Ça brasse en assurance crédit. Les assureurs veulent tous séduire les PME alors que de nouveaux joueurs font leur arrivée dans un marché où on joue du coude, malgré une forte croissance.
Les joueurs offrant de l’assurance crédit ont tous les PME dans leur mire. Pourtant, l’assurance crédit tarde à se faire connaître à grande échelle. Seuls quelques secteurs d’activité l’ont adoptée depuis longtemps.

Une concurrence accrue avec l’arrivée de nouveaux compétiteurs, un ralentissement économique appréhendé, une concentration des efforts sur le marché des PME : tous les ingrédients sont réunis pour favoriser un marché mou. Un tel marché se caractérise par une souscription moins sévère et une tarification à la baisse, les assureurs espérant ainsi se tailler une plus grande part de marché.

À l’avantage du client

« L’arrivée de nouveaux joueurs tels Coface et Atradius provoque un effet de rééquilibrage, une baisse des prix et des conditions plus faciles», constate Gérard Philippon, vice-président, assurance crédit à La Garantie.

« Contrairement au marché du cautionnement, mature depuis longtemps, l’assurance crédit est toujours en croissance au pays », observe Antonin Leroux, souscripteur crédit à l’Unique assurances générales. De plus, le marché de l’assurance crédit est mature en Europe. D’où l’intérêt des nouveaux joueurs outre-Atlantique pour le marché canadien.

En entrevue au Journal de l’assurance, en compagnie de Roch Simard, vice-président régional au cabinet du courtier spécialisé Millenium, M. Leroux est d’avis qu’il reste encore beaucoup à bâtir en assurance crédit. Il se dit être littéralement en pèlerinage depuis des mois.

Climat économique favorable

L’assurance crédit s’inscrit dans le cours d’une transaction : « Quand un fournisseur vend à un acheteur, il y a une créance qui en découle, généralement un paiement de 30 à 60 jours. S’il y a faillite ou si le client devient insolvable, l’assurance crédit indemnise le fournisseur », explique Antonin Leroux. Le marché de l’assurance crédit est évalué à 45 M$ de primes au Québec.

Le produit, partie intégrante et incontournable de certains secteurs d’activité tels le textile, la vente au détail, le bois, le papier et l’acier, brille toutefois par son absence ailleurs dans l’économie. Selon l’agent principal chez Atradius, Ian Miller, le climat économique actuel est relativement favorable et le taux de faillites n’est, pour le moment, pas inquiétant.

Certaines difficultés d’entreprise pointent tout de même sur le radar économique, comme celles du constructeur automobile américain General Motors. Les sous-traitants et leurs fournisseurs se ruent alors chez l’assureur, mais il est trop tard. « Avec GM, on sent nettement une éventualité de faillite. Peu de fournisseurs et de sous-traitants du constructeur automobile se sont dotés d’une assurance crédit. Nous recevons beaucoup d’appels depuis six mois », confirme M. Miller.

L’assureur d’origine hollandaise, qui s’est porté acquéreur de la division assurance crédit du groupe allemand Gerling en 2004, fait des affaires au Canada depuis l’an dernier. Il a obtenu ses permis partout au pays, sauf au Québec et à Terre-Neuve. Il espère pouvoir faire des affaires au Québec dès mai prochain.

L’exemple de GM

Antonin Leroux ajoute que, pour les fournisseurs ou sous-traitants du secteur privé liés à GM, on a fermé les vannes : il n’y a plus de couverture possible. « On ne vient pas s’assurer quand la maison brûle… », lance-t-il.

« La fumée s’échappe déjà par les fenêtres », renchérit Robert Labelle, vice-président principal et fondé de pouvoir au Canada d’Euler-Hermes, membre du groupe Allianz et propriété d’Assurance générale de France (AGF). Il signale que sur les 12 faillites répertoriées aux États-Unis en 2005, 11 étaient liées au secteur de l’automobile. Inutile de dire que la faillite d’un joueur important exerce un véritable effet domino sur tous les fournisseurs et sous-traitants qui transigent avec lui. « La grande entreprise a les capacités de s’auto-assurer; pas la PME », rappelle M. Labelle.

Coface est un autre nouveau joueur en assurance crédit. D’origine française et présent dans 60 pays, il compte pour l’instant des bureaux à Toronto et à Montréal. Ce dernier, situé dans l’arrondissement Pierrefonds est, de l’avis de l’agente Michelle Davy, en plein essor.

Mme Davy signale qu’elle a reçu beaucoup d’appels de couverture d’assurance crédit en rapport avec les faillites des chaînes de magasins Fly America et Saan, ce dernier étant surtout établi dans l’Ouest canadien.
Des produits sur mesure, comme des articles d’imprimerie ou des rampes d’escalier, deviennent inutiles si le client ne paie pas. Voilà pourquoi elle recommande que ces fabricants se dotent d’une assurance crédit, croit Mme Davy.

« Le nombre de défaillances augmente clairement lorsque l’économie ralentit. Conséquemment, les entreprises serrent un peu plus les cordons de leur bourse. Ce n’est pas forcément le bon moment de ne pas s’assurer ou de se désassurer! », déplore Gérard Philippon.

Un environnement plus risqué

Les fusions, acquisitions et consolidations suscitent aussi la crainte des sous-traitants des fournisseurs et des détaillants. La Compagnie de la Baie d’Hudson est récemment passée aux mains de l’Américain Jerry Zucker. « Il veut privatiser le magasin à rayons (qui était inscrit en bourse). Il n’est pas Canadien et il ne provient pas du secteur du détail », fait remarquer Robert Labelle, d’Euler-Hermes.

Antonin Leroux estime en outre que le milieu des affaires a subi de profondes mutations. « Il n’y a plus de moralité. Aujourd’hui, faire faillite constitue une décision d’affaires. Ce n’est plus mal vu d’agir en ce sens », dit-il.

« La faillite n’est plus considérée comme le dernier ressort. En conséquence, le risque est devenu très élevé. Selon l’agence de notation Standard & Poor’s, mêmes les entreprises cotées triple A (AAA) ne sont plus à l’abri d’une faillite», ajoute Roch Simard.

Plus d’informations stratégiques

Robert Labelle abonde dans le même sens. « Le système économique a tellement changé. Il y a maintenant beaucoup d’impondérables. Une compagnie qui vend aux mêmes clients depuis dix ans n’est pas vraiment protégée. Ça ne veut pas dire que ces clients-là ne sont pas financièrement en danger. » De plus en plus d’assureurs offrent ainsi des services d’information et de suivi financier, en plus de leur produit d’assurance crédit. C’est le cas de Coface, d’Euler-Hermes et d’Atradius.

« Notre service est un bon protecteur d’affaires. Nous établissons un partenariat avec le client et un suivi des risques que nous effectuons », argue par exemple Robert Labelle. Ainsi, un fournisseur qui apprend qu’un de ses clients est en difficulté peut choisir, selon les renseignements colligés par l’assureur, de retarder une livraison de marchandise.

Certains se félicitent d’avoir contracté une assurance crédit avant le déluge. Roch Simard donne comme exemple le manufacturier international d’articles pour enfants Dorel. Lorsque le magasin à rayons K-Mart s’est placé sous la protection de la loi sur les faillites en 2002, Dorel a émis un communiqué dans lequel il précisait que « le risque de non recouvrement de ses créances était limité, compte tenu de son utilisation efficace d’une assurance crédit et de son contrôle rigoureux du compte de K-Mart. » Le grand magasin a repris, depuis, son rythme de croisière.

L’assurance crédit permet aussi à l’entrepreneur de ne pas perdre le contact avec son portefeuille clients. Contrairement à l’affacturage, où l’assureur achète la clientèle.

L’assurance crédit revêt plusieurs avantages pour les PME. « Pour des entreprises en croissance, le produit stabilise le flux de trésorerie (cashflow). Ce qui contribue à faciliter le financement bancaire », indique Antonin Leroux.

Ian Miller relève aussi que les banques sont plus favorables à soutenir une compagnie qui s’est munie d’une assurance crédit : «Elle rehausse le sentiment de sécurité du banquier.»

Antonin Leroux considère que l’apport de l’assurance crédit peut faire hausser la cote d’une demande de financement en bonne et due forme. « Les banquiers qui financent habituellement jusqu’à 75 % peuvent aller jusqu’à 90 % de la valeur de l’actif. C’est le même actif, mais avec l’assurance crédit, il y a une valeur ajoutée. »

Parfois, les PME sont carrément incitées par leur banquier à regarder du côté de l’assurance crédit. « L’entrepreneur achètera cette couverture si la banque le demande. Car cela renforce la gestion de crédit de l’entreprise », note le souscripteur crédit de l’Unique.

Le prix de l’assurance crédit fait toutefois fréquemment sourciller les entrepreneurs. « Selon mon expérience, je dirais que certains clients trouvent coûteuse l’assurance crédit », fait remarquer Michelle Davy.

Le dossier du client pèse aussi dans la balance. « On se penche sur le secteur d’activité du client, les limites de crédit qu’il demande à sa clientèle, son historique de pertes et ses procédures de crédit. »

Les assureurs conviennent que le coût de l’assurance crédit oscille généralement entre 0,2 % et 1 % du total des ventes de l’entreprise.

Le marché de l’assurance crédit est en plein essor. Mais les assureurs doivent encore sensibiliser la clientèle potentielle. « Au Canada, la perception de cette couverture est toujours fortement liée au risque. Les entreprises n’ont pas encore acheté l’idée que c’est un outil de gestion et de prévention. Le produit doit être présenté au client comme une partie intégrante d’une offre complète en assurance des entreprises », soutient Gérard Philippon.

Qui est admissible à l’assurance crédit? « Tout le marché de la distribution, du détail et de la construction et tous les manufacturiers et fabricants », résume Antonin Leroux. « Tant qu’il y a un compte client, il y a un besoin d’assurance crédit! », explique Roch Simard.