La Cour supérieure du Québec donne raison à l’assureur Promutuel Boréale qui avait refusé d’indemniser le client pour les dommages causés à son immeuble à la suite d’un incendie.
Le demandeur, Germain St-Amour, réclamait 507 785,07 $. Dans son jugement livré le 4 février dernier, la juge Anne-France Gagnon, du district de Labelle de la Cour supérieure, donne raison à la défenderesse et déclare que celle-ci a pu établir la nullité du contrat.
La société mutuelle d’assurance justifiait son refus d’indemniser les dommages notamment en raison de la présence d’exclusions, de l’omission du demandeur de dévoiler des facteurs aggravant le risque et de ses déclarations mensongères.
Le demandeur a effectivement omis de déclarer des faits aggravants, selon la Cour supérieure. « De plus, les déclarations mensongères du demandeur emportent la déchéance de son droit à l’indemnisation », indique Anne-France Gagnon. En conséquence, le tribunal ne juge pas utile d’analyser le quantum de la réclamation de M. St-Amour et sa demande d’abus.
Le sinistre
Le sinistre a eu lieu le 9 juillet 2017 dans une petite municipalité de la MRC de la Vallée-de-la-Gatineau, dans la région de l’Outaouais. Le demandeur est producteur agricole et a acquis la ferme familiale en 1994. Il exploite une ferme d’élevage de même qu’une société de transport, en plus d’une compagnie d’exploitation forestière.
L’assuré souscrit des polices auprès de la défenderesse pour plusieurs bâtiments, incluant quelques immeubles locatifs. Certains de ses immeubles ne sont pas assurés en raison de leur état et du coût élevé des primes, dont certains bâtiments de son entreprise agricole. Une partie de ses équipements de transport sont assurés uniquement pour la responsabilité civile.
L’immeuble en litige a été acquis en 2006 pour un montant de 29 000 $. Au moment de l’achat, il existe une maison et un petit garage attenant à l’immeuble principal, de même qu’une habitation abandonnée. Celle-ci n’a jamais été louée en raison de son état de décrépitude. À l’exception de travaux d’entretien et le remplacement de la cheminée, aucune rénovation importante n’a été faite.
En 2015, un homme se présente pour louer l’immeuble. Le propriétaire ne vérifie pas ses antécédents judiciaires ni son dossier de crédit. Le bail est signé le 1er février 2015. Le locataire y demeure avec sa conjointe et leur fils. Quand il a du retard à payer son loyer, il effectue du travail à la ferme de propriétaire.
Le locataire utilise aussi la résidence abandonnée pour y entreposer et vendre des biens. L’activité est tolérée par le demandeur, car le locataire entretient le terrain et ce petit commerce l’aide à boucler son budget.
L’incendie a lieu au milieu de la nuit, alors que le locataire est seul à la maison. Le bâtiment est complètement détruit. Heureusement, personne n’est blessé. Le propriétaire est alors en vacances à l’Île-du-Prince-Édouard. À son retour, il accepte de reloger la famille du signataire du bail dans un autre immeuble.
Le refus
Le 22 juillet 2019, soit plus de deux ans après le sinistre, l’assureur confirme au demandeur son refus de l’indemniser en raison d’actes illicites qui se déroulaient sur les lieux assurés au moment de l’incendie. Le demandeur transmet rapidement une première mise en demeure et réclame plus de 347 000 $. La poursuite sera modifiée par la suite à deux reprises pour atteindre la somme mentionnée au début de ce texte.
Le 26 mai 2021, Promutuel Boréale informe le demandeur que le contrat est résilié rétroactivement au 21 juillet 2016, soit à la date de l’aggravation du risque. Son analyse du dossier lui fait déterminer que la couverture n’aurait jamais été émise si l’assuré avait déclaré des éléments importants et susceptibles d’influencer l’évaluation du risque. L’assureur émet un chèque pour rembourser les primes payées par l’assuré.
Dans une longue analyse, le tribunal répond aux sept questions en litige et évalue la pertinence des quatre motifs de l’assureur pour justifier son refus. Un de ces motifs n’a toutefois pas été retenu par le tribunal. Les trois premiers suffisent à la juge Gagnon pour donner raison à Promutuel Boréale.
L’exclusion
La défenderesse allègue que le propriétaire savait que des activités illicites se déroulaient dans l’immeuble, ce qui est prévu dans une exclusion inscrite dans un formulaire. Le demandeur soutient que le formulaire lui a bien été transmis avec la police originale, mais pas lors des renouvellements subséquents. Cet argument est rejeté par le tribunal.
Il y a eu aussi une erreur de transcription concernant l’immeuble assuré, mais l’assureur rappelle qu’il n’y a qu’un seul acte de vente pour les deux immeubles sur le même lot. Lors de l’achat en 2006, ces bâtiments deviennent un emplacement supplémentaire inscrit au contrat existant. Au fil des ans, la valeur assurée augmente de 203 000 $ à 241 000 $.
Au procès, le propriétaire dit n’avoir pris connaissance de l’exclusion concernant les activités illicites qu’en 2017 lors d’une conversation avec un représentant de l’assureur. Cela contredit ses propos tenus lors de l’interrogatoire préalable. Selon le tribunal, le demandeur est un homme d’affaires avisé, il possède de nombreux immeubles et il comprend les contrats d’assurance. La clause d’exclusion lui est donc opposable.
L’assuré doit démontrer qu’il existe une exception à l’exclusion. L’acte criminel n’a pas été commis par l’assuré, mais par le locataire, plaide le demandeur. L’assureur doit prouver de manière prépondérante que le propriétaire savait que son immeuble était utilisé à des fins illégales. Le propriétaire affirme que ces activités ont cessé d’avoir lieu en décembre 2015, soit 18 mois avant le sinistre.
Le tribunal réfute cet argument en rappelant que l’élément déterminant est l’utilisation du lieu pendant la période de couverture. L’immeuble loué a bel et bien été utilisé en tout ou en partie pour mener des activités illicites, et ce, à la connaissance du propriétaire. Le bien ne bénéficie plus de la protection de la police d’assurance.
Le contenu de la lettre de négation de la couverture par l’assureur est aussi analysé. Le tribunal cite un livre de doctrine sur l’assurance de biens publié en 2024, où l’auteur Vincent Caron rappelle que « l’assureur doit informer par écrit l’assuré des raisons exactes pour lesquelles il refuse d’honorer la réclamation ».
Le contenu de la lettre dans le présent dossier est précis : la défenderesse refuse de couvrir en raison des activités illicites « au moment du sinistre ». Le locataire a reconnu qu’il s’était adonné au trafic de stupéfiants dans l’immeuble jusqu’en décembre 2015. Aucune preuve ne permet de conclure que celles-ci se poursuivaient au moment du sinistre, en juillet 2017. L’assureur n’a pas démontré que des actes illicites étaient en cours « au moment de l’incendie ».
La résiliation
Le demandeur avance que l’assureur ne pouvait modifier ses moyens de défense pour ajouter de nouveaux motifs de négation de la couverture et demander la résiliation rétroactive au 21 juillet 2016, soit à la date où le locataire a été incarcéré. Selon lui, Promutuel Boréale ne pouvait refuser de l’indemniser en juillet 2019 sur la base de sa connaissance des activités criminelles, car celle-ci n’a été connue de l’assureur qu’à l’étape des interrogatoires préalables menés avec l’assuré et le couple de locataires, en décembre 2020.
De son côté, l’assureur avance qu’il a le droit d’invoquer de nouveaux motifs de refus qui n’ont pas été découverts lors de l’enquête initiale. Il ajoute que l’assuré a néanmoins omis de l’informer de l’aggravation du risque, ce qui explique la décision de résilier le contrat de manière rétroactive.
Le tribunal précise que l’écoulement du temps n’empêche pas l’assureur d’invoquer la nullité du contrat s’il est informé que l’assuré a eu connaissance de gestes qui peuvent constituer des causes d’annulation et a omis d’en informer l’assureur.
L’assureur a modifié son exposé sommaire des moyens de défense quand l’assuré a modifié sa propre réclamation en mai 2021 pour augmenter la somme demandée et obtenir le paiement de ses frais juridiques en raison de l’abus de la défenderesse.
Promutuel Boréale affirme que le demandeur était au courant des perquisitions et de l’emprisonnement du locataire. Elle précise que si elle avait su ces faits, elle aurait annulé le contrat, et en sus, M. St-Amour aurait menti en soutenant ne pas être au courant des activités criminelles de son locataire.
En octobre 2021, le demandeur modifie sa demande et allègue que la décision de l’assureur de résilier rétroactivement le contrat est « tardive, illégale et abusive ». Le tribunal estime plutôt que l’assureur pouvait modifier ses motifs de refus après avoir été informé du contenu des interrogatoires préalables.
Déclaration mensongère
Le demandeur nie vigoureusement avoir eu connaissance des activités criminelles du locataire avant le sinistre et soutient l’avoir appris de la bouche même du représentant de l’assureur, une semaine après le sinistre. L’assureur maintient que le propriétaire n’a pas agi comme un assuré diligent en ne posant aucune question au locataire au moment de signer le bail et par la suite.
Le tribunal souligne que « l’obligation de déclarer de l’assuré est continue et ne cesse pas une fois que la police est émise ; elle se poursuit tout au long de sa validité ». Au moment où il signe le bail, son locataire a déjà été l’objet d’accusations dans le cadre de sept dossiers criminels.
M. St-Amour témoigne qu’il se rend occasionnellement chez le locataire pour percevoir son loyer, sinon il se rend rarement au village, car il travaille de longues heures. Selon ce qu’il peut constater à partir de l’entrée, la maison semble bien tenue.
Durant son interrogatoire préalable, le locataire affirme avoir avisé son propriétaire qu’il allait purger une peine de détention de quatre mois et qu’en son absence, sa conjointe lui paierait le loyer. La peine est liée à une perquisition à son domicile où il y a saisie de drogue. De son côté, la conjointe ajoute que M. St-Amour est venu percevoir le loyer durant la peine de détention et il a même demandé si sa détention se passait bien.
Durant son contre-interrogatoire, le propriétaire affirme que le représentant de l’assureur ne lui a posé pas de question sur l’emprisonnement de son locataire. L’enregistrement révèle le contraire, et le demandeur a même dit qu’il ne savait rien relativement à l’incarcération.
Le tribunal note que, tout au long de son témoignage, le demandeur répond clairement et sans hésitation, sauf lorsqu’il est question de sa connaissance de l’exclusion prévue à la police ou sur les motifs de l’incarcération du locataire, qui a eu lieu avant le sinistre. « Sa mémoire devient floue et il tente d’éviter les questions », ce qui mine sa crédibilité.
Quand la perquisition a lieu au domicile du locataire, le 17 décembre 2015, ce dernier est appréhendé dans le garage de la ferme du demandeur, en présence de trois autres personnes. Une autre perquisition pour recel a lieu en juillet 2016. Une autre perquisition a lieu en mars 2017, liée à une nouvelle accusation de recel. Le tribunal en déduit que le demandeur connaissait des faits qu’il n’a pas déclarés à l’assureur.
Déchéance du droit à l’indemnisation
Selon le tribunal, le demandeur a minimalement fait preuve d’aveuglement volontaire en ne posant pas des questions au locataire sur les perquisitions, son arrestation ou les motifs de son incarcération. Dès juillet 2016, il aurait dû informer l’assureur à cet égard. En conséquence, la clause d’exclusion s’applique de façon rétroactive.
De plus, comme il a nié être informé de la situation du locataire, ce que la preuve de la défenderesse contredit, cette déclaration mensongère fait en sorte qu’il perd son droit à l’indemnisation.
Joint le 11 mars dernier par le Portail de l’assurance, Me Jean-Pierre Barrette, avocat de l’assureur dans ce dossier, indique qu’il n’avait pas encore reçu d’avis d'appel de la part du demandeur.