À l’avant garde ou une menace pour l’indépendance des conseillers ? C’est dans se spectre que s’inscrivent les réactions au virage de Patrimoine Dundee, qui ne permettra plus à ses conseillers de transiger leurs produits d’assurance par le biais d’autres agents généraux.Les commentaires recueillis par le Journal de l’assurance auprès du réseau des agents généraux sont partagés entre admiration et inquiétude. Certains voient dans le geste de Dundee un présage de ce que sera le prochain modèle de distribution au Canada en assurance. D’autres crient à la menace, tant pour les conseillers que pour les agents généraux, qu’on appelle des MGA en anglais.
Présidente de la Canadian Association of Independent Life Brokerage Agencies (CAILBA), de Financière Hub Financial et de Hub Capital, Terri DiFlorio ne peut jurer de ce que diront ses membres de la nouvelle pratique de Dundee, sauf peut-être : « Oh bon dieu ! »
Plusieurs agents généraux qui traitaient avec des conseillers actifs chez Dundee perdent maintenant cette source de revenus pour des motifs totalement hors de leur contrôle, estime Mme DiFlorio.
Loin de se montrer abattus, des agents généraux ont même révélé au Journal de l’assurance qu’ils voyaient là une occasion de recruter des conseillers de Dundee désabusés par ce virage abrupt. Hub est l’un deux, a lancé Mme DiFlorio.
« C’est une occasion pour nous qui sommes à la fois agent général et distributeur de fonds communs, et qui avons à cœur notre indépendance. » Pas de plan de recrutement systématique chez Hub, ajoute-t-elle. Mais les directeurs régionaux ne se gêneront pas pour faire savoir aux conseillers de Dundee qu’ils peuvent joindre les rangs de Hub. Ils approcheront même ceux avec qui ils ne font pas déjà affaire pour leur faire comprendre qu’ils ont maintenant une option de rechange à ce que Dundee exige d’eux.
Mme DiFlorio ne croit toutefois pas à un exode massif des conseillers de Dundee. « Ceux qui ont de gros portefeuilles d’investissement avec Dundee leur donneront probablement une chance. Transférer un portefeuille de clients en fonds communs n’est d’ailleurs pas une décision que l’on prend à la légère. » Transférer une clientèle en fonds communs d’un cabinet (dealership) à un autre n’est en effet pas une chose facile. Le bloc d’affaires appartient au cabinet et chaque client doit être contacté afin qu’il donne son accord au transfert.
Associé principal de Daystar Financial Group, un agent général présent en Ontario et dans l’Ouest canadien, René Pereux a appris la décision de Dundee entre les branches, il y a un an. Deux conseillers de Dundee avec d’importants blocs d’affaires auprès de Daystar, lui avaient déjà confié avoir subi des pressions de Dundee pour qu’ils « passent » leurs affaires d’assurance à travers Assurances Dundee. « Le conseiller perd le droit d’être indépendant. Dundee essaie de créer un réseau de distribution captif. »
M. Pereux a commencé sa carrière dans le réseau captif qui constituait alors le modèle de distribution dominant des années 80. « Ces réseaux se sont ensuite mis à tomber les uns après les autres pour toutes sortes de raisons. En tant que conseiller indépendant, je vois cette exigence de concentration auprès d’une même entité comme un pas en arrière. »
« Comment enlever des choix, de la flexibilité et de l’indépendance peut-il ajouter de la valeur à l’entreprise d’un conseiller, s’interroge-t-il. Et, plus important encore, comment cela ajoute-t-il de la valeur au client ? »
Aucun MGA ne peut offrir les meilleurs produits et le meilleur service à tout coup, dit-il. Même un MGA avec plusieurs contrats de distribution n’aura pas accès, par exemple, aux produits maisons spécialisés d’un autre MGA.
M. Pereux s’inquiète de voir d’autres cabinets de fonds de grande taille imiter le modèle de Dundee. D’un autre côté, il s’attend à voir les conseillers qui ont leur indépendance à cœur se rebeller contre sa propagation.
Autre associé principal de Daystar, Keith Brown ne croit pas Dundee qui invoque un souci de conformité pour justifier ses exigences envers les conseillers. Tout MGA a une responsabilité fiduciaire en matière de conformité, quel que soit le modèle de distribution qu’il a adopté, ajoute-t-il.
Risque réel
Aussi dirigeante d’un cabinet de fonds, Mme DiFlorio croit que le virage de Dundee va au-delà d’une simple manœuvre pour augmenter ses affaires d’assurance. C’est une stratégie de gestion des risques d’affaires.
« Un cabinet de fonds communs court un réel danger lorsque ses conseillers font affaire ailleurs », croit-elle. Dans ses responsabilités de superviseur, le cabinet a une relation d’employeur à employé avec ses représentants. Il endosse donc chacun d’eux et se retrouvera impliqué même pour une plainte logée pour des affaires conclues ailleurs, explique Teri DiFlorio. « Avec les récents scandales financiers, la probabilité d’une plainte est encore plus grande. »
Hub a déjà été touché par des plaintes émanant de transactions auprès d’autres cabinets, a confié Mme DiFlorio. « Cette situation peut même se produire pour des affaires conclues avant que le conseiller joigne nos rangs. »
Même lorsqu’une plainte pour affaires externes se révèle non fondée, elle demeure un tracas, qui draine le temps et les ressources du cabinet de fonds, ajoute-t-elle.
Malgré ces tracas, Hub n’envisage pas d’imiter Dundee, mais Mme DiFlorio croit que les organismes de réglementation se chargeront de forcer les conseillers en assurance à placer leurs affaires à travers un seul intermédiaire.
Elle s’attend à des changements draconiens des pratiques des conseillers. Le mouvement est déjà amorcé, dit-elle, avec la récente loi sur le blanchiment et la liste des numéros de téléphone exclus. « Dundee est peut-être un pas en avant. »
M. Pereux ne croit pas qu’un organisme de réglementation puisse imposer un modèle d’agent général unique sans avoir à livrer « une chaude lutte » aux conseillers qui se serreront les coudes pour préserver leur indépendance.
La nouvelle politique de Dundee n’a pas encore été implantée au Québec mais le sera d’ici la fin de l’année.
Vice-président et directeur général du Groupe Cloutier, un agent général qui possède aussi son cabinet de fonds, Michel Kirouac est convaincu qu’il sera difficile pour Dundee d’imposer sa politique au Québec. Surtout dans une province où le courtage en assurance vie a 40 ans d’histoire.
Dundee est d’ailleurs solidement enraciné dans l’histoire du courtage d’assurance vie au Québec. La firme a acquis Partenaires Cartier en 2003. Si on remonte la piste jusqu’en 1999, Partenaires Cartier n’était nul autre que Courvie Dubeau, la fusion de deux MGA majeurs, qui ont marqué leur époque au Québec.
M. Kirouac comprend que Dundee veuille limiter les risques d’accroc à la conformité. Mais il ne croit pas qu’un MGA puisse exiger d’être le guichet unique de ses conseillers en assurance vie au Québec sans qu’un organisme de réglementation l’ait imposé. « Je ne suis pas sûr que le c’est cela ou rien fonctionnera. C’est un pari. »
Comme Mme DiFlorio, il croit toutefois que les organismes de réglementation iront dans cette direction et le Groupe Cloutier se prépare à cette éventualité. « C’est en grande partie ce pourquoi nous avons créé notre cabinet de fonds l’an passé. »
Byren Innes pense que les organismes de réglementation imposeront éventuellement ce modèle aux conseillers en assurance. M. Innes est vice-président principal et directeur chez NewLink Group, une firme de recherche stratégique de Toronto, qui se consacre à l’industrie des services financiers. Il croit que c’est un pas important vers la protection du consommateur puisqu’il est plus facile de superviser des affaires concentrées à un seul endroit. Que l’initiative vienne d’un organisme de réglementation ou d’un cabinet, c’est un pas dans la bonne direction.
M. Innes tempère l’argument selon lequel ce modèle limite l’indépendance du conseiller. Selon les études de sa firme, les conseillers placent déjà 90 % de leurs affaires auprès d’un seul agent général. « Il y a l’aura de l’indépendance et la réalité de l’indépendance. »
Il estime même téméraire de la part de firmes telles que Dundee de permettre à leurs conseillers de transiger ailleurs. La crise financière actuelle démontre l’importance de contrôler le risque. Selon M. Innes, cette crise mènera à une réglementation accrue et plus contraignante.
Plusieurs membres de l’Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières (ACCVM) appliquent déjà ces restrictions, dont les filiales bancaires de courtage. Avec la popularité des fonds à garantie de retrait minimum, ils s’intéressent de plus en plus à l’industrie de l’assurance et se demandent comment la concurrencer.
Quel en sera l’impact sur les agents généraux? Pour survivre à la concurrence croissante des membres de l’ACCVM et de l’Association canadiennes des courtiers de fonds mutuels (mieux connu sous l’acronyme de MFDA), les agents généraux doivent se concentrer sur la valeur ajoutée au conseiller.
Consolidation
La pression exercée sur le réseau par l’ACCVM et le MFDA pourrait accélérer la consolidation des agents généraux qui se doteront d’un cabinet de fonds.
Sans compter les membres du MFDA intéressé à acquérir pour étendre leurs activités d’assurance, dont Dundee est un bon exemple. Président d’Assurances Dundee,
Ron Dick affirme qu’il tentera de rapatrier les blocs d’affaires des conseillers qui plaçaient leur assurance à l’extérieur. M. Dick songe même à acquérir des MGA qui transigent un volume important de produits d’investissement à travers Dundee.
Il s’intéresse également à des MGA qui ne travaillent pas déjà avec Dundee et évalue les occasions d’affaires du côté des provinces maritimes, au Québec et dans l’Ouest canadien. Assurances Dundee a déjà de grosses acquisitions sous sa coupe, incluant Central Ontario Financial Group, acheté en 2005, et B Comm Financial acquis en 2007.