Depuis 2010, il se vend annuellement quelque 100 000 polices d’assurance vie individuelle en moins au Canada. L’an dernier, l’industrie de l’assurance de personnes a vendu 635 067 polices d’assurance vie individuelle, contre 733 941 en 2010. Ces observations reposent sur un corpus de données préparé par LIMRA exclusivement pour le Portail de l’assurance

Le taux de pénétration de l’assurance vie individuelle en souffre. Le Canada dénombrait 34 millions d’habitants en 2010 ; il en compte maintenant près de 42 millions, selon une estimation de Statistique Canada au troisième trimestre de 2025. En 2010, le nombre de polices d'assurance vie individuelles vendues par 1 000 habitants au Canada atteignait 21,7. Il n’était plus que de 15,3 en 2024. 

Cathy Hiscott

Des dirigeants de l’industrie s’en inquiètent. Présidente et cheffe de la direction de l’agent général PPICathy Hiscott a dénoncé la lourdeur du processus de vente d’assurance vie, lors d’un panel qui s’est déroulé au Canada Sales Congress le 30 septembre 2025, événement organisé annuellement par les Éditions du Journal de l’assurance. L’excès de procédures réglementaires et d’exigences de conformité contribuent selon elle à freiner les ventes.

Mme Hiscott a projeté lors du panel des statistiques de LIMRA selon lesquelles 55 % des millénariaux seraient intéressés à une assurance vie qui procure un revenu de retraite garanti. Chez la génération Z, c’est 50 %. La génération des millénariaux regroupe les personnes nées entre 1981 et 1996. Celle des Z, les personnes nées entre 1997 et 2012 

Du PC au Web

Philippe Cleary

Face à ces constats, des solutions axées sur le web émergent dans l’industrie. Vice-président, tarification, nouvelles affaires et réclamations, assurance, épargne et retraite individuelles, d’iA Groupe financierPhilippe Cleary mise sur EVO Assurance sur le Web, plateforme numérique de vente. Elle succède à EVO Assurance, lancée en 2017, qui était uniquement disponible sur ordinateur.

La plateforme peut maintenant approuver des propositions au point de vente dans 53 % des cas, a révélé M. Cleary, dans le dossier de l’offre des assureurs de personnes intitulé 23 stratégies et une arme discrète : les créneaux, paru dans le Journal de l’assurance de novembre 2025. Depuis le 17 octobre, les conseillers doivent exclusivement passer par la plateforme Web.

Phillipe Cleary a ajouté qu’au terme de la période de test de cinq semaines précédant le lancement d’EVO Assurance sur le Web, déjà 70 % des propositions acheminées à iA Groupe financier provenaient de la nouvelle plateforme. Il rappelle que la nouvelle plateforme est accessible sur tablette et téléphone intelligent. « Avant, les conseillers devaient utiliser un PC, télécharger EVO et télécharger les mises à jour », explique M. Cleary. 

27 % des polices de l’industrie 

Philippe Cleary veut relever la barre de 53 % à 60 % d’émission instantanée d’ici l'an prochain, et vise les 80 % en 2030. « Nous voulons rendre plus facile aux conseillers l’objectif de protéger plus de Canadiens », ajoute-t-il. 

M. Cleary précise que des facteurs peuvent empêcher l’émission automatique propre à la tarification accélérée. Parmi eux, certaines conditions médicales de l’assuré ou son âge. iA Groupe financier fixe la limite à 60 ans en tarification accélérée. 

Pour se donner les moyens de cette ambition, iA Groupe financier travaille à revoir ses exigences de sélection des risques. « Nous voulons diminuer le nombre d'informations externes à demander en différé pour augmenter le taux d'automatisation », révèle M. Cleary. 

L’assureur a ainsi revampé son moteur de règles de tarification en 2024 et 2025. Il croit que la nouvelle plateforme permettra d’aller encore plus loin. « Avec la technologie que nous avions précédemment, nous étions un peu plafonnés autour de 50 % à 53 % », confie M. Cleary. Il soutient que ce taux d’automatisation est déjà le plus élevé de l’industrie.

 iA groupe financier émet 27 % des nouvelles polices d'assurance vie au Canada, année après année.
– Philippe Cleary

Interpelé en entrevue sur l’écart de 100 000 polices par année au Canada, Philippe Cleary se dit préoccupé et insiste que l’assureur tire son épingle du jeu à cet égard. « iA groupe financier émet 27 % des nouvelles polices d'assurance vie au Canada, année après année. Nous voulons continuer à couvrir un plus grand nombre de Canadiens », affirme-t-il en citant une statistique de LIMRA.

De petits joueurs s’allient 

Les grands assureurs ne sont pas les seuls à peaufiner leur offre en tarification accélérée. Entreprise de distribution d’assurance vie individuelle par voie numérique, Emma a récemment élargi la tarification accélérée à des personnes à assurer dont le dossier de santé n’est pas parfait, mais dont la santé est bonne, comme l’a rapporté le Portail de l’assurance le 22 octobre. Emma a fixé la limite à 750 000 $ pour ces clients. Ceux dont le dossier de santé est sans tache peuvent souscrire jusqu’à 1,5 M$ d’assurance vie en tarification accélérée. 

Félix Deschâtelets

Lors de l’entrevue qu’il a accordé au Portail de l’assurance, le président-directeur général (PDG) et cofondateur d’Emma, Félix Deschâtelets, a expliqué pourquoi il a pu convaincre Humania Assurance de l’aider bâtir un moteur de tarification qui puissent accepter plus de gens en tarification accélérée. Humania Assurance souscrit le risque des produits maison d’Emma, dont de l’assurance temporaire à court terme ou de 100 ans.

 Si tu résistes au changement, il ne faut pas te surprendre s'il y a des gens qui innovent plus rapidement que toi.
– Félix Deschâtelets

« Nous avons remarqué dans l'industrie, surtout dans les grandes corporations, que les gens tendent à devenir confortables relativement rapidement. Nous l’avons vu chez plusieurs assureurs », témoigne M. Deschâtelets. Il dit avoir rencontré plusieurs assureurs fermés à son initiative. « Plus ils sont grands, plus ils résistent. Ils disent : ça fait 20 ans que c'est comme ça, ça ne changera pas, dit Félix Deschâtelets. Si tu résistes au changement, il ne faut pas te surprendre s'il y a des gens qui innovent plus rapidement que toi. » 

En revanche, Humania Assurance « fait partie de ceux dont on peut défier le statu quo : ils répondent favorablement à cela, car ils veulent créer et faire les choses différemment », relate le PDG d’Emma. Emma a ainsi pu intégrer à sa technologie les règles contenues dans les guides de tarification d’Humania Assurance pour qu’elles s’exécutent automatiquement. 

Emma y a gagné en rapidité. « Notre nouvelle technologie sera plus efficace non seulement pour filtrer les risques et prendre la décision, mais permettra aussi de lancer des nouveaux produits beaucoup plus rapidement. La première version de notre technologie permettait de lancer un produit en sept à huit mois. Maintenant, on peut le faire en 2 semaines. Faire des modifications prendra une demi-journée », révèle Félix Deschâtelets. 

La vie avant les prestations du vivant 

En matière d’écart d’assurance, les produits de prestations du vivant apparaissent comme les parents pauvres dans un récent sondage de RBC Assurances, tel que rapporté dans le dossier spécial sur l’offre des assureurs de personnes du Journal de l’assurance de novembre. Le sondage de RBC Assurances dont il fait mention révèle que seuls 10 % des Canadiens ont de l’assurance invalidité, et 9 % de l’assurance maladies graves.

Adam Mamdani

Vice-président de RBC Assurances, Adam Mamdani a souligné l’importance du conseiller pour faire voir aux gens les produits de prestations du vivant comme une protection et non une dépense. La situation dépeinte par son sondage place l’assurance vie individuelle en meilleure position : 39 % des répondants ont dit en posséder. 

Dans une entrevue avec le Portail de l’assurance en marge du dossier sur l’offre des assureurs de personnes, M. Mamdani s’est dit conscient que les conseillers sont très à l’aise de parler d’assurance vie. Selon lui, ils le sont moins avec des produits tels que l’assurance invalidité : « Elle demeure un produit plus technique et complexe, qui n’est pas vendu en ligne. Trop peu de conseillers en parlent avec leurs clients ». 

Il observe aussi que plusieurs Canadiens croient être déjà protégés par leur régime collectif, ou des prestations d’autres sources. « La réalité est tout autre : la majorité des Canadiens ne disposent pas d’une couverture adéquate », soutient M. Mamdani. « À mes yeux, l’assurance vie reste le produit phare en assurance individuelle : c’est celui dont tout le monde parle. Trop peu de conseillers abordent sérieusement l’assurance maladies graves et l’assurance invalidité », dit-il. 

Trop peu de relève 

Le sondage de RBC Assurances révèle en outre que les Canadiens comprennent de mieux en mieux l’importance de l’assurance vie. Ils sont 58 % à estimer important d’en avoir une, rappelle le vice-président de RBC Assurances. « En comparaison, seulement 31 % jugent l’assurance invalidité importante, et 29 % en disent autant pour l’assurance maladies graves », déplore-t-il. 

 Trop peu de nouveaux conseillers se joignent au secteur, ce qui limite la portée des efforts de sensibilisation et de distribution.
– Adam Mamdani

Comment expliquer un tel écart ? « D’abord, il y a un manque de relève dans l’industrie. Trop peu de nouveaux conseillers se joignent au secteur, ce qui limite la portée des efforts de sensibilisation et de distribution », tranche Adam Mamdani.

Deuxièmement, dit-il, « l’industrie met de plus en plus l’accent sur les clients à valeur nette élevée, voire très élevée. Cela se traduit par moins de polices vendues, mais des primes plus importantes, comme on le voit en assurance vie entière avec participation ». 

Troisièmement, les stratégies fiscales et successorales, chères à l’assurance vie permanente, prennent du temps à mettre en place, souligne M. Mamdani. « Peu de conseillers desservent le marché de masse. Plusieurs se concentrent plutôt sur des clientèles de niche : entrepreneurs, gens d’affaires et particuliers fortunés », pense-t-il. 

Adam Mamdani croit qu’il faut rappeler à la population que le métier de conseiller en assurance de personnes est honorable. « C’est une profession qui permet de bien gagner sa vie, d’aider les gens et d’avoir un réel impact dans leur vie. L’industrie a besoin de nouvelles recrues », lance celui qui a amorcé sa carrière comme conseiller il y a 17 ans.

Cet article est un Complément au magazine de l'édition de novembre 2025 du Journal de l'assurance.