Au Canada, les femmes passeraient 24% plus de temps que les hommes en mauvaise santé, selon une étude réalisée par McKinsey Health Institute (MHI), une organisation mondiale dédiée à l’amélioration de la santé humaine. Réduire ces disparités pourrait potentiellement stimuler l’économie du pays de dizaines de milliards de dollars par an d’ici 2040.
Les chercheuses ont établi que les Canadiennes vivront environ 14 ans avec une incapacité, contre 11 ans pour les hommes. Leur santé et leur productivité sont étroitement liées. Leurs ennuis affectent leur capacité à être présentes et productives au travail, ce qui a pour effet de réduire leurs revenus.
L’amélioration de leur état pourrait leur permettre de vivre sept jours de plus en bonne santé chaque année et de contribuer significativement à l’accroissement du produit intérieur brut (PIB) du pays.
« Il existe trois causes profondes à l’origine des disparités auxquelles les femmes sont confrontées en matière de soins de santé : l’efficacité, la prestation des soins et les données », indiquent les auteurs de l’étude. « Il est impératif de s’attaquer à chacune d’entre elles », poursuivent-elles.
L'impact financier des femmes en meilleure santé
Cette étude a permis de quantifier en argent les effets de la réduction de ces inégalités de santé entre les deux sexes. Les chercheuses évaluent ce gain à 37 milliards de dollars (G$) par an pour le Canada, mais croient que cette estimation est sans doute conservatrice en raison du manque de données, qui sous-dénombrent la prévalence et le fardeau de nombreuses affections chez les femmes.
Plus de la moitié des années de vie en bonne santé supplémentaires dont bénéficient les femmes grâce à l’augmentation de l’espérance de vie au cours des deux derniers siècles et 75% des gains de PIB se concrétisent pendant leur vie active, indique l’organisation.
Selon ses travaux, l’écart en matière de santé des Canadiennes par rapport à leurs vis-à-vis masculins a un impact « disproportionné » en termes de perte, en pourcentage du PIB, lorsqu’on le mesure par rapport au PIB prévu pour 2040. Parmi les dix plus grandes économies mondiales, le Canada se classe en cinquième place des pays les plus touchés par la perte de PIB due aux disparités en matière de santé des femmes.
Toujours selon l'étude du MHI, le fait de se concentrer sur certains problèmes de santé touchant uniquement les femmes ou les affectant de manière disproportionnée pourrait permettre d’améliorer les résultats en matière de santé et de générer des gains économiques importants. « En effet, le simple fait de combler l’écart en matière de syndrome prémenstruel, de troubles dépressifs et de migraines entraînerait des retombées de plus de 6 milliards de dollars sur le PIB canadien », affirment les auteures.
Les femmes touchées de façon disproportionnée ou différente
L’organisation a examiné les principaux problèmes de santé de la population canadienne. Elle a constaté que plus de la moitié des dix affections les plus fréquentes touchent les femmes de manière disproportionnée ou différente. Des pathologies peuvent être plus récurrentes chez les femmes que chez les hommes ou entraîner une morbidité plus importante.
Pendant des décennies, expliquent les auteures, la recherche et les essais cliniques se sont principalement concentrés sur la biologie masculine, créant ainsi un modèle « masculin par défaut » pour le diagnostic et le traitement. Or, de nombreux problèmes se manifestent différemment ou passent inaperçus chez la femme, ce qui entraîne des erreurs de diagnostic et/ou un traitement insuffisant.
Le cancer, les maladies cardiovasculaires et les troubles de santé mentale et neurologiques (tels que la migraine) représentent 75% des disparités en matière de santé chez les femmes au Canada.
Des exemples d’inégalités femmes-hommes
L’infarctus est une illustration de ces inégalités. Ses symptômes se manifestent différemment et sont plus difficiles à détecter chez les femmes que les hommes. Résultat, selon la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC, les signes précurseurs d’une crise cardiaque sont passés inaperçus chez 78% des femmes.
Toujours selon l’étude de MHI, environ 75% des femmes subissent des bouffées de chaleur lors de la ménopause, ce qui a des répercussions sur leur productivité, leur bien-être et leurs revenus. Une étude réalisée en 2023 par Mayo Clinic, un groupe médical intégré à but non lucratif aux États-Unis, a estimé que les symptômes de la ménopause coûtaient environ 1,8 milliard de dollars par an aux employeurs américains en temps de travail perdu.
Autre exemple, les rapports provenant de l’Alberta démontrent qu’en moyenne, les femmes consultent au moins 30% plus souvent que les hommes aux urgences pour des exacerbations liées à l’asthme.
Les gains à réduire ces disparités par régions au Canada
Les gains financiers qu’entraînerait la réduction de ces inégalités en santé chez les femmes au Canada varieraient selon les provinces.
Si l’on tient compte de la taille et de la répartition par âge de la population féminine, précise la recherche, des taux de participation au marché du travail, des taux d’emploi et du PIB provincial par habitant, le gain potentiel du PIB au Québec et en Ontario s’élèverait à plus de plus de 20 G$.
L’Alberta (6,1 G$) et la Saskatchewan (1,4 G$) feraient des gains très importants par rapport à leur part de la population nationale. La Colombie-Britannique n’est pas mentionnée.
Dans les régions atlantiques et nordiques, bien que les valeurs économiques soient moins élevées, il y a de nombreux arguments en faveur d’une action ciblée en faveur de la santé des femmes.
« Maintenant qu’on le sait, il faut qu’on s’en occupe »

Gynécologue-obstétricienne, ex-présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec et actuelle directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC), la Dre Diane Francoeur est touchée autant comme femme que médecin par ces inégalités.
« Maintenant qu’on le sait, il faut qu’on s’en occupe. La discrimination au Canada est interdite! », s’exclame-t-elle.
Or, moins d’argent est investi dans les maux des femmes, selon la médecin. Elle cite le cas du syndrome des ovaires polykystiques qui peut provoquer de la douleur deux semaines par mois et ainsi entraîner un absentéisme élevé chez celles qui en souffrent. Mais peu de recherches s’intéressent à ce problème purement féminin, ajoute-t-elle.
En entrevue au Portail de l’assurance, la Dre Francoeur déplore que des ennuis de santé forcent des femmes à prendre leur retraite hâtivement, ce qui affecte leurs revenus de retraite pour le reste de leurs jours.
Ce que pourraient faire les assureurs
Actuellement, dit l’étude du MHI, l'amélioration de la santé des femmes est compromise par le manque de données complètes, ventilées et longitudinales.
Pour la Dre Francoeur, les compagnies d’assurance pourraient jouer un rôle concret pour dénouer cet enjeu. La médecin spécialiste rappelle que durant la COVID, c’étaient les assureurs qui savaient le plus ce qui se passait dans la population.
« Il faut qu’on les embarque dans nos travaux pour la santé des femmes, dit-elle. Au Québec et au Canada, nous avons des chercheurs exceptionnels (…) Si on était capable d’obtenir des compagnies d’assurance un certain profilage pour extraire des problèmes de santé en devenir, nous pourrions faire des interventions afin que les femmes soient en meilleure santé. »
La Dre Francoeur, qui a présidé Sogemec Assurances durant sept ans, souhaite que les assureurs partagent avec des chercheurs en santé les données qu’ils accumulent à propos des médicaments et de l’absentéisme, ce qui en révélerait beaucoup à propos de la santé de leurs assurées.
Elle croit que les assureurs devraient aller jusqu’à subventionner directement des recherches afin de trouver des solutions. « Les femmes doivent être en santé afin qu’elles puissent demeurer longtemps sur le marché du travail et assurer leur autonomie financière. »