la couverture d’assurance n’est pas démontré.
Doublement spolié
Me Daigle a tenté d’expliquer le double problème dans son mémoire soumis à la Cour d’appel. « L’assuré serait doublement spolié : la prime ne serait pas ajustée à la véritable couverture d’assurance, et ce, en raison de la ristourne, une ristourne que l’assureur récupère par ailleurs sans en faire bénéficier l’assuré », lit-on au paragraphe 49 du jugement de la Cour d’appel.
Les juges d’appel soulignent que cette théorie n’est pas soutenue par les allégations factuelles de la demande d’autorisation et se fonde entièrement sur des suppositions.
Un article publié dans le Portail de l’assurance est utilisé par le requérant de l’action collective, selon ce qu’on peut lire au paragraphe 51. Il s’agit en fait d’un article publié dans FlashFinance.ca en 2009, où il est question des sinistres en automobile.
Selon la Cour d’appel, cet article ne fait que montrer que les assureurs sont conscients « de la tentation à laquelle les entrepreneurs (et l’on parle ici des entrepreneurs en général), c’est-à-dire d’exécuter à fort coût des travaux payés par un assureur ». En conséquence, les assureurs préfèrent utiliser les services d’entrepreneurs de confiance qu’ils ont sélectionnés afin de créer un réseau qu’on estime fiable. Les coûts sont donc moins élevés, ce qui est à l’avantage de tout le monde, y compris les assurés.
Dernière allégation
Il ne reste alors que la prétention du requérant concernant l’utilisation de la ristourne utilisée par les assureurs pour réduire leurs frais d’exploitation, et ce, sans donner aux assurés le bénéfice de cette somme par une baisse des primes et sans les informer du stratagème. « Or, c’est là une allégation qui, encore une fois, relève de la supposition, voire de la spéculation », indique la Cour d’appel.
« Il s’ensuit que, aucun lien particulier ne transparaissant entre les ristournes et le montant ou la valeur des indemnités ou entre les ristournes et les primes, la réclamation que l’appelant voudrait faire valoir se trouve privée de ses fondements », lit-on au paragraphe 64.
« Les faits allégués et tels qu’ils sont allégués ne paraissent tout simplement pas soutenir les conclusions recherchées », souligne le tribunal d’appel.
Les assureurs intimés estiment que le requérant de l’action collective souhaite leur intenter une commission d’enquête. La juge Bich indique qu’elle est tentée de voir cette action comme une vaste « expédition de pêche » qui servirait à établir « le fondement d’une réclamation qui en est dépourvue ». Le jugement de première instance ne sera pas révisé, conclut-elle.
En Cour supérieure
La décision de la Cour d’appel est plus longue (30 pages) que celle du juge de première instance, datée du 24 février 2022. La demande d’autorisation avait été soumise le 11 décembre 2020.
Le juge Geoffroy soulignait alors qu’en septembre 2020, le procureur du requérant avait écrit à l’ensemble des avocats des défenderesses pour leur demander de lui confirmer si les assureurs avaient actuellement ou par le passé concluent des ententes de ristournes avec les entrepreneurs.
« La seule preuve d’existence possible de telles ententes offertes avec les défenderesses en question résiderait dans le fait que ces défenderesses n’ont pas répondu à sa correspondance », lit-on au paragraphe 48 du jugement de février 2022. La demande d’autorisation concernant huit assureurs a alors été rejetée.
Il restait alors à analyser le cas des cinq derniers assureurs visés par l’action collective. Le tribunal cite une décision de la Cour d’appel rendue en 2008 dans l’arrêt Option Consommateurs contre Novopharm, dans un litige où il était question de ristournes par les fabricants de médicaments.
Selon le juge Geoffroy, la demande d’autorisation ne contient aucune allégation suggérant que les assurés, au moment de souscrire à une police d’assurance, « basent leur décision sur la façon dont les assureurs gèrent leurs coûts d’opération liés au règlement des sinistres ».
Joint par le Portail de l’assurance, le 9 juin dernier, Me Daigle indique que le cabinet examine encore la possibilité de soumettre le litige devant la Cour suprême du Canada.