Le tribunal donne raison à la compagnie d’assurance, qui pourra obtenir les détails des notes d’honoraires d’avocats que leur réclament les demanderesses.
En août 2024, une poursuite de 293 173,45 $ est intentée devant la Cour supérieure du Québec par Le District résidentiel, le syndicat de copropriété d’un immeuble à condos situé dans le quartier Sainte-Foy, à Québec. Le 11 mars 2023, un dégât d’eau survenu dans une unité avait causé des dégâts à l’immeuble.
Les parties qui sont poursuivies, soit la copropriétaire de l’unité et deux sociétés privées, avaient demandé l’aide d’Intact compagnie d’assurance après avoir reçu des mises en demeure. Intact avait refusé de prendre fait et cause pour les demanderesses, Jocelyne Savard, Société d’investissement Gilbert, l’entrepreneur qui a construit l’immeuble, et Gilbert Immobilier, une société de portefeuille dirigée par le même entrepreneur.
En août 2024, Intact informe l’entrepreneur qu’il accepte de le représenter. Puis, le 20 décembre 2024, l’assureur accepte de représenter les deux autres demanderesses.
Devant la Cour du Québec, le 27 février 2025, les demanderesses réclament une somme de 51 465,48 $ à l’assureur, correspondant aux honoraires extrajudiciaires et aux dépenses encourues entre le 8 mai 2023 et le 20 décembre 2024.
Le 20 mars 2025, les demanderesses déposent les pièces justifiant leur réclamation, mais les notes d’honoraires n’en font pas partie. L’assureur les réclame. Les demanderesses transmettent les documents, mais ils sont partiellement caviardés.
Le caviardage est un procédé qui consiste à enduire de noir les passages d’un document pour les rendre illisibles.
Les demanderesses arguent l’exception du secret professionnel et disent avoir caviardé les informations protégées qui n’ont aucun lien avec l’objet du litige dont est saisi le tribunal.
De son côté, Intact allègue que les demanderesses ont renoncé partiellement au secret professionnel et que la communication intégrale des notes d’honoraires est essentielle à sa défense. La version transmise ne lui permet pas de vérifier si les honoraires sont reliés au dossier et s’ils sont raisonnables, ajoute l’assureur.
Analyse de la cour
Les notes caviardées et les notes originales ont été déposées à l’attention exclusive du tribunal en vue de l’audience tenue le 10 septembre 2024. Dans son jugement rendu le 24 septembre 2025, le juge Dominic Rioux donne raison à la compagnie d’assurance.
Son analyse résume les règles qui doivent guider le tribunal dans son évaluation du secret professionnel, un droit fondamental. Si les notes d’honoraires comportent des renseignements protégés par le secret professionnel, des limites s’imposent au privilège reconnu aux demanderesses. Le respect du droit de l’assureur à une défense pleine et entière doit aussi être considéré, note le juge Rioux.
La levée partielle du secret professionnel n’autorise pas la « divulgation illimitée des confidences » et doit se limiter à ce qui est absolument nécessaire à la défense d’Intact. L’assureur doit pouvoir vérifier si les honoraires sont reliés au dossier et s’ils sont raisonnables.
Sur la forme, la démarche que les parties ont adoptée jusque-là est « exemplaire », selon le tribunal. Le juge souligne que l’assureur ne peut préparer adéquatement ses interrogatoires préalables avec la copie caviardée qui lui a été remise.
Un fardeau irréaliste
Pour évaluer le caractère juste raisonnable des honoraires, le tribunal considère les facteurs énumérés à l’article 102 du Code de déontologie des avocats. Cette disposition établit une présomption simple qui, si elle n’est pas repoussée par une preuve contraire, suffit à établir la justesse de l’effort déployé par l’avocat.
Pour réussir sa contestation, Intact doit renverser cette présomption. « Ce fardeau est une mission irréaliste dans l’état actuel des notes caviardées », indique le juge Rioux. L’une des factures réclamées s’élève à plus de 11 000 $ et le texte est presque entièrement caviardé.
Même si l’assureur peut demander des précisions lors des interrogatoires préalables, il est prévisible de penser que les mêmes objections seront formulées au nom du secret professionnel, estime le tribunal. Il ajoute qu’il ne voit rien dans les informations caviardées qui porterait « démesurément atteinte au secret professionnel ».
En communiquant l’intégralité des notes, on favorise un débat loyal entre les parties. Ultimement, note le tribunal, cette divulgation facilitera les pourparlers permettant d’obtenir un règlement.
Le tribunal accorde 15 jours aux demanderesses pour remettre les notes. Cela leur laisse assez de temps pour modifier au besoin le quantum de la demande introductive d’instance et de limiter la divulgation sans caviardage aux seules notes visées par la réclamation.