Le PDG d’Intact Corporation financière Charles Brindamour annonçait une cassure de la distribution en assurance de dommages en février dernier. Son vice-président Richard Taschereau en remettait quelques jours plus tard. C’est une tempête qui attend l’industrie, prévient-il.taschereau_richardDevant le Cercle des assurances IARD, le 4 février à Montréal, Richard Taschereau, vice-président, ventes, markéting et communications chez Intact Assurance, affirme que cette tempête proviendra des nouveaux concurrents qui se positionneraient dans l’industrie.

En tout premier lieu, on retrouve les concurrents non traditionnels que représenteraient les Google, eBay ou Amazon de ce monde. « Ils ont une connaissance approfondie des consommateurs et ont le data. Ils pourraient être très menaçants pour les acteurs plus traditionnels que nous sommes. Est-ce que Google pourrait être un joueur sérieux? Oui. Ont-ils eu du succès dans toutes leurs autres tentatives du genre ailleurs? Non », dit M. Taschereau.

Ce serait toutefois une erreur de croire qu’ils abandonneront pour si peu, ajoute-t-il. « Ce n’est pas le genre d’entreprise à se laisser abattre par un échec ou deux. S’ils décident d’agir comme manufacturier, Google pourrait être très agressif. S’ils agissent comme comparateur, il sera facile pour eux d’offrir une consultation tellement simple que le consommateur n’a qu’à choisir », dit M. Taschereau.

Viennent ensuite les joueurs traditionnels hors Canada, tels Geico ou Progressive. « Ces joueurs ont une forte notoriété au Canada anglais. Les Canadiens anglais écoutent massivement la télé américaine. Ils connaissent donc bien leur marque. S’ils venaient au Canada, ces joueurs auraient une forte notoriété sans avoir à débourser un sou. Ils ont aussi une grande souplesse et une grande efficacité en souscription. Leur arrivée nous forcerait à revoir notre approche en la matière », dit M. Taschereau.

Si arrivait un joueur vraiment champion en matière d’expérience client, il pourrait rapidement nous déculotter.

— Richard Taschereau


Les banques sont déjà présentes dans le marché canadien, mais il ne faut pas exclure qu’elles puissent étendre leurs activités, dit M. Taschereau. Il cite par ailleurs le fort taux de rétention de leur clientèle comme argument en leur faveur.

 

Finalement, M. Taschereau identifie les manufacturiers automobiles comme menace potentielle pour l’industrie. « Le développement de voitures intelligentes leur amène une quantité de données importantes sur le consommateur. La télématique pourrait les amener à proposer des offres d’assurance. Ce marché a aussi une valeur pour eux au niveau de l’indemnisation, car quand un accident survient, il faut bien le faire réparer quelque part », dit-il. M. Taschereau relate par ailleurs que Ford Canada a demandé la permission à certains de ses clients du sud de l’Ontario d’utiliser l’information provenant de leurs véhicules.

Tous ces joueurs ont plusieurs points communs : la taille, la notoriété, la qualité de l’expérience client, la technologie, le talent et les connaissances pour faire face aux assureurs d’ici. « Il faut donc s’adapter et développer des stratégies pour y faire face », dit M. Taschereau.

Les menaces imminentes


Pour M. Taschereau, les banques représentent la menace la plus imminente pour l’industrie de l’assurance. « Les banques ont déjà un pied dans la pièce. Ce n’est pas tant dans la façon de commercialiser le produit d’assurance qu’ils sont une menace, mais plus tôt si d’autres joignent la Banque TD ou la Banque Royale du Canada. Avoir plus de joueurs importants viendrait diluer le marché », dit-il.

 

La plus grande menace? M. Taschereau place ex æquo les Google et les manufacturiers automobiles. Il dit moins craindre Geico ou Progressive étant donné que leurs méthodes sont bien connues et que les assureurs peuvent s’y adapter.

Occuper le terrain


Pour se protéger, les joueurs actuels devront s’assurer d’occuper le terrain. « Plus on est grand, plus on est costaud et plus c’est difficile pour des joueurs extérieurs de venir contrôler le marché. On acquiert aussi plus d’intelligence et de données sur nos clients. On peut se permettre de poser des gestes que les nouveaux joueurs ne pourront pas poser », dit-il.

 

M. Taschereau ajoute que les spécialistes en vigie internationale qu’Intact emploie ont fait un constat intéressant. Quand un joueur occupe de 30 % à 35 % du marché, il devient un joueur incontournable. « Les nouveaux joueurs tenteront plus de faire des alliances avec lui plutôt que de tenter de lui passer dessus », dit-il.

Proposer une expérience client exceptionnelle est une autre façon de se prémunir face à l’arrivée de nouveaux joueurs. « C’est là que notre modèle d’affaires est plus ou moins chambranlant… Ce n’est pas notre force… Quand on se regarde entre concurrents, on se dit qu’on se ressemble tous et qu’on est pas mal moyen. Si arrivait un joueur vraiment champion en ce domaine, il pourrait rapidement nous déculotter. Nous ne sommes pas une industrie performante sur ce point. Ça peut donner le gout à d’autres de venir tester le marché. Nous devons en venir à nous assurer qu’il n’y a pas de place pour nous défier en indemnisation », dit M. Taschereau.

Bâtir des alliances stratégiques


Certains assureurs pourraient aussi être tentés de bâtir des alliances stratégiques, notamment avec des manufacturiers automobiles. « Plutôt que d’attendre qu’ils viennent nous concurrencer, allons les voir pour bâtir des choses avec eux et leur enlever le gout de nous concurrencer », dit-il.

 

Les assureurs d’ici ont aussi du travail à faire au niveau de leur image de marque, dit M. Taschereau, pour concurrencer celle très forte des adversaires potentiels.

Autre piste : être novateur et performant dans l’univers numérique. « Nous avons beaucoup de croutes à manger à cet effet! En assurance des entreprises, nous attendons que quelqu’un vienne nous défier avant de faire mieux. C’est un peu mieux en assurance des particuliers, mais il n’y a pas de modèle exceptionnel encore. Il faut se positionner. La télématique amène plein de possibilités, voire même des données dont nous ne soupçonnons pas les possibilités », dit M. Taschereau.

Le risque de la simplification


M. Taschereau relève aussi que les consommateurs adoptent rapidement les technologies mobiles, tels les téléphones intelligents et les tablettes. « On ne peut plus se permettre de demander au consommateur de prendre 25 minutes pour remplir une soumission en ligne. Il faut trouver le moyen de faire notre souscription en moins d’une ou deux minutes, avec quatre ou cinq questions. On voit déjà certains assureurs obtenir 30 % de leurs soumissions par appareils mobiles. C’est énorme! Ça crée un nouveau comportement du consommateur », dit-il.

 

Il donne l’exemple de Mobiliz, le programme développé pour les jeunes conducteurs par l’Industrielle Alliance, Auto et Habitation. « Leur soumission se fait avec quatre questions, en moins de 60 secondes, avec des curseurs qui se déplacent pour les réponses. Ils ont aussi une facturation qui varie chaque mois. Ils n’ont même pas à se soucier du renouvellement! C’est une belle innovation et ce qu’ils ont fait est admirable en matière de markéting ciblé », dit M. Taschereau.

Il donne aussi en exemple le secteur bancaire comme industrie qui a réussi le virage de la simplification. « Tout le monde est ravi de faire ses transactions en ligne dans le confort de son foyer. Plus besoin d’attendre de longues minutes pour se faire servir par une caissière à l’air bête », déplore M. Taschereau. Le modèle bancaire a compris l’importance de multiplier les services, ajoute-t-il. On adhère au compte chèque, la marge de crédit, l’hypothèque, la carte de crédit, le REER… « Ce n’est pas pour rien que les banques ont des taux de rétention très élevés. C’est facile d’y entrer, mais très difficile d’en sortir! », lance-t-il.

À l’opposé, M. Taschereau souligne qu’il n’est pas très difficile pour un client d’annuler un contrat en assurance de dommages. « Il appelle et le tour est joué. On ne s’obstine pas beaucoup comparativement à d’autres industries, comme les banques ou les entreprises de téléphonie et de câblodistribution. Chez eux, on fait tout pour nous faire douter de notre décision. En assurance, on n’appelle même pas le client lorsqu’il nous quitte! On ne déploie pas non plus des mines d’énergie pour le garder. Il part et on ne s’en aperçoit même pas », dit-il.

L’assurance des entreprises n’est pas à l’abri


Plusieurs tiennent pour acquis que les changements qui auront cours en assurance de dommages ne toucheront que le segment des particuliers. Erreur, selon Richard Taschereau, chez Intact Assurance. Le risque est aussi présent en assurance des entreprises.

 

M. Taschereau y cite à cet effet une étude du Boston Consulting Group, qui indique qu’environ 25 % des PME des pays occidentaux sont attirées par l’assurance sur le Web, principalement pour réaliser des économies. « C’est donc dire que pour les entrepreneurs, Web égale économies », dit-il.

Aussi, 60 % à 75 % retiennent de la distribution directe l’avantage de la prime. Entre 11 % et 24 %, selon le pays, croient même que le produit en ligne est plus avantageux. L’accès en ligne aux documents est jugé attrayant par 44 % à 67 % des entreprises interrogées. Le chat en ligne retenait l’attention d’entre 40 % et 70 % des entrepreneurs sondés.

« Que ferait-on si un client nous demandait de lui fournir des documents électroniques en assurance des entreprises? Heureusement, les entreprises sondées ont affirmé être fortement attachées à leur agent ou courtier et à la valeur des conseils offerts », dit M. Taschereau.

Comment conserver le client?


Des pistes de solutions existent selon Richard Taschereau pour que les assureurs et les courtiers puissent conserver leurs clients. Tout d’abord, ils doivent travailler à créer une nouvelle relation et la rendre continue. La technologie à elle seule ne peut résoudre le problème, dit-il.

 

« Je demeure convaincu que le client a encore le gout de transiger avec quelqu’un. Tous les courtiers à qui nous fournissons des leads électroniques ont des taux de rétention exceptionnels. Les clients aiment que quelqu’un les appelle pour discuter de leurs protections d’assurance. 70 % d’entre eux génèrent une discussion et 50 % finissent par acheter. »

Multiplier les produits par client pour multiplier les occasions d’entrer en relation avec lui est une autre piste, dit M. Taschereau. « Beaucoup de courtiers ont encore de la difficulté à lier la partie automobile à la partie habitation », souligne-t-il.

Il faut créer autant d’occasions de l’impressionner pour qu’au-delà du prix, il veuille demeurer fidèle. « Dans un monde où le complexe devient simple, il faut revenir aux fondamentaux. Il fait aider le client quand il en a besoin, lui parler aussi souvent que possible et lui rendre simple ce qui est ennuyant ou complexe », dit M. Taschereau.