Frappé de constater la détérioration de la santé mentale à tous les niveaux dans la société depuis le début de la pandémie, le président de Sun Life Canada, Jacques Goulet, a lancé un appel au leadeurship des entreprises pour faire bouger les choses. Il a tenu ces propos lors de son allocution au Cercle canadien de Montréal, qui s’est déroulé virtuellement le 10 mai 2021. 

Le problème prenait déjà de l’ampleur avant la pandémie de la COVID-19, a rappelé M. Goulet lors de cette allocution. « Une réclamation sur trois (30 %) découle de problèmes de santé mentale », a-t-il révélé. Le président de Sun Life Canada tire ces données de son indice 2019 des demandes d’invalidité de longue durée par diagnostic.

La prépondérance des diagnostics de santé mentale dans les demandes d’invalidité est deux fois celle du cancer (15 %), a ajouté M. Goulet. « Non seulement est-ce la première cause (d’invalidité), mais c’est aussi celle qui connait la plus forte croissance. » M. Goulet dit avoir observé que la présence de cette cause dans les demandes a augmenté de 27 % entre 2014 et 2019. Il note aussi qu’un nombre croissant de Canadiens souffrent de dépression, de troubles bipolaires, de troubles maniaques ou de dysthymie.

Le président de l’assureur s’inquiète de la faible prise en charge de ces troubles mise en lumière par un sondage qu’il a rendu public le 8 décembre 2020. « Nos sondages démontrent que 60 % des Québécois et des Canadiens disent éprouver des problèmes de santé mentale actuellement, et plus de la moitié d’entre eux (54 %) disent ne recevoir aucun soutien médical. »

Parmi les raisons qu’ont données les participants au sondage : ne pas en avoir besoin, ne pas en avoir eu les moyens ou avoir honte de chercher de l’aide. « Il faut que cela change », lance M. Goulet. Il rappelle que les problèmes de santé mentale touchent tout le monde, sans égard à l’âge, la classe sociale, ni la culture d’origine.

Femmes et jeunes plus touchés

La pandémie en a affecté plus que d’autres. Les femmes et les jeunes sont les plus touchés. Parmi les participants au sondage de l’assureur, 62 % des femmes et 74 % des jeunes de 18 à 34 ans ont dit avoir éprouvé des problèmes de santé mentale depuis le début de la pandémie.

Selon M. Goulet, la pandémie a accentué la fusion entre le milieu de travail et la maison. « Il s’avère que cela touche plus fortement les femmes. Des heures de travail plus longues, plus de tâches à la maison, plus de soins à donner à des proches… Tout cela cause un stress additionnel à beaucoup de femmes. On a même vu des femmes avec de jeunes enfants quitter le marché du travail. C’est malheureux et très inquiétant ! »

La situation touche aussi plus fortement les familles, a renchéri Jacques Goulet. Sun Life a organisé un webinaire sur la santé mentale des jeunes et des familles. M. Goulet y assistait. « J’ai été renversé par le nombre de parents qui se disent inquiets, qui voulaient savoir comment aider leurs enfants en détresse psychologique ! » Sun Life reçoit des appels de parents qui demandent du soutien pour leurs enfants en détresse psychologique, révèle-t-il. « C’est du jamais vu ! Tout cela est grave : les enfants sont à risque, et ce sont nos leadeurs de demain. »

Facteurs de hausse

Dans une période de questions et réponses qui a suivi l’allocution de Jacques Goulet, le PDG d’IBM Canada, Claude Guay, lui a demandé quels facteurs ont influencé la hausse des problèmes de santé mentale au pays. « Bien avant la pandémie, nous vivions une crise majeure en santé mentale », a répondu M. Goulet. Les enjeux ? L’isolement social, une structure économique où il y a de plus en plus d’emplois à temps partiel, contractuels, et de gens qui vivent une précarité plus importante, a-t-il énuméré. « Ces facteurs causent du stress, de l’anxiété », ajoute M. Goulet.

En temps de pandémie, l’isolement social et les mesures de confinement ont selon lui rehaussé d’un cran le stress et l’anxiété. Il a aussi évoqué l’enjeu des réseaux sociaux et, surtout chez les jeunes, l’enjeu de l’écoanxiété. « Beaucoup de jeunes s’inquiètent du climat et de l’environnement », dit M. Goulet.

Il constate un point positif de nature à entrainer une augmentation des cas : « Il y a de nos jours une meilleure ouverture à parler de santé mentale, à s’ouvrir et dire qu’on a des problèmes, des besoins. »

Investir et s’investir

Quel est notre rôle comme employeur, comme leadeur ? Un, il faut investir ; et deux, s’investir, dit Jacques Goulet. « Il faut définir une stratégie de santé mentale et investir dans des programmes de soutien en milieu de travail. Bien gérés, ces programmes donnent de bons rendements. »

Le président de Sun Life Canada cite une analyse de la firme Deloitte selon laquelle le rendement médian du capital investi (dans ces programmes) est positif et peut aller de 1,62 $ dans les trois premières années jusqu’à 2,18 $ par la suite.

« Seulement le tiers des employeurs canadiens ont une stratégie en santé mentale, déplore M. Goulet. C’est à nous, les dirigeants d’entreprise, que revient la responsabilité de faire bouger les choses. » Pour sa part, il dit communiquer beaucoup plus fréquemment avec ses employés depuis le début de la pandémie. « Et nous parlons très souvent, très souvent de santé mentale », a-t-il répété.

En réponse à une question de M. Guay sur les meilleurs outils à mettre en place, Jacques Goulet a répondu que plusieurs technologies s’intéressent à la santé mentale, notamment des outils axés sur l’intelligence artificielle. « Nous bénéficions aujourd’hui de plusieurs plateformes virtuelles de consultation à distance », a-t-il ajouté. Il explique que ces plateformes permettent à l’employé de consulter un spécialiste à distance, voire de suivre une thérapie sans intervention humaine.

Leçon de leadeurship de la NBA

M. Goulet a fait écho à une conférence virtuelle à laquelle il a invité Nick Nurse des Raptors de Toronto, en avril 2021. Il a demandé à l’entraineur en chef de l’équipe de basketball membre de la National Basketball Association (NBA) de dévoiler les ingrédients d’une équipe gagnante. Sa réponse : c’est de donner de l’énergie.

« Nick n’a pas parlé d’avoir les meilleurs dépisteurs ni les meilleures stratégies offensives ou défensives, relate M. Goulet. Il a parlé d’énergie. L’énergie qui crée le mouvement et fait avancer les choses. » L’entraineur demande à ses joueurs et tout son personnel d’être des donneurs d’énergie, ajoute le président de Sun Life Canada.

« C’est le message de Nick Nurse que je souhaite vous le transmettre aujourd’hui. Face à une crise de santé mentale grave et sans précédent au pays, on doit se poser en donneur d’énergie, on doit devenir le moteur qui fait bouger les choses, monter au front et montrer l’exemple. »

Les gouvernements, les professionnels de la santé, les assureurs, ont tous un rôle clé à jouer dans la quête d’une solution globale, estime Jacques Goulet. « Et nous, les employeurs, pouvons aussi en faire plus. »

3 000 demandes par jour

Pour donner l’exemple, Jacques Goulet a fait valoir des réalisations de Sun Life en matière de santé mentale. Le président de Sun Life Canada a aussi reconnu qu’il restait encore beaucoup de chemin à parcourir.

Il a dit que l’assureur a toujours priorisé le bien-être de ses employés, encore plus en temps de pandémie. L’assureur dit sonder régulièrement ses employés sur leur état psychologique. Il a mis en place une formation en santé mentale obligatoire pour tous ses gestionnaires. Il a doublé le nombre de journées de contraintes personnelles (congés pour raisons familiales ou personnelles) de 5 à 10 par année. Il offre une couverture de frais de consultation liée à la santé mentale jusqu’à 12 500 $ par année.

M. Goulet a aussi parlé de l’importance d’accompagner tant ses employés que ses clients. « Nous avons récemment lancé un coach personnalisé pour aider employés et clients dans leur parcours en santé mentale. » L’assureur dit avoir conçu une trousse d’outils pour aider les entreprises à mettre au point leur stratégie en ce sens. Elle s’adresse tant aux entreprises qu’aux PME.

Également à l’intention des entreprises et leurs employés, Sun Life a lancé Lumino Santé en 2018. Il s’agit d’une plateforme numérique qui aide entre autres les clients à trouver le professionnel de la santé approprié, disponible au moment de leur choix. Un exercice difficile « surtout en santé mentale », précise Jacques Goulet. « En ce qui concerne la Santé mentale, on note que le nombre de recherches de fournisseurs sur la plateforme Lumino Santé est maintenant de 3000 par jour », a-t-il révélé.

Sauver des milliers de vies

Pour Sun Life, les investissements sont importants « et tout à fait en ligne avec notre raison d’être », souligne son PDG du Canada. De plus en plus de dirigeants partagent cette vision, a-t-il ajouté. Il prend en exemple Via Rail parce que sa PDG, Cynthia Garneau, s’est engagée à prioriser la santé mentale en entreprise. « Elle a intégré la santé et la sécurité psychologiques dans sa stratégie d’affaires. Malgré la pandémie, la santé mentale de ses employés continue de s’améliorer », note M. Goulet.

Quel sera l’avenir du travail ? Quelle que soit sa forme, cet avenir devra être guidé par une solide stratégie en santé mentale, croit Jacques Goulet. « Si le Québec et le Canada veulent rester compétitifs à l’échelle mondiale, on doit agir maintenant », ajoute-t-il. « Soyons les donneurs d’énergie qui mettent les choses en mouvement. Engageons-nous à améliorer nos pratiques en santé mentale et à bâtir des collectivités saines et durables. Ensemble on peut changer et sauver des milliers de vies », a conclu Jacques Goulet.