La plateforme Global-Watch a récemment dévoilé les huit tendances internationales de 2024 en santé mentale et bien-être au travail observées par son service de veille internationale. Des experts universitaires et des leaders de ressources humaines en entreprise collaborent à cette veille.

Marie-Claude Pelletier

Présidente-fondatrice de Global-Watch, Marie-Claude Pelletier a discuté de ces tendances avec le Portail de l’assurance. Étienne Fouquet, chef, contenus et transfert de connaissances, chez Global-Watch, a aussi pris part à l’entrevue. 

Les risques psychosociaux au travail demeurent prévalents parmi les tendances cernées par Global-Watch en 2024, disent Mme Pelletirer et M. Fouquet. Au Québec, « les employeurs sont déjà là-dedans », lance Marie-Claude Pelletier. Elle rappelle que la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail est venue élargir les obligations de l’employeur. Il devra intervenir s’il observe des situations de risques psychosociaux ou en reçoit le témoignage. 

De son côté, Étienne Fouquet explique que le législateur cible septembre 2024 pour l’entrée en vigueur des obligations réglementaires envers les risques psychosociaux. M. Fouquet ajoute à propos de la Loi que « l’ensemble de l’œuvre s’appliquera en 2025 ».

Trois nouvelles façons de quitter son employeur 

L’influence américaine percole dans le monde du travail, comme en témoignent les néologismes qui abondent dans les tendances de 2024. Sur les travailleurs qui quittent leur employeur : rage quitters, silent quitters et climate quitters se côtoient. Les premiers démissionnent de manière abrupte et émotionnelle ; les seconds réduisent discrètement leur engagement professionnel et leur productivité ; les troisièmes démissionnent parce qu’ils estiment insuffisantes les actions environnementales de leur employeur.

Ces tendances rappellent à Étienne Fouquet le phénomène de la grande démission, nommée une première fois aux États-Unis au début de la pandémie de COVID-19, en 2020. « Ce sont des phénomènes qui se retrouvent théorisés sociologiquement, sans qu’il y ait des données fortes pour appuyer le comportement. »

Ces phénomènes sociaux démontrent ce que beaucoup de personnes ressentent – Étienne Fouquet

Ainsi, quelle est la proportion de ceux qui quittent sans avoir un plan B (rage quitters), parce qu’ils n’en peuvent plus ? « Difficile à dire », répond M. Fouquet. « Ce sont des termes qui naissent à travers les médias sociaux, et les journaux les reprennent. Ces phénomènes sociaux démontrent ce que beaucoup de personnes ressentent », pense-t-il toutefois. 

Éco-émotions 

Marie-Claude Pelletier a quant à elle constaté à quel point le phénomène des climate quitters a évolué depuis un an. « Nous en avions parlé l’an passé dans nos tendances, mais on ne voyait pas grand-chose se passer dans les entreprises. Nous l’avons maintenant observé beaucoup plus », dit-elle. 

Fêtée le 22 avril depuis 1970, la Journée de la terre a été en 2024 l’occasion pour Global-Watch de lancer un outil pour aider les employeurs à faire face à l’éco-anxiété, « car il y a de plus en plus d’éco-émotions en milieu de travail », souligne Mme Pelletier. « Des gens ont de la difficulté à composer avec les émotions négatives reliées aux changements climatiques, et cela affecte leur santé mentale », déplore-t-elle. 

Les employeurs doivent permettre aux employés de canaliser leur énergie dans l’action - Marie-Claude Pelletier 

La présidente et fondatrice de Global-Watch observe que des employés se sentiront en « conflit de valeurs » avec leur employeur au point de démissionner silencieusement ou de quitter. Une situation qui arrivera si un employé attiré par l’engagement environnemental annoncé dans un appel de candidature ne le vit pas une fois à l’intérieur de l’entreprise, explique-t-elle. « Les employeurs doivent permettre aux employés de canaliser leur énergie dans des actions qui généreront un impact positif sur l’environnement », croit Mme Pelletier. 

Des entreprises accorderont du temps à leurs employés pour qu’ils puissent s’impliquer, observe quant à lui Étienne Fouquet. « Des groupes d’employés feront le nettoyage d’un milieu naturel », dit-il. Il qualifie cette tendance de très forte aux États-Unis. « On voit aussi beaucoup d’employeurs permettre aux employés de démarrer des projets liés à l’environnement, comme retirer les pailles en plastique de la cafétéria ou y utiliser des sources de nourriture locales ou bio », ajoute le chercheur. 

Même petite, une impression d’avoir le contrôle sur son anxiété fait toute la différence, estiment Mme Pelletier et M. Fouquet. « Un comité de verdissement ou de sensibilisation à l’économie de l’eau seront des projets porteurs. L’employeur n’a pas la responsabilité de permettre de tels projets, mais si ses employés vivent des conflits de valeurs et sentent que leur travail n’a pas de sens, il en vivra les conséquences », ajoute Marie-Claude Pelletier, en faisant allusion à la baisse de productivité et de qualité du travail.

Mme Pelletier a d’ailleurs vu les programmes d’aide aux employés (PAE) évoluer en ce sens. « Après avoir misé principalement sur les services psychologiques dans le passé, les fournisseurs de PAE les ont progressivement élargis aux conseils en cas de séparation et de divorce ou de difficultés financières. Leurs services s’étendent maintenant à l’éco-anxiété », relate-t-elle. 

Quête de sens 

Étienne Fouquet

Les propos sur la perte de sens au travail sont souvent revenus lors de l’entrevue. La perte de sens présume qu’il y en a déjà eu un, fait valoir Étienne Fouquet. Les gens n’arrivent plus à le retrouver. Il rappelle que depuis la révolution industrielle, le travail n’a jamais été une source fondamentale de sens. « Ce qui est nouveau, c’est la difficulté de s’identifier au travail, pour plein de raisons comme on vient d’identifier », dit-il à propos des nouvelles tendances de 2024.

Entre autres, M. Fouquet constate qu’il devient de plus en plus difficile pour une personne éco-anxieuse de voir un futur possible lorsque son travail contribue aux problèmes climatiques. « Il devient de plus en plus évident que sens au travail et santé mentale sont intimement liés », dit-il. 

Marie-Claude Pelletier constate de son côté à quel point les pays industrialisés sont devenus des sociétés individualistes, ce qui favorise un effritement du sens au travail. « Nous avons besoin de nous associer à des groupes. Le milieu de travail prend une place beaucoup plus grande dans nos attentes de s’associer à une identité », soutient-elle.

La quête de sens est une tendance majeure dans les entreprises cette année – Marie-Claude Pelletier 

Marie-Claude Pelletier rappelle que tous ont pris du recul pendant la pandémie de COVID-19. « Nous avons tous vu ou pensé à la mort, ajoute Mme Pelletier. Toute notre relation au travail a changé. Pourquoi fais-je ce travail ? A-t-il un sens et est-ce ce que je veux faire dans la vie ? La quête de sens est une tendance majeure dans les entreprises cette année. Beaucoup plus de gens quittent leur emploi sans même en avoir un autre. La pénurie de main-d’œuvre augmente le rapport de force de l’employé. » 

Elle observe aussi plus de micro-entreprises et de personnes qui cumulent plusieurs emplois ou mandats pour pouvoir configurer leur travail. « Il créeront eux-mêmes leur sens au travail », pense-t-elle. 

« Hybridation » du travail

L’hybridation du travail fait aussi une grosse différence dans les tendances rapportées par Global-Watch en 2024, selon Marie-Claude Pelletier. Pendant la pandémie, les gens ont pu optimiser la conciliation travail-vie personnelle, se rapprocher de leur famille. Plusieurs ont déménagé à la campagne d’où ils ont pu continuer de travailler. « Retourner au travail cinq jours semaines ? Non ! Des employeurs veulent revenir comme avant parce que c’était plus simple à gérer. Ce n’est plus possible », croit-elle.

Mme Pelletier parle plutôt de flexibilité structurée. L’organisation doit d’après elle gérer le travail hybride. « Quelle quantité de temps de travail à la maison, de travail au bureau. Pour quelles raisons. Le fait de ramener les gens au bureau doit être générateur de sens. Il doit contribuer à recréer des liens sociaux et les nourrir », estime la présidente et fondatrice de Global-Watch. 

Étienne Fouquet croit pour sa part que ce serait pour l’entreprise une erreur de décréter un nombre fixe de journées au travail et de journées à la maison : le format à taille unique ne fonctionnera pas. « Une tendance observée est la personnalisation des mesures. C’est ce qui sera la clé », dit-il. 

M. Fouquet sait que la question de l’équilibre travail-famille ou vie personnelle était déjà « sur toutes les lèvres » avant la pandémie : les gens se demandaient comme le travail peut prendre moins de place. « La COVID-19 a créé un immense paradoxe : les gens ont dû s’occuper davantage de leur famille, de leur vie personnelle, mais ont perdu l’identité au travail. Ils se sont dit : “J’ai l’impression que personne ne sait ce que je fais, est-ce que mon travail a vraiment un impact, une valeur ?” » D’où les modèles de retour au bureau deux ou trois jours semaines, analyse-t-il. 

Santé féminine  

Autre tendance lourde en 2024, la santé féminine préoccupe aussi l’industrie de l’assurance collective depuis les dernières années, particulièrement en ce qui touche les symptômes de la ménopause. Selon un rapport de la Fondation Canadienne de la Ménopause (FCM) parrainé par Sun Life, 70 % des femmes de 40 à 60 ans ne se sentiraient pas à l’aise de parler de leurs symptômes de la ménopause avec les ressources humaines de leur employeur. Le rapport publié en 2023 a révélé que les symptômes non gérés de la ménopause coûtent chaque année à l’économie canadienne environ 3,5 milliards de dollars (G$). Les femmes actives supportent l’essentiel de ces coûts, ont ajouté les auteurs du rapport.  

Sur le terrain, Global-Watch a observé le besoin de soutien en santé féminine. « La ménopause touche les femmes au meilleur de leur carrière, déplore Étienne Fouquet. Elles ont passé leurs années formatrices. Plusieurs accéderont à des postes supérieurs, et commencent à vivre ces symptômes. Et il y a toutes les autres qui les vivront sans qu’aucun filet ne les protège. » Il croit que l’employeur ne doit pas s’immiscer dans la vie d’une femme au point de savoir quels symptômes elle vit, mais plutôt savoir comment créer des filets protecteurs.

Ces filets pourraient faire en sorte qu’une femme ne rate pas une promotion en raison de ses symptômes. « Des pays ont instauré une banque de congés supplémentaires pour les femmes qui vivent des problématiques physiologiques », remarque M. Fouquet. Il évoque aussi la modification du Code canadien du travail survenu le 15 décembre 2023. Les employeurs sous réglementation fédérale ont depuis l’obligation de fournir gratuitement des produits menstruels à leur personnel sur le lieu de travail. Étienne Fouquet estime que c’est la base. « Ce dont nous parlons à Global-Watch, c’est l’importance de l’impact de ces problématiques sur la santé mentale. » 

« Parfois, les femmes ne comprennent même pas ce qui est en train de se passer, renchérit Marie-Claude Pelletier. Il y a de l’éducation à faire. Les initiatives au travail doivent miser sur la sensibilisation aux symptômes. Ils peuvent durer pendant 10 ans. La préménopause peut durer des années. Il ne faut pas seulement sensibiliser les femmes, mais aussi tout le monde dans l’entreprise, dire ce que l’employé et l’employeur peuvent faire. » Le soutien à la santé féminine passera selon elle par des avantages sociaux comme les horaires flexibles avec des journées flottantes qui permettent de s’absenter, que ce soit pour la ménopause ou les symptômes menstruels.