Le 28 février dernier, la Cour supérieure du Québec a condamné la Société d’assurance Beneva à verser l’indemnité d’assurance en plus d’une somme de 5 000 $ à chacun des deux demandeurs dans un litige impliquant un entrepreneur en construction. 

Le jugement a été rendu par le juge Robert Castiglio du district judiciaire de Montréal de la Cour supérieure. Les demandeurs, Brian Weber et Fiona Buell, sont propriétaires d’une maison en rangée située sur le boulevard de Maisonneuve à Westmount. 

Le 5 septembre 2017, leur immeuble a subi des dommages au moment des travaux de remplacement de la conduite d’alimentation en eau chez leur voisin immédiat. Au moment du sinistre, ils détiennent une police d’assurance tous risques émise par La Capitale assurances générales (maintenant Beneva). 

L’assureur soutient que les dommages ont été causés par un affaissement naturel du sol sous les fondations du mur mitoyen, ce qui ouvre l’application d’une clause d’exclusion du contrat d’assurance. 

Les demandeurs poursuivent aussi Construction Morival, l’entrepreneur qui a effectué les travaux de réparation de la conduite d’eau, pour sa responsabilité à l’égard des dommages.

L’assureur aussi poursuit l’entrepreneur par recours subrogatoire anticipé et demande que Construction Morival la dédommage si jamais le tribunal conclut que l’exclusion ne peut s’appliquer dans ce litige. 

Le contexte 

Construction Morival est l’entrepreneur mandaté par la municipalité pour effectuer les travaux d’urgence et d’entretien de son réseau d’aqueduc et d’égout. Dès 7 heures du matin le jour du sinistre, les travaux commencent. 

Mme Buell, qui travaille à partir du domicile, entend et ressent les vibrations générées par les équipements utilisés par l’entrepreneur. Vers 9 h, elle constate l’apparition de nombreuses fissures dans les murs et les plafonds dans presque toutes les pièces de la résidence. 

Un superviseur vient rencontrer la propriétaire, mais il n’entre pas dans la maison. Il l’informe qu’un rapport écrit devra être transmis à la ville. Mme Buell rédige un premier rapport d’incident le jour même. 

Deux jours plus tard, M. Weber constate une importante fissure dans la dalle de béton du sous-sol, d’une longueur allant de la façade avant de l’immeuble jusqu’à l’arrière. La fissure, qui se prolonge aussi dans le mur de fondation, atteint 4 millimètres de largeur. Le propriétaire constate aussi l’apparition de nouvelles fissures dans le revêtement de briques sur la façade de la maison. Un deuxième rapport est transmis à la ville. 

Des représentants de l’assureur se rendent sur les lieux les 12 et 15 septembre, de même que le 24 octobre 2017. Les propriétaires transmettent une mise en demeure à Construction Morival le 3 novembre 2017. 

L’enquête 

Le 24 janvier 2018, l’assureur informe les propriétaires que l’enquête se poursuit, mais qu’il ne peut faire de lien entre les travaux exécutés par l’entrepreneur et les dommages causés à l’immeuble. Inquiets devant l’inaction de leur assureur, les demandeurs embauchent un expert, l’ingénieur Claude Guertin, afin de constater les dommages et de déterminer le lien de causalité entre ceux-ci et les travaux réalisés par Construction Morival. 

Dans son rapport sommaire remis le 27 juillet 2018, l’ingénieur conclut en toute probabilité qu’il y a un lien entre les travaux et les dommages. Le rapport est transmis à l’assureur par les demandeurs. 

Dès le mois d’octobre 2018, Beneva avait aussi mandaté son propre expert, l’ingénieur Nicolas Villemure. Ce dernier conclut à la probabilité de l’affaissement des fondations du mur mitoyen entre les deux immeubles dans un premier rapport daté du 6 novembre 2017.

Comme la dalle de béton a été reconstruite en 2012 et qu’elle est aussi fissurée, il retient l’hypothèse que le mouvement dans le bâtiment serait survenu entre 2012 et 2017. M. Villemure suggère la réalisation d’une étude géotechnique en laboratoire pour confirmer son hypothèse. 

En présence de son homologue Guertin, des ouvertures exploratoires sont faites dans la dalle de béton le 13 décembre 2018. L’expert Villemure réitère son hypothèse dans un second rapport daté du 9 janvier 2019 et répète la nécessité d’une étude géotechnique pour la valider. L’assureur ne juge pas utile de commander l’étude proposée par son expert. 

Le 27 mars 2019, Beneva informe les assurés que son enquête est terminée et elle conclut que les dommages ne sont pas couverts par la police, vu les exclusions que celle-ci contient. 

Le 10 juin 2019, les demandeurs demandent l’intervention de l’Autorité des marchés financiers. L’assureur maintient sa décision. 

La poursuite 

La poursuite est intentée le 31 janvier 2020. Les demandeurs estiment les dommages à 112 688,06 $ et ils demandent 7 500 $ chacun à titre de dommages pour les inconvénients subis. Le 18 février 2021, les demandeurs modifient leur demande introductive d’instance pour y inclure Construction Morival. 

Beneva reconnaît que les dommages causés à l’immeuble résultent d’un affaissement du sol, mais elle prétend que cela n’a pas été causé par les travaux de Construction Morival. Il s’agit plutôt d’un affaissement naturel survenu entre 2012 et 2017.

L’exclusion invoquée par l’assureur est énoncée à l’article 16 du contrat et traite précisément des mouvements naturels du sol. Cette clause exclut ainsi les dommages causés par un séisme, un raz-de-marée ou un tsunami. 

Selon l’expert Guertin, le sol a probablement été lessivé par l’eau lors du bris de la conduite d’alimentation, ce qui est explique l’espace entre la dalle et le sol sous la dalle. L’expert Villemure réfute l’existence d’une telle trace de lavement des sols à la suite du bris de la conduite. 

L’expert de l’entrepreneur n’a visité les lieux qu’en avril 2021, soit plus de trois ans après les travaux. Il estime que les dommages ne sont pas tous compatibles avec des vibrations provenant de la démolition du trottoir situé à 25 pieds du bâtiment. 

Motifs du tribunal 

Le tribunal souligne qu’il n’appartient pas aux demandeurs de prouver la cause précise et les circonstances de cet affaissement. Il est admis que l’immeuble a subi des dommages alors qu’une police d’assurance était en vigueur. Il appartient à l’assureur de démontrer, par prépondérance de preuve, que les dommages résultent de l’affaissement naturel du sol et non de l’intervention humaine reliée aux travaux de l’entrepreneur. 

Le tribunal conclut que l’affaissement n’est pas un mouvement naturel du sol, puisqu’en toute probabilité, l’incident est survenu en même temps que des travaux d’excavation étaient exécutés sur la propriété voisine. Le témoignage des assurés est clair et convaincant à cet égard. 

Rien dans la preuve ne soutient l’affirmation de l’assureur concernant la possibilité que les fissures soient antérieures aux travaux exécutés par l’entrepreneur. Les assurés ont fourni des photos de fêtes familiales tenues en avril 2017 qui montrent clairement que les murs étaient en parfait état avant les travaux du 5 septembre 2017. 

Les fissures et lézardes importantes sont apparues au moment même où des travaux de réparation d’une conduite d’aqueduc étaient réalisés. Le libellé de l’article 16 de la police est sans équivoque et exclut les mouvements naturels du sol, invoque l’assureur. Les exemples énoncés à la police démontrent que l’on réfère à des phénomènes naturels qui ne sont pas provoqués par une activité humaine. 

Le tribunal estime que l’assureur n’a pas démontré qu’il s’agit d’un mouvement naturel du sol. Il conclut donc que la clause d’exclusion ne trouve pas application. 

Le reste du jugement vise l’estimation des dommages, liés à la réparation des plafonds et murs intérieurs, du mur de façade, de la dalle de béton, du mur de fondation de la façade, des planchers, du permis de construction et des frais de subsistance. Ces sommes représentent 84 199,42 $. S’ajoutent à cela les intérêts et l’indemnité additionnelle à compter de la date d’assignation. 

Le tribunal rejette les réclamations concernant les tests de détection d’amiante et les travaux de décontamination, de même que celle touchant la réparation des planchers et le coût de déplacement des meubles. 

Les honoraires de l’expert Guertin totalisent 18 154,57 $. Le tribunal les estime raisonnables et ordonne leur remboursement à titre de frais de justice. 

La responsabilité de l’entrepreneur 

La responsabilité extracontractuelle de l’entrepreneur peut être retenue s’il a commis une faute dans le cadre de l’exécution des travaux de remplacement de la conduite d’eau de la propriété voisine. Cette responsabilité est engagée en vertu de l’article 1457 du Code civil du Québec

L’entrepreneur est désigné par la ville pour effectuer ces travaux d’urgence. Depuis 2016, il en réalise entre 50 et 100 interventions urgentes par année pour réparer les conduites d’eau des immeubles de la ville. Pour ce faire, il utilise toujours les mêmes équipements et les mêmes méthodes de travail. 

Il appartient aux demandeurs et à l’assureur de démontrer que Construction Morival a commis une faute en réalisant ces travaux. Le tribunal ne peut conclure que le niveau des vibrations générées par les travaux a dépassé les limites recommandées.

De plus, l’entrepreneur ne pouvait pas savoir que le sol était très mou sous la semelle de fondation parce qu’il avait été fragilisé et lessivé en raison du bris de la conduite d’eau de la propriété voisine. 

Le stress 

Le tribunal accorde 5 000 $ à chacun des demandeurs. Ils ont raison d’affirmer que l’assureur n’a pas géré leur réclamation de façon diligente. Ce n’est que le 27 mars 2019, soit 18 mois après le sinistre, que Beneva a avisé les assurés que les dommages n’étaient pas couverts par leur police.

Pourtant, le rapport de l’expert Villemure lui avait été remis dès le 6 novembre 2017. Il recommandait la réalisation d’une étude géotechnique afin de confirmer l’hypothèse de l’affaissement du mur mitoyen.

L’assureur lui a plutôt demandé de vérifier une autre hypothèse. Et ce n’est que le 13 décembre 2018 que les ouvertures exploratoires sont faites dans la dalle de béton. « Ces délais sont déraisonnables », indique le tribunal au paragraphe 148. 

Les demandeurs ont dû assumer le coût de certaines réparations qui ne pouvaient attendre le sort du litige. D’autres travaux correctifs ne sont toujours pas exécutés.

Le stress causé par le refus injustifié de l’assureur de les indemniser en temps utile, conformément aux dispositions de la police, requiert une compensation, conclut le tribunal.