Dans un jugement unanime rendu le 27 octobre dernier, la Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi d’Antoine Ponce et de Daniel Riopel et maintenu la décision rendue par les tribunaux inférieurs dans la saga de la vente du Groupe L’Excellence

Les parties ont été entendues par le plus haut tribunal du pays en janvier 2023. Les appelants tentaient toujours de faire casser le jugement rendu par la Cour supérieure du Québec en août 2018. Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel du Québec en septembre 2021

En première instance, MM. Ponce et Riopel ont été condamnés à payer conjointement la somme de 11 884 743 $ aux anciens actionnaires de L’Excellence, Michel Rhéaume (62 % de la somme) et André Beaulne (38 %). 

Ces derniers ont tour à tour vendu leurs parts en 2006 et 2007, pour une somme totalisant 36,8 M$. Quelques mois plus tard, les appelants vendaient leurs intérêts dans L’Excellence pour un total de 74,28 M$ à l’assureur Industrielle Alliance

Le procès en Cour supérieure s’était étalé sur 19 jours entre le 5 octobre 2017 et le 18 mai 2018. Michel Rhéaume décède avant la fin de son contre-interrogatoire, cinq jours après le début de l’audition sur la preuve. 

Appel rejeté 

La Cour d’appel avait en partie donné raison aux appelants sur la question des devoirs et obligations des appelants envers les intimés. Même si le juge de première instance a « commis une erreur en concluant que les appelants avaient un devoir de loyauté envers les actionnaires, cette erreur n’était pas déterminante puisque le juge s’était également appuyé sur l’obligation d’agir de bonne foi et le devoir d’information pour conclure que les appelants avaient manqué à leurs obligations envers l’intimé », écrivait le juge Jocelyn Rancourt au nom du trio de magistrats de la Cour d’appel. 

La Cour d’appel avait rejeté les prétentions des appelants concernant les six autres motifs soulevés devant elle. 

Les juges de la Cour suprême devaient répondre aux questions suivantes : 

  • La non-divulgation par les appelants de l’intérêt manifesté par l’assureur pour l’acquisition du Groupe Excellence constitue-t-elle une violation d’une obligation contractuelle ou légale de renseignements due aux intimés et, donc, une faute civile ?
  • Si cette faute est établie, les tribunaux inférieurs ont-ils erré en accordant aux intimées une somme représentant les profits réalisés par les appelants, que ce soit par le mécanisme de la remise des profits ou à titre de dommages-intérêts pour compenser le gain dont les intimés ont été privés ?

Une formation de sept juges a entendu les parties le 12 janvier 2023. Le juge Russell Brown ayant entre-temps remis sa démission, le jugement est signé par le juge Nicholas Kasirer au nom des cinq autres magistrats. 

Devoir d’information 

Les actionnaires et intimés ne réclament pas l’annulation de la vente de leurs intérêts dans le groupe aux présidents. Ils insistent plutôt sur l’exécution de bonne foi de l’« Entente des présidents », laquelle était pleinement applicable au moment des faits reprochés. 

Les appelants Ponce et Riopel agissaient comme présidents de L’Excellence, en vertu de « L’Entente des présidents » signée en mars 2002. Le premier fondement juridique du devoir de renseignement qui leur est imposé est donc l’obligation contractuelle implicite de renseignement contenue dans l’Entente. 

L’article 1434 du Code civil du Québec prévoit que le contrat oblige les parties non seulement pour ce qu’elles y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages. En espèce, la nature de l’Entente mène à la conclusion qu’une obligation implicite de renseignement s’y rattache, précise la Cour suprême.

L’Entente commande une loyauté contractuelle réciproque. Elle renforce le degré élevé de confiance que les actionnaires accordaient aux présidents. Ceux-ci étaient tenus à l’obligation implicite de renseignements envers les actionnaires. La non-divulgation de l’intérêt de la société acheteuse contrevient directement à cette obligation implicite. 

Par ailleurs, en vertu de l’article 1375 du Code civil, la bonne foi est une norme législative d’ordre public. La loyauté contractuelle impose à une partie contractante d’agir avec loyauté en tenant compte des intérêts des autres parties au contrat. « Pour cette raison, elle était susceptible de leur imposer un devoir de renseignement », écrit le tribunal. 

« Les intimées pouvaient légitimement s’attendre à ce que les appelants s’abstiennent de toute manœuvre destinée à s’enrichir à leurs dépens », ajoute le tribunal au paragraphe 77 du jugement. 

Les dommages 

La Cour doit déterminer le remède approprié entre la restitution et la réparation. La remise des profits sans prise en compte du préjudice n’est pas un remède approprié en l’espèce, car elle est incompatible avec la fonction compensatoire de la responsabilité civile. Pour justifier l’octroi de dommages-intérêts, la partie lésée a le fardeau d’établir le préjudice subi.

Dans cette affaire, le comportement déloyal des appelants empêche les actionnaires d’apporter cette preuve de préjudice. Au paragraphe 84, le tribunal rappelle que M. Beaulne a tenté de savoir si l’assureur souhaitait acheter ses parts dans le Groupe Excellence en avril 2006. M. Ponce n’a jamais donné suite à cette demande. Les actionnaires ont mené des efforts infructueux pour se renseigner. 

En conséquence, le comportement fautif des présidents fait naître une présomption réfragable que le gain manqué des actionnaires équivaut aux profits injustement engrangés par MM. Ponce et Riopel. 

En août 2018, les sommes dues en calculant les intérêts courus depuis la transaction totalisaient 19,2 M$. À la fin octobre, ce calcul fait grimper le total à plus de 21,3 M$. Les appelants sont aussi condamnés à payer les frais des parties intimées.