Le 4 avril 2019 en Montérégie, un incendie criminel sur un immeuble causé par un mineur en fuite a entraîné une réclamation de 158 502,56 $ à l’assureur SSQ, Société d’assurance-vie. Trois ans plus tard, l’assureur vient d’être autorisé par le tribunal à poursuivre son recours contre la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). 

Le mineur a reconnu sa culpabilité aux chefs d’accusations criminelles qui pesaient contre lui. L’assureur a envoyé un avis d’engagement de responsabilité au défendeur dès le 3 juin 2019. 

En janvier 2022 au nom de la DPJ de son territoire, le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Est a déposé une requête en rejet d’action pour irrecevabilité. Le 14 juin dernier, le juge Jean-Guy Dubois du district de Saint-Hyacinthe de la Cour supérieure a rejeté la requête du CISSS. 

Les positions 

Selon le défendeur, la faute reprochée a été commise dans l’exécution des responsabilités conférées à la DPJ et aux membres de son personnel, lesquels profiteraient de l’immunité de poursuite conférée par l’article 35 de la Loi sur la protection de la jeunesse

Cet article précise que le directeur et toute personne qui agit en son nom « ne peuvent être poursuivis en justice pour des actes accomplis de bonne foi ». Le défendeur allègue qu’aucune faute de mauvaise foi intentionnelle n’est avancée par l’assureur. 

De son côté, l’assureur poursuit le centre jeunesse qui avait la garde du jeune mineur, lequel est responsable de l’incendie criminel qui a endommagé l’immeuble et entraîné la réclamation auprès de la SSQ (maintenant Beneva). La compagnie d’assurance et demanderesse est subrogée dans les droits de ses assurés et elle a ainsi intenté un recours contre le défendeur. 

L’article 1460 

Selon le tribunal, le CISSS ou ses préposés étaient gardiens du mineur conformément à l’article 1460 du Code civil du Québec. À ce titre, ils sont tenus de réparer le préjudice causé par le mineur. 

Cet article se lit comme suit :

« La personne qui, sans être titulaire de l’autorité parentale, se voit confier, par délégation ou autrement, la garde, la surveillance ou l’éducation d’un mineur est tenue, de la même manière que le titulaire de l’autorité parentale, de réparer le préjudice causé par le fait ou la faute du mineur. » 

« Toutefois, elle n’y est tenue, lorsqu’elle agit gratuitement ou moyennant une récompense, que s’il est prouvé qu’elle a commis une faute. » 

La situation du mineur sous la responsabilité du défendeur n’est pas contestée, constate le tribunal. L’article 1460 établit la présomption de faute du gardien du mineur. Ce mineur a commis une faute et celui qui en a la responsabilité doit réparer le préjudice, ajoute le juge Dubois. 

À aucun endroit dans les articles pertinents de la Loi sur la protection de la jeunesse, « on peut voir le pendant de l’article 1460 du Code », indique le tribunal en concluant que rien n’empêche la demanderesse de poursuivre la DPJ.

L’avocate Béatrice Boucher, du cabinet Casavant Bédard, représente la compagnie d’assurance dans ce litige. Elle a refusé de commenter le dossier puisque le fond du litige n’a pas été entendu par le tribunal. 

Me Andréa Ruel, de Borden Ladner Gervais, représente le CISSS dans ce dossier, et elle a aussi refusé de commenter le dossier. Il n’a pas été possible de savoir si la décision du 14 juin rendue par le juge Dubois sera portée en appel. 

Jurisprudence 

Selon la jurisprudence consultée, la DPJ arrive généralement à faire reconnaître l’immunité relative inscrite par l’article 35. Même dans les cas où cette immunité est levée, le demandeur doit prouver la mauvaise foi ou l’intention malveillante. La démonstration n’est pas facile à faire. 

« La notion de mauvaise foi peut et doit recevoir une portée plus large englobant l’incurie ou l’insouciance grave », rappelait le juge Louis LeBel de la Cour suprême du Canada en 2004 dans l’arrêt Finney c. Barreau du Québec.

« L’insouciance grave implique un dérèglement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir, à tel point qu’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi. L’acte, dans les modalités de son accomplissement, devient inexplicable et incompréhensible, au point qu’il puisse être considéré comme un véritable abus de pouvoir par rapport à ses fins », ajoutait le juge LeBel. 

Dans les décisions consultées, on précise que la responsabilité des représentants de la DPJ doit être examinée sous un angle très précis, celui de la mauvaise foi ayant causé des dommages.

« La mauvaise foi n’a pas été prouvée, même si les comportements des intervenantes ont été fautifs à plusieurs égards », écrivait la juge Marie-Christine Laberge dans un jugement rendu par la Cour supérieure en janvier 2011 où la DPJ et les centres jeunesse de la Montérégie étaient poursuivis en responsabilité civile par un couple.

Dans ce dossier, le tribunal a rendu jugement sans frais pour les demandeurs, même si leur recours était rejeté. « Le demandeur avait raison de dénoncer les comportements des intervenantes de la DPJ et le tribunal ne le condamnera pas aux frais de l’action », ajoutait la juge Laberge.

Nous avons trouvé d’autres décisions similaires où le tribunal n’a pas condamné les demandeurs aux frais de justice, même si leur recours envers la DPJ était rejeté.

« Il aurait été inapproprié et même injuste, eu égard à l’ensemble des circonstances, que le demandeur soit exposé à payer des dépens de plus de 50 000 $ à des parties représentées par un procureur mandaté par un organisme de l’État », écrivait le juge Pierre Ouellet dans un jugement du 9 mai 2011 impliquant la DPJ.