Le 30 octobre dernier, le juge Louis Charette, du district de Terrebonne de la Cour supérieure du Québec, a condamné Industrielle Alliance, Assurance auto et habitation à verser le solde de la créance hypothécaire de la sinistrée à son prêteur.
L’assureur estimait qu’il n’avait pas à payer l’indemnité après avoir annulé la police d’assurance du propriétaire occupant. La sinistrée n’occupait pas les lieux au moment du sinistre. La décision du tribunal couvre les deux recours.
Le premier recours était intenté par la sinistrée, Annie Haché, qui poursuivait l’assureur pour obtenir les indemnités reliées au sinistre survenu le 23 février 2019 à sa résidence de Terrebonne. Son créancier hypothécaire, la Caisse Desjardins du Sud-Ouest de Montréal, était mis en cause dans cette requête.
De son côté, la Caisse poursuivait elle-même l’assureur pour obtenir le solde de sa créance hypothécaire. iA conteste le recours du prêteur qui serait prescrit. Si la Cour en décide autrement, l’assureur ajoute que la Caisse ne respecte pas son obligation de l’aviser de circonstances aggravant le risque puisque le créancier hypothécaire sait que l’assurée n’habite plus la résidence.
Industrielle Alliance (iA) maintient qu’elle est en droit de résilier rétroactivement le contrat, car elle a appris qu’au 1er octobre 2017, Mme Haché n’est plus la propriétaire occupante au sens du contrat. L’assureur ajoute que s’il en avait été avisé, la police n’aurait pas été renouvelée. Les déclarations de l’assurée lui permettent de nier la couverture.
Le contexte de l’affaire demeure particulier, car ladite résidence servait pour une garde partagée entre septembre 2014 et octobre 2017. L’assureur était au fait de la situation. L’incendie survient le 23 février 2019 alors que l’assurée n’occupe pas les lieux. L’assureur soupçonne un acte criminel, mais Mme Haché n’est pas du tout soupçonnée dans cette affaire.
Résiliation
Pour trancher les litiges, le tribunal a répondu à sept questions. La première concernait le droit de l’assureur de résilier la police à une date rétroactive.
La propriétaire a acquis la résidence en décembre 2011 et elle y emménage avec son conjoint et leur fils l’année suivante. Le couple se sépare en 2013. L’assurée demeure seule avec le fils dans la résidence jusqu’en septembre 2014. Durant les trois années suivantes, chaque parent occupe la résidence une semaine sur deux. Quand elle n’a pas la garde du fils, la propriétaire habite un appartement qu’elle loue.
Ce n’est qu’en décembre 2016 que l’assurée prévient l’assureur de la situation familiale. Elle prévoit que l’occupation à temps partiel se poursuivra pour encore quatre années, le temps que le fils termine ses études secondaires. Le représentant de l’assureur suggère d’ajouter une couverture d’assurance responsabilité civile au nom de l’ex-conjoint, ce qui est accepté.
La résidence demeure sa résidence principale une semaine sur deux. Des extraits de la conversation avec l’agent de l’assureur sont publiés dans le jugement.
La police couvre le risque du propriétaire occupant. Le jugement résume la couverture prévue au contrat. L’intention de l’assureur demeure de couvrir le propriétaire d’une maison qui y habite.
À partir d’octobre 2017, la mère et son fils habitent l’appartement loué. Elle n’occupe plus la résidence. Elle s’y rend une ou deux fois par mois pour y souper avec son fils et son ex-conjoint. Ce dernier y demeure et contribue à certains frais.
Le tribunal conclut que l’assureur démontre qu’au moment du sinistre, l’assurée ne correspond pas à la définition de propriétaire occupante au sens de la police et que le risque n’est pas couvert.
Négation de la couverture
La deuxième question tranchée dans le jugement concerne l’article 2466 du Code civil du Québec concernant les circonstances aggravant le risque. Est-ce que les déclarations de l’assurée permettent à iA de nier la couverture prévue au contrat ?
Le tribunal affirme que l’assureur ne fait pas la preuve des circonstances de la souscription de la police en 2012. La cliente a informé l’assureur lors de leur dernière conversation qu’elle habitait la résidence assurée une semaine sur deux. L’agent de l’assureur n’a posé aucune question sur l’ex-conjoint.
Lors du renouvellement, l’assureur n’a posé aucune question à la cliente concernant ses démarches pour trouver un nouveau créancier hypothécaire, ses revenus et ses dettes. L’assureur ne peut donc prétendre qu’il y a eu aggravation du risque lui permettant de nier la couverture. De plus, lors d’une visite de la résidence avec l’expert en sinistre retenu par iA, la cliente a répondu franchement aux questions.
La réclamation
Le montant de l’indemnité d’assurance s’établit au moment du sinistre. L’assurée soumet une réclamation qui dépasse 558 000 $, dont près de 434 000 $ pour le coût de reconstruction. Le devis soumis par l’estimateur de l’assurée comporte plusieurs lacunes relevées par le tribunal.
De son côté, l’assureur fournit sa propre estimation du coût global de reconstruction, établi à près de 238 000 $. En soustrayant la dépréciation, le tribunal estime ce coût à près de 208 000 $.
Les autres montants réclamés par l’assurée sont pour la plupart rejetés ou fortement réduits par le tribunal, qui estime l’indemnité d’assurance à 235 368,39 $. Un montant de 53 287,68 $ est soustrait en raison de la saisie en main tierce par le ministère du Revenu.
Les dommages
L’assurée réclame des dommages qu’elle estime à plus de 60 000 $, attribués à l’assureur à la suite de la résiliation de la police, dont 40 000 $ en dommages moraux. Le juge Charette ne retient pas la réclamation, car l’assurée ne prouve pas de faute de la part d’iA dans la gestion de la réclamation. S’il y avait eu faute, ces dommages moraux auraient été réduits à 2 500 $ par le tribunal.
Les sommes réclamées pour les honoraires extrajudiciaires de l’avocat de l’assurée sont aussi rejetées. S’il est vrai que l’assureur soulève tous les arguments à sa disposition pour nier la couverture, le tribunal ne peut conclure à un abus de procédures.
Les sommes réclamées pour la perte de salaire sont aussi rejetées. L’assurée ne peut réclamer la somme correspondant au temps qu’elle consacre à collaborer à l’enquête de l’assureur, une activité qui relève de son obligation contractuelle en vertu de la police.
La prescription
Le recours du créancier hypothécaire contre l’assureur est-il prescrit ? Les conditions particulières de la police identifient la Caisse Desjardins comme créancier hypothécaire et prévoient que l’indemnité lui est payable. Ce droit n’est pas contesté par iA, mais l’assureur prétend que le recours s’avère prescrit puisque le recours hypothécaire de Desjardins contre la cliente en recouvrement de la créance est prescrit.
Le tribunal rappelle les différentes règles du Code civil touchant la prescription, incluant celles touchant la reconnaissance de dette et les demandes en justice.
L’institution financière a renouvelé l’hypothèque pour un an en avril 2016 et à nouveau en 2017. Au printemps 2018, l’hypothèque n’est pas renouvelée. La cliente continue ses paiements mensuels jusqu’en septembre 2018. À partir de là et jusqu’au sinistre de février 2019, les paiements ne sont pas faits.
La Caisse intente son recours contre l’assureur le 2 juin 2020. L’assurée intente son action le même mois contre l’assureur en nommant le prêteur comme mise en cause.
L’assureur prétend que puisque Desjardins ne dépose qu’un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire, lequel est daté du 4 janvier 2019, mais qu’elle n’intente pas de recours en délaissement forcé et prise de paiement contre Mme Haché, l’obligation de cette dernière envers le prêteur est prescrite de sorte que son recours contre l’assureur est aussi prescrit.
Le tribunal estime cet argument mal fondé. Le recours de Desjardins n’est pas un recours hypothécaire. Il est fondé sur la police qui nomme le prêteur comme ayant droit au bénéfice de la couverture.
Le prêteur mandate le débiteur d’assureur l’immeuble, ce qui crée deux rapports contractuels distincts si la police comprend la clause de garantie hypothécaire : le premier entre l’assureur et le débiteur, et le deuxième entre l’assureur et le créancier hypothécaire, rappelle le tribunal. La Caisse devient donc elle-même une assurée et son recours ne peut être prescrit.
Le tribunal ajoute que l’action de la cliente contre l’assureur a interrompu la prescription. C’est la même chose qui se produit en raison de la reconnaissance par Mme Haché de sa dette envers Desjardins. Le recours de la Caisse n’est donc pas prescrit.
Risque aggravé
Est-ce que la Caisse a manqué à son obligation en n’avisant pas l’assureur de l’aggravation du risque relié au changement d’adresse de l’assurée ? Le tribunal cite la doctrine qui confirme que la clause hypothécaire met le créancier à l’abri des omissions et déclarations inexactes de l’assurée ou du débiteur hypothécaire.
L’assureur allègue que le prêteur sait que dès février 2015, la cliente a fait un changement d’adresse et qu’elle n’habite plus la résidence. En n’avisant pas l’assureur d’une circonstance aggravant son risque, la Caisse aurait manqué à son obligation envers iA.
Le tribunal rejette cet argument pour trois raisons. Premièrement, l’assureur tente indirectement de reprocher au prêteur des gestes de son assurée, ce que le premier paragraphe de la clause hypothécaire interdit.
Deuxièmement, le changement d’adresse a été fait auprès d’une autre caisse. Aucune autre modification n’est faite au dossier et la débitrice demeure propriétaire et responsable de l’hypothèque. Enfin, dès mai 2015, l’assurée a avisé l’assureur de son changement d’adresse.
En plus, dès décembre 2016, l’assureur est informé que l’assurée n’occupe plus la résidence qu’une semaine sur deux. Malgré cela et même en ayant plus d’information que le créancier, l’assureur n’effectue aucune vérification et ne prend aucune mesure pour résilier la police.
Le tribunal conclut que la Caisse n’a pas commis de faute qui permette à l’assureur d’écarter la couverture d’assurance prévue à la clause de garantie hypothécaire.
L’indemnité retenue
Le recours de l’assurée est rejeté tandis que la demande reconventionnelle de la Caisse contre l’assureur est accueillie.
Le tribunal estime à près de 222 000 $ la somme payable par l’assureur au prêteur, soit le montant du solde en capital plus les intérêts courus depuis le sinistre. S’ajoutent à cela l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle à compter du 10 février 2020.
L’assureur voulait aussi déduire du montant de l’indemnité payable la somme saisie par Revenu Québec. Le tribunal rappelle que l’avis de Revenu Québec réfère à une somme payable par Mme Haché à titre de débitrice.
Le juge Charette ajoute que la saisie s’adresse à l’assureur à l’égard de toute somme payable à la cliente. Elle ne vise pas les sommes que l’assureur doit payer au créancier hypothécaire. Le lien contractuel ne peut constituer une « autre sûreté » faisant en sorte que Revenu Québec aurait droit au montant de l’indemnité payable à la Caisse.