Le projet de fusion de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) et de la Chambre de la sécurité financière (CSF) au sein d’un organisme unifié, la Chambre de l’assurance, prévu dans le projet de loi 92 (PL-92), divise l’industrie de l’assurance.
Alors que l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP) et le Bureau d’assurance du Canada (BAC) se sont tous deux prononcés en faveur de cette unification, Beneva a émis un bémol et le Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ) a exprimé son désaccord lors de la commission parlementaire qui s’est tenue mardi 20 mai à Québec.
Le ministre Girard contrarié
Cette volonté de fusionner les deux chambres pour en créer une seule est apparue comme l’un des enjeux du PL-92 les plus chers au ministre des Finances, Éric Girard. À plusieurs reprises, il a paru contrarié par les intervenants qui ont émis des réserves sur ses intentions ou remis en question sa volonté de mettre en place cette fusion.
S’il a décidé de ne pas réaliser de consultation préalable, a-t-il expliqué aux représentants du RCCAQ, c’est qu’il savait à l’avance que des groupes seraient favorables à la fusion et d’autres défavorables, qui auraient voté pour garder le modèle actuel.
Est-ce qu’il y a urgence, quelque chose qu’on n’a pas vu, lui a demandé le directeur général du RCCAQ, Éric Manseau ?
« Dans ce cas-ci, l’enjeu est venu par la fusion au niveau canadien de l’épargne collective et les valeurs mobilières, a expliqué le ministre. À partir du moment où la CSF perd des responsabilités, ça devient moins pertinent de maintenir une structure plus lourde pour moins de personnes. L’industrie évolue et si nous, on conserve le statu quo, on n’évolue pas. »
Éric Girard a repoussé la tentative d’explication de M. Manseau selon qui ce projet de fusion s’expliquait par des problèmes au niveau de la ChAD.
« Je n’ai jamais parlé de problèmes à la Chambre de l’assurance de dommages, a répliqué le ministre (…) On n’a pas parlé de s’attaquer directement à une problématique. Ça devient difficile de justifier deux Chambres alors que le nombre d’inscrits assujettis à une Chambre est en chute libre. La fusion n’est pas une motion de blâme, mais une évolution. »
Appui de l’ACCAP et du BAC
La présidente de l’ACCAP-Québec, Lyne Duhaime, adhère à ce projet de fusion afin de rendre les structures réglementaires et administratives plus simples. Elle a dit y voir un pas dans la bonne direction qui s’inscrit dans une perspective d’harmonisation avec les règles existantes ailleurs au Canada. Elle a encouragé le ministre à poursuivre ses initiatives en ce sens.
Le BAC s’est prononcé en faveur de ce fusionnement, mais il a soulevé ce qu’il appelle « l’enjeu du double encadrement ». Il estime qu’avec un tel régime, le manque de cohérence actuel ne sera pas corrigé.
« Par exemple, écrit-il dans son mémoire, un même dossier visant un représentant en assurance pour ses manquements à son Code de déontologie, et son employeur pour tout autre manquement, sera entendu par deux organismes de contrôle différents : le représentant par la Chambre de l’assurance et l’assureur par l’Autorité des marchés financiers (AMF). »
Néanmoins, même s’il préférait un guichet unique, le BAC appuie le modèle proposé par le ministre Girard et dit faire confiance à l’AMF pour la suite des choses.
Confusion dans le processus disciplinaire
Beneva a aussi salué les efforts du gouvernement pour simplifier l’encadrement des représentants en produits et services financiers. L’assureur est toutefois d’avis que l’absence d’un organisme commun entraîne une certaine lourdeur et une confusion dans le processus disciplinaire pour les consommateurs et les intervenants de l’industrie.
« Il serait souhaitable, dit Beneva, que le gouvernement considère, dans une prochaine étape, de confier à une seule et même autorité réglementaire le pouvoir d’encadrement disciplinaire. »
Mettre en place un processus de consultation
Le désappointement était très palpable dans les rangs du RCCAQ. Sa représentante, Lucie Fréchette, a dénoncé le caractère opaque du processus. Le RCCAQ a déploré que ce projet de fusion n’ait pas fait l’objet d’une consultation et que l’organisme n’ait pas eu la possibilité de consulter adéquatement ses membres.
Le RCCAQ affirme que le modèle actuel de gouvernance de la ChAD assure un équilibre précieux entre les petits et grands cabinets et il craint que la Chambre ne devienne qu’un simple organisme soumis aux décisions unilatérales de l’AMF.
Il a suggéré au gouvernement de mettre en place un processus de consultation élargi avant l’entrée en vigueur du projet de loi afin de permettre aux acteurs concernés d’exprimer leurs préoccupations et de contribuer à la définition du futur cadre de gouvernance.
Lors d’un échange avec un député membre de la commission parlementaire, son directeur général, Éric Manseau, a dit observer que tout semble déjà ficelé et anticipe un impact financier pour ses membres, mais sans pouvoir quantifier de montant.
Des sanctions et pénalités trop salées
Dans un but de renforcer la protection des consommateurs, le PL-92 introduit un très sévère régime de sanctions pour le secteur des assurances qui n’était pas au niveau de celui des valeurs mobilières, a justifié le ministre Girard. Il y ajoute et a défendu un critère de récurrence quotidienne.
Le projet de loi prévoit de très fortes augmentations de pénalités financières et une nouvelle peine d’emprisonnement maximale de cinq ans.
Dans leur formulation actuelle, a calculé l’ACCAP, les sanctions pourraient atteindre 2 000 000 $ par infraction et par jour pour des manquements à des obligations principalement administratives, telles que la mise à jour de registres, ou qui comportent une part d’appréciation subjective, comme la communication d’une information jugée « adéquate ».
« L’objectif des sanctions n’est pas de générer des revenus, mais qu’elles soient suffisamment craintes pour inciter tout le monde à se conformer aux règles et éviter de devoir l’appliquer. Le régime de sanctions et le régulateur doivent être craints », a insisté le ministre.
L’ACCAP juge néanmoins excessive la sévérité de ces mesures. Lyne Duhaime a réclamé le retrait du cumul journalier, qui n’existe pas dans le domaine des valeurs mobilières, et demandé à s’en tenir à un plafond maximal qui vient avec une certaine prévisibilité.
Elle propose également d’ajouter la mention « sciemment » ou « volontairement » à l’article 82 afin de circonscrire les cas visés par une telle sanction pour introduire un critère de connaissance de l’infraction, comme on le retrouve dans la Loi sur les banques.
Elle suggère par ailleurs que seules certaines infractions expressément désignées soient passibles des sanctions les plus sévères.
Agents autorisés à agir en tant qu’experts en sinistres
Le PL-92 prévoit d’accorder à l’AMF un pouvoir lui permettant, dans des circonstances exceptionnelles, d’autoriser des personnes ne détenant pas de certificat à agir comme des experts en sinistres pour des règlements d’un montant supérieur à 5 000 $.
Le RCCAQ s’en réjouit, mais a émis ses balises. Il demande à ce que les personnes autorisées à agir à ce titre soient limitées à des agents ou courtiers en assurance de dommage, à des personnes ayant précédemment détenu un certificat d’expert en sinistres ou à des experts en sinistres inscrits à l’extérieur du Québec.
Selon Mme Fréchette, permettre à des gens qui ne sont pas certifiés d’agir comme des experts en sinistres pour des dommages supérieurs à 5 000 $ peut poser un risque à moyen et long terme, même s’il n’y a pas eu de plaintes dans le passé. Plus le montant est élevé, croit-elle, et plus il y a un risque d’erreurs. Mais on est dans l’incertitude, dit-elle.
Hausser le montant des réclamations par téléphone
Le projet de loi 30, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 9 mai dernier, permet maintenant de façon permanente aux employés d’un assureur de traiter au téléphone des réclamations allant jusqu’à 5 000 $.
Le BAC n’a pas été le seul à dire au ministre mardi que ces dispositions ne seront pas suffisantes pour faire face aux défis des catastrophes naturelles. Il affirme que malgré une excellente communication avec l’AMF, les délais sont trop longs pour obtenir l’autorisation d’utiliser des surnuméraires et des employés au téléphone après des événements comme Debby en août 2024.
Les assureurs disent avoir besoin de plus de flexibilité dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de l’augmentation des événements climatiques.
Le BAC a profité de cette commission parlementaire pour réitérer au ministre sa demande de faire passer le plafond des dossiers pouvant être réglés par téléphone de 5 000 $ à 10 000 $. « Avec la perspective d’événements météo de plus en plus extrêmes, dit le Bureau, il devient encore plus clair qu’un tel montant est nécessaire dès maintenant. »
Sans mentionner de chiffre, Beneva a appuyé sa requête.
Les élus membres de la Commission ont posé de multiples questions à propos de la compétence des employés non certifiés qui auraient ce pouvoir de traiter des réclamations dans certaines situations, mais le BAC a insisté sur leur encadrement par des experts en sinistres certifiés.
Résidence des administrateurs
Le PL-92 propose d’assouplir les règles afin de permettre que les assureurs constitués au Québec membres de groupes financiers qui tirent plus de 40 % de leurs primes de l’extérieur du Québec puissent avoir sur leur conseil d’administration un tiers d’administrateurs résidant au Québec, tout en maintenant une majorité d’administrateurs résidants au Canada.
Dans les faits, cette nouvelle répartition permettrait que des gens qui connaissent bien le marché des autres provinces puissent siéger au conseil d’administration d’assureurs québécois.
C’est une ouverture dont se réjouissent tant l’ACCAP, le BAC que Beneva. Les trois organisations ont cependant demandé à ce que ce privilège soit étendu aux sociétés d’assurance qui font partie de groupes financiers dont plus de 40 % des primes sont perçues à l’extérieur du Québec.
En bénéficiant de cette disposition, a dit le vice-président exécutif de Beneva, Pierre-Marc Bellavance, l’assureur québécois pourrait jouer sur le même terrain de jeu que ses concurrents pour continuer à croître à l’extérieur du Québec, dans le reste du Canada.
C’est une demande qui a reçu un accueil sympathique et favorable de la part du ministre Éric Girard, qui s’est tourné vers ses fonctionnaires autour de lui pour leur demander d’analyser l’amendement souhaité par Beneva.