Le comité de discipline de la Chambre de l’assurance a déclaré le représentant Denis Lemieux (certificat no 121 131) coupable de cinq des six chefs d’accusation contenus dans la plainte portée par la syndique adjointe de la Chambre de la sécurité financière (CSF).
L’intimé, dont la sanction sera connue à la suite d’une prochaine audience, a été acquitté de l’infraction mentionnée au chef 5 de la plainte.
L’audience sur culpabilité a eu lieu durant trois jours en octobre 2024. La décision du comité est datée du 19 août 2025, mais elle n’a été rendue publique que deux mois plus tard. La décision compte 228 paragraphes et 41 pages.
Durant la période des faits relatés dans la plainte, l’intimé détient un certificat en assurance contre la maladie et les accidents, d’abord comme représentant autonome, et ensuite comme représentant d’un cabinet de services financiers. Sa clientèle est composée principalement de personnes âgées demeurant dans des résidences adaptées.
La première cliente
Les infractions mentionnées au chef 1 concernent des gestes posés envers la même cliente de Gatineau en février 2019. La cliente avait été rencontrée une première fois en avril 2016. Âgée de 55 ans, elle vivait seule dans un immeuble où l’intimé avait d’autres clients. Il s’était alors présenté sans rendez-vous à sa porte.
Il fait souscrire à la cliente un produit d’assurance maladie de l’assureur Croix Bleue du Québec qui comprend des garanties pour décès accidentel, rente hospitalière et perte d’usage accidentelle. La prime mensuelle est de 32,80 $. La cliente était alors bénéficiaire de l’aide sociale et avait beaucoup de difficultés à boucler son budget.
Un an plus tard, la fille de la cliente réussit à convaincre sa mère d’annuler la police, car « la couverture n’est aucunement nécessaire ». En mai 2017, la cliente envoie une lettre à l’assureur pour faire annuler le contrat.
En février 2019, l’intimé retourne visiter la même cliente sans s’annoncer et lui fait souscrire une police similaire à celle conclue en avril 2016. La fille tente d’entrer en contact avec le représentant, mais celui-ci refuse d’en discuter avec elle, en prétextant le caractère confidentiel du dossier. Cette deuxième police est annulée en juillet 2019.
Entre mai 2017 et février 2019, l’intimé n’a jamais tenté d’entrer en contact avec la cliente ou sa fille pour connaître les raisons de l’annulation du premier contrat d’assurance. Le représentant affirme qu’il n’a jamais harcelé ou pressé la consommatrice afin de lui faire souscrire ce deuxième contrat.
Le comité déclare l’intimé non coupable des infractions mentionnées aux articles 8 et 11 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.
En revanche, le comité le déclare coupable pour l’infraction mentionnée à l’article 6 du même Code. Cette disposition prévoit que « la conduite du représentant doit être empreinte de dignité, de discrétion, d’objectivité et de modération ».
La cliente n’a pu témoigner, car elle est décédée le 22 décembre 2019. C’est sa fille qui a participé au processus disciplinaire.
Lors de la conclusion du deuxième contrat d’assurance en février 2019, l’intimé devait savoir que la fille de la cliente était responsable de ses affaires financières. Un représentant « digne de sa profession n’aurait pas tenté de faire souscrire à nouveau un contrat d’assurance à une personne âgée dépendant beaucoup de sa fille pour les questions financières », écrit le comité. L’intimé a donc manqué de modération et de professionnalisme en profitant de la situation en faisant souscrire ce deuxième contrat.
La deuxième cliente
Pour les chefs 2 à 5, ils sont reliés à des gestes faits à Gatineau de janvier à septembre 2019 envers une autre cliente. Celle-ci, âgée de 60 ans, dépend de sa famille en raison d’une déficience intellectuelle.
L’intimé est déclaré coupable d’avoir contrevenu à l’article 11 du Code de déontologie de la Chambre pour les chefs 2 et 4. Le comité ordonne la suspension conditionnelle des procédures à l’égard des autres dispositions alléguées au soutien des chefs 2 et 4.
L’intimé a exercé ses activités de façon négligente, selon la plaignante. Le représentant plaide plutôt que la cliente n’était pas une personne vulnérable. Le comité estime qu’il n’a pas agi avec intégrité en faisant signer deux propositions d’assurance à cette consommatrice.
Un premier contrat est conclu en janvier 2019 et un autre est souscrit auprès d’un autre assureur en septembre 2019. Les garanties offertes sont relativement similaires.
La sœur de la consommatrice s’occupe de ses affaires depuis septembre 2019. Elle tente sans succès de joindre l’intimé, puis elle entreprend les démarches avec le deuxième assureur pour faire annuler le contrat, ce qui est fait le 23 novembre 2019.
Devant le comité, la cliente témoigne qu’elle ne se souvient pas des circonstances qui l’ont amenée à signer les contrats. Elle dit ne pas comprendre en quoi consiste un contrat d’assurance. Son médecin traitant confirme son état et explique qu’elle ne s’est jamais occupée de la gestion de ses revenus, sa mère prenant soin de s’en occuper.
Même si le Code de déontologie ne prévoit pas la définition d’une personne vulnérable, le comité estime que la cliente était vulnérable en 2019 lorsqu’elle a rencontré l’intimé à son domicile et qu’il lui a fait souscrire les deux contrats.
Le comité conclut sans hésitation que la consommatrice ne pouvait comprendre les produits que l’intimé lui présentait. « Prétendre le contraire, comme le fait M. Lemieux, n’est pas crédible », lit-on au paragraphe 141 de la décision.
« Comprendre et analyser une proposition d’assurance est un exercice compliqué pour le consommateur moyen. » Selon le comité, cela est encore plus complexe pour la cliente concernée en raison de son handicap.
Face à la vulnérabilité de la cliente, l’intimé aurait dû surseoir au processus de souscription. Il n’a pas permis à la consommatrice de communiquer avec les personnes de son entourage qui l’assiste pour ses besoins financiers.
Pour le chef 3, l’infraction retenue est proscrite par l’article 6 du Règlement sur l’exercice de l’activité des représentants. L’intimé n’a pas procédé à une analyse complète et conforme des besoins financiers (ABF) au moment de souscrire le deuxième contrat en septembre 2019.
Le représentant allègue que même si certains renseignements sont manquants, « ce défaut n’est pas suffisamment grave pour constituer une faute déontologique ». Le chef 3 est relié au deuxième contrat. La première ABF n’était pas datée, pas plus que la deuxième.
On ne retrouve pas de ventilation des revenus de la consommatrice dans cette deuxième ABF. Le montant du loyer mensuel indiqué est inférieur à celui qui apparaissait dans la première ABF, alors que la cliente demeure au même endroit. On ne retrouve aucune note quant aux besoins d’assurance de la consommatrice. Le comité estime que l’intimé ne pouvait mener cette ABF en discutant seulement avec la cliente.
Concernant le chef 5 pour lequel il a été acquitté, la plaignante n’a pas été en mesure de prouver que l’intimé ait faussement indiqué dans la proposition que la consommatrice ne possédait pas d’autres polices d’assurance invalidité.
Préavis de remplacement
Enfin, concernant les quatre clientes mentionnées au chef 6, les manquements reprochés ont eu lieu dans plusieurs municipalités entre les mois de juin 2020 et septembre 2021. On reproche à l’intimé de ne pas avoir fourni des préavis de remplacement complets en faisant signer de nouvelles propositions d’assurance.
Encore une fois, l’intimé prétend que les reproches soulevés par la plaignante ne sont pas suffisamment graves pour constituer une faute déontologique. La décision à laquelle il réfère a été rendue en mai 2006, alors que l’article 22 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants a été modifié en juillet 2013. Le formulaire de l’annexe I du Règlement est obligatoire. Il prévoit qu’un préavis de remplacement doit être fait pour chaque contrat remplacé.
Pour trois des clientes concernées par le chef 6, la plaignante reproche à l’intimé d’avoir préparé un seul préavis, même si deux contrats étaient annulés par la souscription du nouveau contrat.
Autre clause
La plaignante reproche aussi à l’intimé de ne pas avoir traité correctement la question de la clause d’incontestabilité de ces préavis de remplacement.
Cette clause n’est généralement pas transférée d’un contrat à l’autre et la validité d’un nouveau contrat peut donc être remise en question si l’ancien contrat était muni de cette clause. Le délai durant lequel s’applique la clause recommence à courir le jour de l’entrée en vigueur du nouveau contrat. Le consommateur doit en être informé s’il annule un contrat pour le remplacer par un autre.
Dans les préavis préparés pour les quatre clientes, il est mentionné que la clause d’incontestabilité ne s’applique pas. Dans son témoignage, l’intimé allègue que cette mention apparaissait dans les préavis parce que la clause ne s’applique pas, car les polices ne sont pas de l’assurance vie.
Pour les nouvelles polices souscrites auprès de Manuvie, la clause d’incontestabilité était d’une année, au lieu de deux ans comme il l’avait mentionné verbalement aux consommatrices. Les contradictions de l’intimé poussent le comité à conclure qu’il a omis de commenter l’impact de la clause sur les préavis comme prescrit par l’article 22 du Règlement.
D’autres défauts s’ajoutent à propos des préavis de remplacement. Le comité reconnaît que le fardeau de conformité requiert une rigueur documentaire exigeante qui peut même paraître fastidieuse. Le comité note aussi que ce sont les clientes qui ont demandé à changer leur police et que l’intimé ne les a pas sollicitées.
Le procureur de l’intimé prétend que les imprécisions, incertitudes et défauts contenus dans les documents ne sont pas assez graves pour constituer une faute déontologique. Le comité estime plutôt que ces défauts « sont trop nombreux et importants ».
Le comité déclare l’intimé coupable du chef 6, mais suspend conditionnellement les procédures à l’égard de l’autre disposition alléguée au soutien du chef.