Les mots pour le dire, l’industrie des régimes collectifs et des programmes de santé n’en a jamais autant eu pour expliquer l’urgence d’agir en entreprise, non seulement pour attirer les talents, mais les retenir en priorisant leur bien-être. Signe des temps, permacrise, démission silencieuse et chief remote officer (chef du télétravail) s’ajoutent à de récentes expressions déjà bien connues comme écoanxiété et l’acronyme DEI pour diversité, équité et inclusion.
Outre ces néologismes produits par la pandémie et les changements climatiques, de bonnes vieilles expressions comme bienveillance, responsabilité partagée et personnalisation ont été prononcées plusieurs fois par les panélistes lors du dévoilement des six Tendances internationales 2023 en santé mentale et bien-être au travail de Global-Watch. Le monde vit d’importantes perturbations, a déclaré Marie-Claude Pelletier, présidente fondatrice Global-Watch, à ce webinaire qui s’est déroulé le 20 avril 2023. Le Portail de l’assurance y a assisté.
Les perturbations dont parle la présidente de Global-Watch ne viennent pas seulement de la pandémie et de l’environnement. Elles sont aussi l’héritage du contexte géopolitique, de la crise énergétique, des modifications importantes dans les chaînes d’approvisionnement, des pressions inflationnistes, énumère-t-elle.
Santé et fatigue mentale
Mme Peletier explique que Global-Watch a identifié 6 tendances internationales en matière de santé mentale et bien-être au travail grâce à son système de veille et une collaboration avec son réseau de praticiens en entreprise et d’experts universitaires à travers le monde.
Elle insiste sur le terme « bien-être », terme qui rompt avec la traditionnelle expression « programme de mieux-être au travail ». Dans le nouvel ordre mondial du travail, on ne doit pas seulement se sentir mieux, on doit se sentir bien, comme le définit l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Cet état de grâce est sérieusement menacé dans les conditions actuelles, selon les propos de Marie-Claude Pelletier. « Santé et fatigue mentales est la première tendance qui nous préoccupe. Elle perdure et percole à travers toutes les autres tendances », dit-elle.
« On en entend parler partout, pas seulement dans l’entreprise, mais dans l’ensemble de la population, ajoute Mme Pelletier. On a vu dans le contexte de permacrise (situation de crise devenue permanente) à quel point nous n’avons pas le temps de récupérer entre les crises que j’ai évoquées en introduction. Une certaine fatigue, un épuisement s’installent. Nous n’avons pas le choix de prendre en compte le bien-être de nos employés, dans un concept plus large qui recèle des risques hors travail, qui ont aussi un impact sur capacité de travailler. »
Marie-Claude Pelletier a aussi évoqué des risques émergents, tels les « stresseurs numériques » et « l’imprévisibilité des tâches ». Elle dit observer beaucoup de détresse chez les jeunes qui peinent à rebondir à la perte de leurs repères après la pandémie. « Il y a des séquelles : anxiété, angoisse, insécurité… Il y a un lien chez les jeunes avec le contexte anxiogène des changements climatiques. La présidente de Global-Watch invite les organisations à garder ces séquelles en tête, alors que ce sont essentiellement des jeunes qui entrent sur le marché du travail.
Sens et engagement au travail
Deuxième tendance, Sens et engagement sont intimement liés à la première, estime Marie-Claude Pelletier. « Le bien-être est fortement relié au sens que l’on donne à notre travail, et à l’engagement qui en découle. On observe malheureusement une démission silencieuse, où l’on se désengage par rapport à notre travail ».
Mme Pelletier observe aussi une certaine fantomisation au travail, par laquelle la personne est présente, « mais plus ou moins motivé et pas nécessairement contributrice ». Ainsi, les gens remettent en question le rapport qu’ils ont au travail.
Elle observe que la proportion de gens prêts à travailler plus pour gagner plus d’argent s’estompe au profit de celle des gens prêts à travailler moins et gagner moins pour avoir une meilleure qualité de vie. « Cela fait en sorte qu’il y a des enjeux de rétention du personnel, surtout dans certains pays où le taux de natalité est à la baisse. » Ce contexte crée selon elle beaucoup de pression sur le milieu de travail.
« Les entreprises doivent maintenant nourrir l’engagement et mobiliser leur personnel par le sens au travail, pour obtenir le meilleur de chacun, ajoute Mme Pelletier. Il faut à la fois nourrir le sens individuel et le sens collectif. Quel sens peut-on donner à ce que l’on fait individuellement, et à quoi contribuons-nous collectivement comme groupe dans l’entreprise ? »
Flexibilité et adaptation
Avec la flexibilité du travail et le retour en formule hybride, les organisations sont forcées de s’adapter constamment, remarque comme troisième tendance la présidente de Global-Watch (Flexibilité et adaptation). « Il y a une complexification des besoins. On ne peut plus faire comme si tous étaient pareils dans leur vie professionnelle, qu’il s’agisse de différents métiers ou de différentes étapes de vie », dit-elle entre autres, à l’intention des jeunes, des parents, des proches-aidants, des travailleurs plus âgés.
Mme Pelletier note que les besoins évoluent et que les gens ont des attentes en ce sens, ce qui crée une pression encore plus importante dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.
Il est bien d’avoir une politique globale en ce sens, mais elle doit être adaptée aux besoins locaux, proches du terrain. Autre néologisme dont elle a remarqué l’utilisation dans les dernières années pour désigner cette réalité : politique glocale. Marie-Claude Pelletier a discuté de l’autonomie, par laquelle on laisse les coudées franches aux employés pour gérer toute la pression qui arrive, et pouvoir prendre part aux décisions qui affectent leur travail. Avoir l’autonomie pour adapter l’organisation du travail. « Un de nos employeurs nous disait dans la préparation des tendances : l’entreprise donne le quoi et l’employé détermine le où, le quand et le comment. »
Un travail qui crée un environnement dans lequel on peut s’épanouir favorisera la rétention des travailleurs d’expérience, croit la présidente de Global-Watch. « L’adaptation demande une personnalisation dans l’encadrement et dans le soutien des personnes. »
Diversité, équité et inclusion
Quatrième tendance à préoccuper les experts de Global-Watch, les sujets de la diversité, de l’équité et de l’inclusion (souvent représentés ensemble par l’acronyme DEI) sont maintenant « bien intégrés à la stratégie de santé mentale et de bien-être au travail « dans de plus en plus d’entreprises », remarque sa présidente.
Bien au-delà des genres, de l’origine, des orientations religieuses ou sexuelles et des âges, la diversité s’étend désormais à toutes les dimensions de l’individu, observe-t-elle. « On entend de plus en plus parler de neurodiversités. Ce terme émergent est utilisé pour évoquer les particularités neurocognitives, par exemple le déficit de l’attention, les troubles du spectre de l’autisme ou l’anxiété. »
Les attentes des employés sont grandes en matière de diversité, signale Marie-Claude Pelletier. « Les employeurs doivent non seulement accepter et accueillir la diversité, mais aussi favoriser son expression et son inclusion dans l’entreprise. »
Jusqu’où l’employeur peut aller dans un discours qui peut parfois être polarisant dans les positions, susciter malaise et incertitude ? Mme Pelletier évoque entre autres des sujets tels que le mouvement Black Live Matters, le rôle des femmes en entreprise et l’islamophobie. « Il est important d’être capable d’y réfléchir et voir comment l’organisation pourrait ouvrir la conversation pour définir sa position et mettre en place des mesures qui intégreront cette diversité, en impliquant les équipes sur le terrain », dit Mme Pelletier. Selon elle, l’organisation doit faire preuve d’humilité culturelle pour y parvenir.
Incivilité, harcèlement, violences
Il s’agit de la cinquième tendance en importance observée par Global-Watch. « Il y en a beaucoup. Les taux sont en augmentation. On a vu à quel point durant la pandémie, en raison des confinements », constate Marie-Claude Pelletier par exemple à l’égard de la violence conjugale.
Mme Pelletier pense que des liens sociaux forts en milieu de travail peuvent protéger de ces abus. Or, ces liens se sont effrités pendant la pandémie et en situation de télétravail, note-t-elle. Cela peut dégénérer en petits gestes insidieux qui s’installent dans le quotidien, ajoute Mme Pelletier. Les gestes dont elle parle peuvent aller jusqu’à du harcèlement, voire des violences.
« Avec la pandémie et le télétravail, l’employeur est soudainement entré dans le foyer des gens », rappelle Marie-Claude Pelletier. Dans la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, le Québec vient d’élargie les obligations de l’employeur quant à son rôle d’intervenir s’il observe de telles situations ou en reçoit le témoignage. « On observe sur le terrain des politiques qui vont clairement positionner le cadre des comportements attendus et le rôle de chacun. Nous sommes vraiment dans une dynamique de responsabilités partagées », ajoute-t-elle.
Selon elle, le chef d’équipe doit être outillé pour déceler les comportements inappropriés et intervenir rapidement pour les faire cesser. L’organisation doit aussi faire de la prévention et permettre de redévelopper des liens sociaux protecteurs.
Environnement et bien-être au travail
Cette sixième tendance a beaucoup évolué depuis l’an passé du fait de la fréquence et de la variabilité des événements climatiques, souligne Marie-Claude Pelletier. « Ils ont amené notamment de nouvelles maladies (par exemple la maladie de Lyme) et l’émergence des écoémotions comme l’écoanxiété, l’écocolère et la perte de confiance, particulièrement chez les jeunes », remarque-t-elle.
Elle retire de ses recherches que les événements climatiques extrêmes peuvent engendrer des tensions au travail, faire augmenter les intentions de quitter son travail ou encore les manifestations d’hostilité face au travail. « Les employés s’attendent à ce que leur employeur pose des gestes concrets. On doit prendre le contexte climatique en considération dans la gestion des risques non seulement physiques, mais aussi psychologiques », invoque Mme Pelletier.
Elle observe certaines positions prises par les employeurs, qui prendront des engagements en les intégrant à leur marque. « Elles se positionneront davantage sur leur responsabilité sociale, et une stratégie de développement durable », explique la présidente de Global-Watch. « Les entreprises doivent viser la cohérence entre ce qui est dit et les actions concrètes, pour ne pas créer de cynisme », prévient-elle. Dans tous les cas, Mme Pelletier estime que le soutien social est facteur de protection.
Marie-Claude Pelletier a expliqué durant le webinaire que l’offre de Global-Watch se destine aux employeurs qui désirent structurer leur approche en santé mentale et bien-être, à l’aide d’experts neutres. Elle ajoute que son offre convient aussi aux entreprises qui veulent maintenir un haut niveau de connaissances sur ces sujets, ou développer ces connaissances en se fondant sur des données probantes. Les entreprises qui font appel à Global-Watch ont l’occasion d’échanger avec d’autres équipes de ressources humaines dans le monde vivant des enjeux similaires, fait valoir sa présidente.