Au début du printemps 2024, le véhicule de l’assuré est retrouvé sur une route secondaire à proximité d’une ancienne carrière. La camionnette a été vandalisée et déclarée perte totale. L’assureur réclame divers documents avant d’indemniser la perte, dont les relevés cellulaires du propriétaire du véhicule et de sa conjointe. Les consommateurs refusent. Le tribunal doit intervenir.
Les arguments des parties ont été récemment entendus par la juge Celestina Almeida à Carleton-sur-Mer, dans le district judiciaire de Bonaventure de la Cour du Québec. Le demandeur, Serge Gallant, est propriétaire d’un véhicule Chevrolet modèle Silverado 2017 1500 Crew Cab. Il a souscrit une police d’assurance valeur à neuf auprès de Promutuel Assurance, qui est la défenderesse dans ce dossier.
Le 26 mars 2024, l’assuré confie le véhicule à un garage de Port-Daniel-Gascons afin d’y faire effectuer son changement d’huile et une vérification des freins. Ce n’est que le 2 avril 2024, au lendemain de la découverte du véhicule abandonné, que l’assuré communique avec l’assureur pour déclarer le sinistre.
Dans les semaines suivantes, Promutuel demande à l’assuré et à sa conjointe de faire une déclaration statutaire qui se tient par visioconférence, le 31 juillet 2024. Le couple souscrit divers engagements, mais il refuse de fournir les relevés de leur téléphone cellulaire des mois de mars et d’avril 2024.
L’assureur n’a toujours pas versé l’indemnité. Le demandeur réclame 38 024,59 $ à l’assureur. Un interrogatoire préalable est mené le 23 juin 2025.
La demande refusée
Un avis d’interrogatoire écrit, daté du 31 juillet 2024, confirme la nature de la demande de Promutuel. L’assureur veut obtenir les numéros de cellulaire, et demande une autorisation d’accès afin que les fournisseurs de téléphonie cellulaire puissent divulguer et transmettre une copie intégrale des relevés téléphoniques, des relevés de messagerie texte, avec les dates et les heures, incluant les appels reçus.
Le demandeur s’oppose, car cela porte atteinte à sa vie privée. Il allègue que la demande de l’assureur est contraire à l’article 2858 du Code civil du Québec. Il soutient que le contenu de son cellulaire est protégé par le principe de la vie privée et que l’assureur ne fournit aucun motif justifiant une telle intrusion à sa vie privée.
Promutuel allègue que l’article 2471 du Code civil précise que l’assuré doit faire connaître à l’assureur toutes les circonstances entourant le sinistre, de même que les pièces justificatives et attester, sous serment, la véracité des renseignements fournis.
Le tribunal est saisi d’une demande pour trancher les deux objections formulées par l’assuré dans le cadre de l’interrogatoire préalable.
Rejet partiel de l’objection
Dans sa décision rendue le 27 octobre dernier, la juge Almeida rejette partiellement les objections faites par l’assuré. Elle lui ordonne de fournir à l’assureur les informations demandées aux questions 17 et 18 de l’interrogatoire préalable, soit les numéros de cellulaire, le nom des fournisseurs et l’autorisation d’accès aux relevés.
Cependant, elle restreint la demande de l’assureur et limite la transmission des relevés à la période du 26 mars au 2 avril 2024. L’assuré disposait d’un délai de 30 jours pour faire suivre les renseignements demandés au procureur de la défenderesse.
Le tribunal rappelle le principe établi voulant que l’assuré désirant être indemnisé doive collaborer avec l’assureur. L’interrogatoire statutaire est relié à cette obligation et il s’avère utile notamment lorsque l’implication de l’assuré dans le sinistre est suspectée.
La jurisprudence et la doctrine confirment que cet interrogatoire statutaire est requis lorsque les réclamations sont invraisemblables et que l’assuré est réticent à déclarer l’ensemble des circonstances pertinentes. L’assureur doit pouvoir interroger l’assuré de manière plus large que le simple sinistre, notamment pour éclaircir certaines circonstances paraissant douteuses. « L’assureur doit toutefois faire montre de bonne foi et ne pas utiliser l’interrogatoire statutaire pour réaliser une partie de pêche », écrit le tribunal.
Dans le cadre de l’enquête menée par l’assureur, ce n’est pas à l’assuré de déterminer ce qui est pertinent ou non. En lien avec le présent litige, le demandeur a déjà signé une panoplie d’autorisations donnant accès aux renseignements financiers et à son historique de réclamations, mais il maintient son refus de fournir les relevés cellulaires.
Autre affaire similaire
L’assureur rappelle qu’il ne demande pas d’avoir accès au cellulaire à proprement parler, ni de le fouiller ou d’en extraire les données de géolocalisation pour en vérifier l’intégrité. Dans une autre affaire impliquant le même assureur tranchée par la Cour en octobre 2021, le tribunal avait d’ailleurs refusé la demande de l’assureur qui réclamait l’accès au cellulaire pour vérifier les données de géolocalisation de l’assuré.
La juge Almeida partage l’opinion de son collègue dans cette affaire quant à l’accès au téléphone cellulaire. Néanmoins, dans le cas présent, la demande de l’assureur est différente. L’assureur vise à cibler le lieu des appels faits et reçus ainsi que les messages textes afin de connaître sa géolocalisation au moment du sinistre.
« Cette information est pertinente pour établir la chronologie des faits du récit relatés dans la déclaration du demandeur. En effet, le véhicule est retrouvé à cinq minutes de distance en voiture de son domicile », note le tribunal.
Concernant le caractère privé des renseignements demandés, le tribunal rejette l’opinion de l’assuré en soulignant qu’il a déjà accepté de fournir les autres renseignements demandés, lesquels sont tout aussi privés.
De plus, il s’agit pour le demandeur d’une troisième réclamation pour une perte totale d’un véhicule. Pour deux d’entre elles, le sinistre a eu lieu peu de temps avant l’expiration d’une couverture d’assurance en valeur à neuf. L’assureur est en droit de s’interroger dans le contexte de cette réclamation.
Cependant, la trame factuelle de l’affaire se déroule du 26 mars au 2 avril 2024. Rien ne justifie la demande de Promutuel d’avoir accès aux relevés complets des mois de mars et d’avril 2024. Le tribunal limite donc la divulgation à la période ci-dessus mentionnée.