L’Autorité des marchés financiers a rappelé le 7 janvier qu’il était interdit de partager des commissions de fonds communs avec un cabinet d’assurance. Des agents généraux tentent depuis de renverser cette position.

L’avis sur le versement de la rémunération découlant d’activités dans le secteur des valeurs mobilières à une personne non inscrite en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières (LVM) a pris de court les cabinets de courtage en fonds communs et leurs représentants. L’avis rappelle que seule une personne inscrite en vertu de la LVM, qu’elle soit une personne physique ou morale, peut recevoir une rémunération découlant de l’exercice d’activités en valeurs mobilières.

En 1999, les disciplines d’épargne collective et des plans de bourse d’études s’étaient retrouvées sous la coupe de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF), avec l’assurance de personnes. L’article 100 de la LDPSF permettait le partage des commissions. Le 28 septembre 2009, le législateur transfère les deux disciplines de valeurs mobilières d’épargne à la LVM. Dès lors, le cabinet de courtage en fonds communs ne peut plus se prévaloir de cet article.

Depuis, l’Autorité avait toléré que les représentants en épargne collective puissent recevoir leurs commissions de suivi au sein de leur cabinet d’assurance de personnes, s’ils étaient inscrits dans cette discipline. « Lorsque nous demandions l’avis de l’Autorité sur le partage de commissions de suivi à un cabinet d’assurance de personnes, il nous répondait que ce n’était pas de son ressort de trancher la question. Maintenant, nous ne pouvons plus le faire. C’est un coup dur pour les représentants en épargne collective », a déploré James McMahon, PDG, Québec, de Groupe financier Horizons, en entrevue au Journal de l’assurance. Ce durcissement pénalise autant le conseiller qui a son propre cabinet qu’un cabinet auquel plusieurs représentants se rattachent, croit M. McMahon.

Répondre à des dénonciations

Pourquoi se raviser maintenant? L’Autorité dit répondre à des dénonciations. Celles-ci ont fait état d’arrangements « mis en place par des sociétés inscrites, en vertu desquels la rémunération en valeurs mobilières due à un représentant inscrit est versée directement à une société non inscrite en vertu de la LVM ».

Les dénonciateurs estiment que ces arrangements créent une iniquité entre les sociétés inscrites qui respectent la réglementation applicable, et celles ne la respectent pas, précise le régulateur. « L’Autorité entend donc prendre les mesures appropriées pour que toutes les personnes inscrites respectent la réglementation applicable », a écrit le régulateur dans son rappel sur cette règle.

Vice-président administration – investissement de Groupe Cloutier, François Bruneau dit ne pas comprendre ce durcissement. « Personne ne le voyait venir. Le régulateur dit que la tolérance est terminée. C’est contraire aux signaux qui nous avaient été envoyés », a-t-il confié en entrevue au Journal de l’assurance.

François Bruneau explique que les cabinets de fonds avaient poursuivi le partage de commissions envers les cabinets d’assurance de personnes après 2009, parce que tous s’attendaient à ce que des amendements soient apportés à la LVM. « Ce que nous décodons, c’est que le ministère des Finances a décidé de ne pas allez de l’avant. L’Autorité applique en conséquence la loi à la lettre. Un simple amendement règlerait le problème », dit M. Bruneau.

Permettre aux représentants en épargne collective de s’incorporer

L’amendement recherché, c’est de permettre aux représentants en épargne collective de s’incorporer. Ils pourraient ainsi faire verser leur rémunération par leur courtier, directement à leur cabinet personnel. « Pourquoi le représentant en épargne collective ne pourrait-il pas s’incorporer, et ainsi pouvoir allouer une partie de sa rémunération aux dépenses de son cabinet et au salaire de ses adjointes, comme peut le faire un conseiller en sécurité financière », se demande M. McMahon.

Le conseiller autorisé à partager des commissions directement à son cabinet incorporé allège ainsi son fardeau fiscal, indique François Bruneau. Il peut choisir de toucher une partie des commissions sous forme de salaire, partager l’autre avec son cabinet et profiter du traitement fiscal avantageux des dividendes. « À ce jour, le conseiller avec double permis pouvait choisir de partager ses commissions de fonds communs avec son cabinet d’assurance de personnes, et avoir un traitement fiscal équivalent à celui de ses commissions de fonds distincts. Maintenant, il voit ses commissions de fonds communs imposées à 100 % comme un revenu d’emploi », explique-t-il.

M. Bruneau souligne les risques d’arbitrage qu’entraine cette restriction. « Cela risque de faire en sorte que des conseillers qui ont les deux permis choisissent de vendre des fonds distincts plutôt que des fonds communs, pour des questions de fiscalité », dit-il.

À la lecture de l’avis, on découvre que le Québec et l’Alberta sont les seules provinces à interdire le partage de commissions gagnées en valeurs mobilières à des sociétés non inscrites dans cette discipline. Dans les autres provinces, l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (MFDA) permet à ses membres de verser à une société non inscrite la rémunération qui découle d’activités de fonds.

Réaction concertée

Des agents généraux ont entrepris des démarches pour dénoncer l’interprétation stricte que l’Autorité fait de la LVM. « Nous avons fait des représentations. Nous avons écrit au ministre et à son cabinet », a révélé James McMahon. De son côté, François Bruneau a déclaré que le Groupe Cloutier s’apprêtait à faire de même.

PDG de MICA, Gino-Sebastian Savard tente de mobiliser les professionnels de l’industrie par courriel. « Selon l’interprétation qu’elle fait de la LVM, l’Autorité est d’avis qu’il est interdit à un courtier de partager une rémunération provenant d’une commission pour les fonds communs avec un cabinet en assurance de personnes. Étant donné cette position de l’Autorité, nous croyons qu’une action concertée et appuyée par les représentants de l’industrie est le gage d’une prochaine réussite dans ce dossier. »

M. Savard avait employé cette tactique avec succès dans la foulée du rapport d’application sur la loi 188, en 2015. Le mémoire qu’il avait joint à son envoi au ministre des Finances, Carlos Leitao, et au sous-ministre adjoint aux politiques relatives aux institutions financières et au droit corporatif, Finances, Richard Boivin, avait été réexpédié plus d’une centaine de conseillers.

Sa lettre intitulée Incorporation des représentants inscrits dans une discipline de valeurs mobilières auprès de l’Autorité des marchés financiers vise les mêmes cibles. Il y demande de modifier la Loi sur les valeurs mobilières afin de permettre l’incorporation des représentants en épargne collective, qui pourraient ainsi recevoir leur rémunération dans leur société.

M. Savard a envoyé une lettre au PDG de l’Autorité, Louis Morisset. Il lui demande de suspendre l’application de l’avis du 7 janvier jusqu’à ce que le ministre se soit positionné.

« Compte tenu des enjeux importants liés à cette question, nous croyons qu’il est impératif d’agir afin d’assurer la pérennité de notre industrie et que l’iniquité créée par cette situation soit résolue », écrit M. Savard dans son courriel expédié aux conseillers. Il dit souhaiter que d’autres intervenants s’impliquent.