Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) sonne l’alarme. Le Canada et ses assureurs ne sont pas prêts à affronter un méga-séisme.Pour appuyer ses dires, l’organisme de lobbying a commandé une étude à la firme de modélisation des risques AIR Worldwide, pour démontrer les dégâts qui pourraient être causés par des secousses sismiques en Colombie-Britannique et au Québec.

Le Canada enregistre 4 000 tremblements de terre par année, indique l’étude présentée à Ottawa, le 29 octobre. Fort heureusement, la majorité de ceux-ci ne sont pas ressentis.

Toutefois, au cours des trois derniers siècles, le Canada a enregistré 24 secousses de magnitude supérieure à 5,0 sur l’échelle de Richter. Celles-ci sont concentrées dans deux régions : sur la côte ouest de la Colombie-Britannique et dans le sud-est du Québec. On estime donc que 40 % de la population canadienne pourraient être touchés par un tremblement de terre dans ces deux régions.

AIR Worldwide a préparé deux scénarios pour le BAC. Le premier consiste en un tremblement de terre magnitude 9,0, dont l’épicentre serait situé dans l’océan Pacifique, à 75 kilomètres à l’ouest des côtes de l’ile de Vancouver. Un tsunami modeste viendrait frapper l’ile, puis la ville de Vancouver. AIR Worldwide estime qu’un tel évènement causerait des pertes économiques de 75 milliards de dollars (G$) et couterait 20 G$ aux assureurs.

Jayanta Guin, vice-président exécutif à la recherche pour AIR Worldwide, note qu’il y aurait plusieurs dommages collatéraux à la suite d’un tel tremblement de terre. « L’aéroport de l’ile de Vancouver et le Port de Vancouver pourraient être fermés pendant des mois », dit-il.

La destruction causée par un tel évènement pourrait ne pas se limiter à des dommages aux bâtiments. « Le sol de Richmond, en banlieue de Vancouver, est très sablonneux. Un risque de liquéfaction, où le sol sablonneux se liquéfie et cause des affaissements de terrain, serait très présent », dit M. Guin.

Une telle catastrophe a une récurrence de 500 ans. Le dernier mégaséisme du genre a eu lieu dans les années 1700. AIR Worlwide prévoit toutefois qu’il y a 30 % de risques qu’un tel évènement se produise d’ici 50 ans.

Un scénario catastrophe au Québec


Quand on pense tremblement de terre au Canada, la Colombie-Britannique vient tout de suite à l’esprit. La région de Charlevoix, au Québec, est aussi active côté secousses sismiques. C’est pourquoi le BAC a commandé un scénario de tremblement de terre à AIR Worldwide.

 

Le scénario retenu fait état d’une secousse de 7,1 sur l’échelle de Richter dans le fleuve St-Laurent, exactement à mi-chemin entre Baie-St-Paul, sur la Rive-Nord de Québec, et Montmagny, sur la Rive-Sud de Québec. Dans ce cas-ci, tout risque de tsunami est écarté. Les risques de liquéfaction seraient moindres qu’à Vancouver, mais les dommages matériels seraient toutefois majeurs.

AIR Worldwide prédit que des dommages extensifs auraient lieu à Québec, compte tenu de l’âge de plusieurs bâtiments, tant dans la haute-ville que dans la basse-ville de la Vieille Capitale. Dans un tel scénario, la municipalité de Beaupré subirait aussi de très lourds dommages et pourrait même être rayée de la carte. En fait, les dégâts s’étendraient de St-Tite-des-Caps, sur la Rive-Nord, à Berthier-Sur-Mer et Cap-St-Ignace, sur la Rive-Sud. Air Worldwide prévoit aussi que les ponts enjambant la rivière Montmorency sur la route 138 et celui de la route 360 (avenue Royale) subiraient de lourds dégâts.

Des pannes électriques affecteraient la Ville de Québec et sa banlieue pendant quelques jours. Les pannes seraient plus longues pour les communautés à l’est de Québec. Des routes seraient aussi lourdement endommagées entre Baie-St-Paul et La Malbaie. De plus, le pont Pierre-Laporte et le Pont de Québec seraient fermés à la circulation pour un temps considérable.

Air Worldwide n’anticipe pas de problèmes particuliers pour l’aéroport Jean-Lesage si un tel évènement devait survenir. Il en est tout autre pour le Port de Québec, où le risque de liquéfaction est présent. Tout le secteur du Bassin Louise pourrait être mis hors fonction pendant une ou deux semaines.

Un tel tremblement de terre causerait des pertes économiques de 61 G$. La facture pour les assureurs serait de 12 G$. AIR Worldwide estime qu’il y a de 5 % à 15 % de risques qu’un tel évènement se produise d’ici 50 ans.

Une planification primordiale


Le Bureau d’assurance du Canada dit avoir voulu ramener ce sujet à l’ordre du jour, car il estime que tant le pays que l’industrie de l’assurance ne sont pas prêts à affronter un séisme d’une telle envergure. La dernière étude sur le sujet avait été réalisée en 1992 par le réassureur Munich Re, et ne portait que sur la côte ouest-canadienne. Les séismes qu’ont subis Haïti, le Chili, la Nouvelle-Zélande et le Japon ont amené le BAC à se questionner sur le degré de préparation du Canada face à un tremblement de terre majeur.

 

« Le Canada est confronté à un risque énorme auquel nous ne sommes pas préparés, dit Don Forgeron, PDG du BAC. Le cout de l’inaction serait énorme. On pense que les Canadiens partout au pays sont prêts à en discuter. Les inondations de l’été à Calgary et à Toronto ont attiré beaucoup d’aide des organismes de secours. Le verglas de 1998 qui a touché le Québec et l’Ontario a aussi entrainé un énorme effort de collaboration. La Nouvelle-Zélande et le Japon sont plus exposés que nous aux tremblements de terre, mais ils n’étaient pas aussi préparés qu’ils auraient pu l’être. On veut s’assurer que nous ne serons pas pris dans une telle situation. »

Il ajoute que l’intention du BAC n’est pas de promouvoir une protection d’assurance contre les tremblements de terre. « C’est une mesure importante, mais elle ne remplace pas la planification qu’on peut faire en prévision d’un séisme. C’est pourquoi il est aussi important d’avoir des infrastructures publiques résilientes », dit M. Forgeron.

Même s’il affirme que l’industrie de l’assurance n’est pas prête à affronter un tremblement de terre majeur, il souligne que des initiatives ont été mises en place, notamment par la simulation d’un tremblement de terre, à Vancouver et à Charlevoix, mais aussi par l’établissement de nouvelles règles par le Bureau du surintendant des institutions financières. M. Forgeron a aussi dit se réjouir du dernier discours du Trône, alors que le premier ministre Stephen Harper avait annoncé son intention de doter le Canada d’un plan d’intervention en matière de catastrophes naturelles.

Le PDG du BAC se dit aussi préoccupé par la solvabilité du secteur en cas de tremblement de terre majeur. « L’insolvabilité n’est pas une option. On veut s’assurer que nous sommes bien positionnés pour assurer les Canadiens contre des évènements qui n’ont lieu qu’aux 500 ans. Il y a beaucoup de choses à explorer pour assurer la survie du Canada après une telle catastrophe », dit-il.

Il note d’ailleurs que les couts liés aux tremblements de terre majeurs se répercutent sur toute la société. Citant des données de divers organismes internationaux, il a souligné qu’un seul point de pourcentage de pénétration de l’assurance contre les tremblements de terre réduit de 25 % le déficit d’un pays ayant subi un séisme majeur. Aussi, 1 % d’augmentation de la pénétration de ce produit peut réduire de 20 % les couts d’un tremblement de terre. En ce moment, le taux de pénétration de l’assurance contre les tremblements de terre est de 4 % au Canada.