Depuis 2021, la solvabilité des régimes de retraite à prestation déterminée oscille autour de 100 %, laissant les coudées franches à leurs promoteurs pour bâtir de meilleurs remparts contre les risques. Une récente augmentation de la valeur des rentes par rapport à celles des obligations leur donnent encore plus de moyens pour lutter contre les risques.
Parmi les risques dont les promoteurs de régimes de retraite cherchent à se prémunir figurent ceux des marchés financiers, de l’appariement de l’actif et du passif, ainsi que celui de la longévité des retraités.
Selon l’Institut canadien des actuaires (ICA), la valeur des rentes par rapport à celle des obligations de sociétés s’est améliorée de 5 % depuis 2018, a signalé au Portail de l’assurance Mathieu Tessier, directeur général principal, relations avec la clientèle et innovation, solutions à prestation déterminée de Sun Life.
M. Tessier tire cette conclusion d’une note éducative de la Commission des rapports financiers des régimes de retraite publiée par l’ICA en mars 2021, et de sa mise à jour d’octobre 2022. Publiée trimestriellement, la note informe sur les hypothèses pour les évaluations de liquidation hypothétique et de solvabilité. La comparaison est effectuée par rapport à des obligations canadiennes de 10 ans.
Meilleur provisionnement en 20 ans
Selon M. Tessier, le résultat de l’amélioration des rentes par rapport à ces obligations « s’avère positif sur les régimes de retraite à prestations déterminées (PD) ». Il estime que cela a contribué à deux tendances récentes.
En premier lieu, les promoteurs de régime revoient leur stratégie quant aux placements à revenu fixe et songent à adopter des solutions plus sophistiquées. Ensuite, le provisionnement de nombreux régimes de retraite s’est amélioré. Sur ce dernier point, Mathieu Tessier note que dans certains cas, le niveau de provisionnement a dépassé les 100 %. « Cela témoigne du fait que les promoteurs utilisent les rentes pour réduire les risques de manière proactive dans un contexte de gestion des risques », soutient l’actuaire spécialisé en régimes PD.
En entrevue avec le Portail de l’assurance, Mathieu Tessier a souligné la bonne nouvelle : « Les régimes sont mieux provisionnés que depuis les deux dernières décennies », a-t-il dit. L’indice de Mercer sur la santé financière des régimes de retraite, qui mesure le degré de solvabilité médian des régimes de retraite PD figurant dans la base de données des régimes de retraite de Mercer, est passé de 109 % au 30 juin 2022 à 108 % au 30 septembre 2022. Dans son commentaire, F. Hubert Tremblay, conseiller principal du domaine Avoirs de Mercer, a signalé que la situation financière de la plupart des régimes n’a que légèrement reculé au troisième trimestre de 2022, malgré l’importante volatilité des marchés.
D’après Mathieu Tessier, la bonne tenue financière des régimes donne l’occasion aux promoteurs dynamiques de changer d’approche, bien qu’il soit impossible de dire combien de temps cette situation durera. M. Tessier estime que les promoteurs de régimes en profiteront pour accentuer leur réflexion et leurs actions à l’égard de la gestion des risques. « On répare le toit quand le soleil brille. C’est le bon moment de passer à l’action et pousser plus loin la réflexion », a-t-il ajouté.
Les rentes s’imposent
M. Tessier mentionne que la situation est encore plus favorable pour les rentes que depuis l’an passé, « après la distraction qu’a apporté la pandémie en 2020 ». La croissance des transactions de transferts de risques (sous forme de rente collective ou d’assurance longévité) a connu une année spectaculaire en 2021. « C’est le résultat de la demande résiduelle de 2020 combiné à la demande de 2021. Nous sommes actuellement en chemin pour une autre année robuste. Il ne serait pas surprenant que ces transactions franchissent la barre des 7 milliards de dollars (G$) en 2022 ». En 2021, le marché canadien des rentes collectives avait atteint des ventes de 7,7 G$.
Selon Mathieu Tessier, la hausse des taux d’intérêt et beaucoup de demandes de la part des promoteurs promettent une croissance soutenue. « Nous ne semblons pas avoir atteint un plateau ». Mathieu Tessier dit que la stratégie de placement en obligations à gestion passive n’est plus aussi attrayante. « Les promoteurs de régime se tournent vers les stratégies de crédit multi-actifs ou se départissent du risque en faveur d’assureurs, dont la tarification de rentes collectives est actuellement très intéressante », explique-t-il.
Spectre de qualité élargi
M. Tessier observe également que les promoteurs de régimes se montrent près à prendre plus de risque dans leur stratégie multi-actifs. « Ils vont plus loin vers le bas dans le spectre de qualité des (titres) de crédit, et vers les placements privés », remarque le spécialiste des régimes PD.
« La stratégie de crédit multi-actifs est une stratégie opportuniste dans le marché des titres obligataires. Elle vise à tirer parti d’occasions de placement dans des titres à revenu fixe d’émissions publiques et privées, de première ou de moindre qualité », explique. M. Tessier. Il souligne que l’ensemble des obligations publiques et privées auquel cette stratégie permet d’accéder est un vaste ensemble d’obligations publiques ou privées sur l’ensemble du spectre de qualité des crédits.
Pas plus risqué
La stratégie de crédit multi-actifs présente selon Mathieu Tessier des opportunités de diversification et de rendement accru qu’elle n’avait pas dans les dernières années. Il ne s’agit pas d’après lui d’une stratégie nécessairement plus risquée pour les régimes de retraite. « Par exemple, quand on prend la base de l’évaluation de solvabilité ou de comptabilité, il y a beaucoup d’exposition de crédit inclue dans la base. Avoir de l’exposition au crédit dans les actifs permet ainsi de bien apparier les actifs avec le passif et de potentiellement réduire le risque lié aux fluctuations d’écarts de crédit », précise l’actuaire.
M. Tessier croit par ailleurs qu’une certaine flexibilité dans le modèle financier des régimes de retraite à prestation déterminée permet cette prise de risque accrue dans la gestion du passif. Les promoteurs peuvent entre autres prendre moins de risques en actions et « recycler cette partie dans les titres à rendement fixe comme les obligations », ajoute-t-il.