Les primes d’assurance de dommages coûtent cher au Canada que dans d’autres pays du G7 ou de l’OCDE. Cela n’est pas de la faute des assureurs, mais de l’interventionnisme des différents paliers de gouvernement, selon une étude publiée par l’Institut C.D. Howe.
Menée par Alister Campbell, chercheur émérite associé à l’Institut, l’étude vient mettre à jour une première évaluation comparative faite en 2021. Intitulée The High Price of Prudence—Benchmarking Canada’s Property and Casualty Industry, l’étude révèle que les Canadiens paient plus que les consommateurs des autres pays développés pour assurer leur propriété et leurs biens.
Dans la première édition de l’étude, on faisait une moyenne avec les primes payées pour la période 2015-2018. Cette fois-ci, les tableaux publiés rapportent à la fois une moyenne pour la période 2020-2022, mais aussi la donnée distincte pour la seule année 2022.
Aux fins de la comparaison, le chercheur utilise le produit intérieur brut (PIB) pour déterminer la valeur des primes payées dans les différents pays. L’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) utilise cette donnée du volume de primes brutes souscrites par rapport au PIB pour mesurer le taux de pénétration de l’assurance dans l’économie domestique. On mesure ainsi toute forme d’assurance qui n’est pas reliée à l’assurance de personnes (« non-life insurance »).
En 2022, les primes brutes souscrites par les assureurs de dommages pour couvrir les biens des particuliers et des entreprises représentaient 1,23 % du PIB du Canada. Dans les six autres pays du G7, la moyenne est de 0,66 % du PIB. Pour les pays développés membres de l’OCDE, la moyenne est de 0,52 % du PIB.
Les primes brutes émises dans les domaines de l’automobile, des biens et de la responsabilité civile au Canada de 2020 à 2022 atteignaient en moyenne 3,2 % du PIB, comparativement à une moyenne de 1,5 % pour l’OCDE et de 2,2 % pour le G7 (à l’exclusion du Canada). Ces résultats indiquent que les primes canadiennes sont quelque peu plus élevées que celles des États-Unis et beaucoup plus élevées que celles des autres pays du G7 et de l’OCDE.
L’exception canadienne
Comparativement à d’autres pays, le Canada fait exception avec les exigences de capitalisation plus élevées imposées par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) pour assurer la solvabilité de tous les assureurs actifs sur le marché, indique-t-on dans l’étude. Le manque de mécanismes gouvernementaux pour partager les coûts des événements catastrophiques, tels que les tremblements de terre, inondations et incendies de forêt impose ces niveaux de capitalisation plus élevés.
Pour l’assurance automobile, en incluant les primes payées par les entreprises, c’est au Canada où les primes payées représentent la part la plus importante du PIB. Pour ce produit, les différences interprovinciales sont plus marquées, en raison de la variété des régimes d’indemnisation.
En assurance habitation, l’Institut souligne qu’il faudra implanter des solutions à l’échelle nationale et développer des partenariats public-privé pour partager le risque qui découle de la facture des sinistres climatiques, qui grimpe encore plus rapidement.
« Les sinistres majeurs survenus en milieu d’année 2024 sont un rappel que les profits accumulés par les assureurs durant les bonnes années servent à financer les pertes catastrophiques des très mauvaises années. Pour la période de l’étude, l’industrie canadienne continue de générer des rendements inférieurs à la moyenne si on la compare aux autres pays développés », indique-t-on.
Faits saillants
Alister Campbell énumère les cinq principaux faits saillants de la mise à jour de son étude :
- Les Canadiens paient toujours des primes de transfert de risque supérieures à la moyenne par rapport à l’indice de référence dans des secteurs d’activité comparables — en fait les plus élevées. Et elles sont encore plus élevées que dans l’étude précédente (en pourcentage du PIB). Cela est particulièrement vrai pour les secteurs d’activité immobilier et automobile.
- Le secteur très concurrentiel de l’assurance commerciale continue d’imposer des prix très conformes à ceux du G7 et d’autres pairs internationaux. Les taux d’assurance responsabilité commerciale ne contribuent pas aux coûts globaux de transfert de risque supérieurs à la moyenne au Canada.
- L’analyse par province révèle d’autres domaines d’intérêt, notamment du côté de l’assurance automobile. Par exemple, les réformes sans égard à la responsabilité introduites par la province de la Colombie-Britannique ont produit des bénéfices rapides et substantiels. Dans d’autres provinces Manitoba, Saskatchewan et Alberta, on voit des primes plus élevées que la moyenne, ce qui contribue de manière significative au résultat global plus élevé du Canada dans ce secteur d’activité.
Il est possible que les Canadiens reçoivent des indemnités d’accident plus élevées que les citoyens de nombreux autres pays. Il est également envisageable qu’une plus grande partie des coûts totaux de traitement des blessures corporelles soit supportée par les assureurs de dommages plutôt que par une couverture de santé privée ou publique achetée ou fournie séparément.
- Pour l’Ontario, on estime qu’elle pourrait réduire ses coûts en contrôlant mieux la fraude aux réclamations et le vol d’automobiles, et que les provinces dotées d’un monopole gouvernemental en matière d’assurance automobile pourraient bénéficier de l’introduction d’une concurrence dans le marché.
- Les primes d’assurance de biens sont plus constantes d’une province à l’autre, mais elles sont constamment élevées par rapport à celles des pays de l’OCDE. L’Alberta a connu d’importants événements catastrophiques depuis 10 ans et les primes sont en conséquence élevées (et en hausse). Les primes immobilières moyennes plus élevées payées par les consommateurs et les entreprises presque partout au Canada suggèrent la nécessité d’adopter des solutions holistiques, par exemple l’établissement de véritables partenariats public-privé pour faire face aux risques extrêmes.
Limites des comparaisons
L’étude rapporte quand même les difficultés des comparaisons menées à l’échelle internationale. « L’analyse comparative utilisant les primes totales est cependant problématique, car différentes juridictions ont des parts de transfert de risque plus ou moins élevées supportées par le secteur privé par rapport au secteur public. »
L’auteur donne l’exemple de l’exception que sont les États-Unis. « Les primes plus élevées de ce pays englobent des secteurs entiers d’activités qui, au Canada, sont entre les mains du secteur public. Il s’agirait par exemple de l’indemnisation des accidents du travail et de l’assurance récolte. »
« C’est pourquoi — dans la première étude et dans celle-ci — nous avons davantage concentré notre analyse sur des secteurs d’activité comparables (responsabilité commerciale, biens et automobile) », explique-t-il.
Par ailleurs, Alister Campbell déplore le manque de données au Canada qui permettent de faciliter la comparaison avec les autres pays de l’OCDE. Il a dû se tourner vers les chiffres fournis par le Bureau d’assurance du Canada pour obtenir des chiffres sur le taux des frais de sinistre et le taux de pertes, les deux éléments qui forment le ratio combiné quand on le compare au volume de primes.
Le Canada ne se classe d’ailleurs pas très bien dans ces deux aspects par rapport aux autres pays de l’OCDE. Le taux des frais de sinistre est de 32 % pour l’industrie canadienne, comparativement à 30,7 % en moyenne pour les pays de l’OCDE.
Les dépenses d’exploitation sont principalement dues aux coûts de distribution. Au Canada, l’étude rapporte que le réseau de courtage maintient des parts de marché plus élevées dans les lignes d’affaires aux particuliers que dans la plupart des économies développées. Mais ce choix des consommateurs d’utiliser les conseils d’un courtier n’est pas le principal élément expliquant l’écart au niveau des primes, précise M. Campbell.
Du côté du taux de pertes (« loss ratio »), la plupart des assureurs partout dans le monde visent la fourchette allant de 60 % à 65 %. Pour la période 2015-2018, le Canada arrivait tout juste à atteindre la cible, avec un taux de pertes de 64,9 %. La situation s’est nettement améliorée durant la période 2020-2022, en raison de la pandémie et aux mesures de confinement qui ont été plus restrictives au Canada que dans plusieurs autres États. Grâce à la diminution de la fréquence des sinistres qui en a découlé, jumelée à des hausses de primes conséquentes, les assureurs canadiens ont réduit leur taux de pertes durant cette période.
Rentabilité sous la moyenne
Des primes plus élevées ne signifient pas pour autant que les assureurs canadiens sont plus profitables. Comme le taux de pertes est dans la moyenne et que le taux des frais de sinistre est plus élevé qu’ailleurs, le ratio combiné des assureurs de dommages ne classe pas le Canada parmi les meilleurs. Le rendement sur le capital au Canada est sous la moyenne des pays de l’OCDE.
L’étude de l’Institut C.D. Howe constate que la concurrence au Canada est relativement plus élevée qu’ailleurs. Le top 20 des assureurs de dommages représentait 83,4 % du marché en 2022. L’indice Herfindahl-Hirschman au Canada est de 638,2. Quand l’indice dépasse 1 500 points, on estime que le marché est moyennement concentré et au-delà de 2 500 points, le degré de concentration est jugé élevé.
« L’initiative promise il y a longtemps et reportée à plusieurs reprises visant à développer un meilleur mécanisme de sécurité des liquidités pour le risque sismique (qui répond à un risque important dans l’ouest et le centre du Canada) se fait désormais attendre depuis longtemps. Tous les Canadiens connaissent un coût de la vie plus élevé en raison de cette incapacité à mettre en œuvre leurs mesures », conclut l’auteur.
Alister Campbell est par ailleurs président-directeur général de la Société d’indemnisation en matière d’assurances de dommages (SIMA, ou PACICC en anglais), mais l’Institut C.D. Howe précise au Portail de l’assurance que son étude n’est aucunement liée ou associée à cette organisation et relève entièrement de son expertise comme chercheur.