En déposant le projet de loi 68 à l’Assemblée nationale le 7 octobre 2020, le ministre des Finances du Québec, Éric Girard, a posé un premier jalon vers le régime de retraite à prestations cibles (RRPC).

Actuellement, la loi ne permet les régimes de retraite à prestations cibles qu’aux entreprises du secteur des pâtes et papiers en difficultés financières. Parmi d’autres, Produits forestiers Résolu a franchi ce pas. Retraite Québec précise qu’une entreprise est admissible au RRPC si elle a conclu une entente avec un syndicat pendant qu’elle était sous le coup de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC ou C-36). La LACC est une loi fédérale qui autorise les entreprises insolvables à restructurer leurs affaires et leurs finances.

Si le projet de loi aboutit, le RRPC permettra à d’autres entreprises d’instaurer un régime qui se situe à mi-chemin entre un régime à prestations déterminées et un régime à cotisations déterminées.

Derrière ce projet se profile une bonne option pour négocier avec les employés l’établissement d’un nouveau régime moins risqué financièrement pour une entreprise, selon l’entrevue qu’a accordée au Portail de l’assurance F. Hubert Tremblay, conseiller principal du domaine avoirs de Mercer Canada. « C’est une bonne chose pour nos clients et une bonne nouvelle aussi pour les employés », lance l’actuaire.

Pas un combo

Le régime à prestations cibles combine les caractéristiques d’un régime à prestations déterminées et d’un régime à cotisations déterminées, explique M. Hubert. Les cotisations patronales et celles des employés, ou la façon de les calculer, sont fixées à l’avance. Cependant, le montant de la prestation cible peut être ajusté en fonction de la situation financière du régime. Il s’agit d’une avenue pour gérer le risque financier d’un régime et aussi celui de la longévité, avait soulevé M. Hubert dans une entrevue précédente.

M. Tremblay précise que le régime à prestations cibles est un produit unique. « Ce n’est pas un combo Il s’agit d’une solution mitoyenne entre un régime à prestations déterminées et un régime à cotisations déterminées. Ce n’est pas une partie l’un et une partie l’autre. C’est plutôt une option au centre du spectre », illustre-t-il. L’actuaire explique que dans le régime à prestations déterminées, la prestation est garantie à vie : le RRPC maintient quant à lui une partie de cette prévisibilité grâce à une formule qui établit une cible de prestation.

De même, il ajoute qu’il ne sera pas possible pour une entreprise de convertir un régime à prestations déterminées en régimes à prestations cibles. Les deux régimes demeureront deux véhicules de retraite séparés. « Les droits accumulés par les employés dans le régime à prestations déterminées ne pourront être convertis. L’employeur demeure responsable des promesses précédentes. »

Diminuer les conflits

Selon F. Hubert Tremblay, l’annonce du ministre des Finances relance l’intérêt envers le régime de retraite à prestations cibles. « Depuis les dernières années, des organisations ont complété des négociations et attendent de pouvoir aller de l’avant. Il y a quelques candidats en lice », observe l’actuaire spécialisé dans les régimes de retraite. Et il y en aura maintenant plus, croit-il. « Si le projet de loi 68 va de l’avant, davantage d’organisations porteront intérêt à cette solution comme une option supplémentaire pour repenser le futur de leur régime de retraite », dit M. Tremblay.

Il croit que tant le promoteur du régime de retraite d’une entreprise que ses employés pourront initier cette réflexion. « Le régime à prestations cibles contribuera peut-être à empêcher des conflits de travail portant sur le passage d’un régime de retraite à prestations déterminées à un régime de retraite à cotisations déterminées. » Il évoque des situations dans lesquelles des entreprises privées qui ne pouvaient plus supporter le risque d’un régime à prestations déterminées ont voulu le convertir en régime à cotisations déterminées. « Elles sont passées d’un extrême à l’autre dans le spectre. Cela créé des conflits de travail », dit M. Tremblay.

Avec l’avènement du régime à prestations cibles, il pense qu’un groupe d’employés pourrait infléchir la décision d’un employeur d’aller vers un régime à cotisations déterminées, et ramener le mouvement de balancier vers le centre. « Il pourrait y avoir des cas ou l’employeur négocie pour éviter un conflit. Le régime devient alors un compromis. Il s’établira par une entente entre employeur et employés. »

Mains libres et économies d’échelle

Pourquoi sortir du régime à prestations déterminées ? « Des employeurs veulent éviter les fluctuations de marchés qu’entraînent le mouvement des taux intérêts, le rendement des actions et celui des obligations… Avec un régime à prestations déterminées, l’employeur est responsable de la prestation et doit combler le manque à gagner pour remplir la promesse faite à l’employé », répond M. Tremblay.

En contrepartie, un régime à cotisations déterminées permet à l’employeur et ses employés de fixer leur cotisation respective. Mais impossible de prévoir ce que seront les prestations des participants lorsqu’ils arriveront à la retraite. « Le régime à prestations cibles permet de cibler une prestation et une cotisation, dit F. Hubert Tremblay. Mises en commun, les sommes cotisées par l’employeur et les employés permettront de réaliser des économies d’échelles et d’obtenir les meilleurs rendements possibles. »

Suivre la prestation de près

Le conseiller principal de Mercer Canada explique que si la situation du régime ne permet plus d’atteindre la prestation cible établie au départ, celle-ci pourra être réduite. L’employeur n’est tenu qu’aux cotisations convenues. « C’est là la différence fondamentale par rapport à un régime à prestations déterminées : les parties visent un certain niveau de prestation, non une garantie. La capitalisation ainsi que les hypothèses de rendement et de longévité permettront d’établir un cout à long terme pour atteindre les prestations ciblées. Or, les hypothèses ne se réalisent jamais parfaitement », rappelle M. Tremblay.

Mais il sera possible de se reprendre, en autant d’avoir prévu le coup. Au moment d’établir un régime à prestations cibles, l’actuaire signale que les parties devront prévoir des mesures qui précisent comment les prestations baisseront. « Il y aura aussi des mesures de rétablissement de la prestation à la cible initiale, si par exemple des gains actuariels ou de très bons rendements le permettent. Pour y arriver, la situation du régime doit être révisée régulièrement selon des mécanismes mis en place dès le départ. »

Régimes interentreprises

F. Hubert Tremblay signale également que le projet de loi prévoit qu’un régime puisse s’établir entre plusieurs entreprises, ce qui en fait une option abordable pour les PME. « Avec l’environnement conjoint de mise en commun, des PME pourraient se regrouper dans un régime à prestations cibles », explique-t-il. Aussi, un syndicat pourrait regrouper les employés de différentes PME d’un même secteur, et devenir le promoteur du régime, ajoute M. Tremblay.