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Régimes d’assurance collective et fiscalité des primes payées par l’employeur
Publié le 5 août 2025
Les régimes d’assurance collective font partie intégrante de la rémunération des employés au Canada. Ils couvrent généralement les risques liés à la vie, à la santé et à l’invalidité. Ces régimes sont souvent conçus de façon souple afin de répondre aux divers besoins des employeurs et des employés, tant en matière de garanties que de modalités de cotisation.
Toutefois, cette flexibilité comporte certaines limites. L’Agence du revenu du Canada (ARC) a adopté des positions interprétatives qui définissent les critères à remplir pour qu’un régime soit considéré comme un « régime d’assurance collective » et pour déterminer si les primes payées par l’employeur constituent un avantage imposable en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi).
Cet article examine la position administrative de l’ARC à l’égard des régimes d’assurance collective, en mettant l’accent sur une récente interprétation technique (document 2018-0744821E5-T) datée du 19 février 2025, et explore les répercussions fiscales potentielles, notamment dans les cas impliquant des employés actionnaires. Il souligne l’importance de la structure du régime, de l’uniformité des garanties entre les différents groupes d’employés et de la distinction entre les avantages reçus en qualité d’employé ou d’actionnaire pour déterminer le traitement fiscal des primes payées par l’employeur.
Cadre d’interprétation de l’ARC
La Loi ne définit pas l’expression « régime d’assurance collective ». Selon la politique administrative de l’ARC, un régime d’assurance collective désigne généralement une entente entre un employeur et ses employés qui prévoit des prestations en cas de maladie, de maternité ou d’accident. Ces régimes peuvent inclure plusieurs volets, comme l’assurance vie, l’assurance maladie et l’assurance invalidité, et reposer sur plusieurs contrats d’assurance émis par un ou plusieurs assureurs.
Un critère central pour déterminer si une entente constitue un régime d’assurance collective est le nombre d’employés couverts. L’ARC exige qu’au moins deux employés soient assurés pour que le régime soit qualifié de collectif. Toutefois, ce seuil minimal ne suffit pas. L’ARC évalue aussi si les garanties offertes et le partage des coûts sont similaires pour l’ensemble des participants. Si les prestations ou les cotisations varient considérablement selon les employés, l’ARC pourrait considérer qu’il s’agit plutôt d’une série de polices individuelles.
Dans l’interprétation technique mentionnée plus haut, l’ARC analysait une situation dans laquelle une société offrait un régime d’assurance collective standard à tous ses employés, avec des primes payées par ces derniers. L’employeur envisageait ensuite d’ajouter une assurance invalidité complémentaire pour deux cadres, dont un actionnaire majoritaire, avec des primes entièrement payées par l’entreprise. L’ARC devait déterminer si ce régime complémentaire pouvait être considéré comme un régime d’assurance collective, et si les primes versées par l’employeur constituaient un avantage imposable.
Évaluer le statut collectif
L’analyse de l’ARC s’est concentrée sur la possibilité d’intégrer l’assurance complémentaire dans le régime collectif général. L’Agence a réitéré qu’un régime collectif doit prévoir des garanties et une répartition des coûts similaires pour tous les employés couverts. Si certaines personnes – en particulier des cadres ou des actionnaires – reçoivent des prestations bonifiées, l’ARC pourrait conclure qu’il s’agit de polices individuelles plutôt que d’un régime collectif.
Dans ce cas précis, la couverture complémentaire visait uniquement deux cadres et offrait des prestations non accessibles aux autres employés, soulevant des préoccupations quant à l’uniformité du régime. L’ARC a souligné que le niveau des garanties et le ratio de contribution employeur-employé doivent être cohérents pour tous. Un écart significatif pourrait compromettre le statut collectif du régime, entraînant un traitement fiscal différent des primes payées par l’employeur.
Avantages imposables et exception du sous-alinéa 6(1)a)(i)
En vertu de l’alinéa 6(1)a) de la Loi, les primes d’assurance payées par l’employeur sont généralement considérées comme un avantage imposable pour l’employé. Toutefois, le sous-alinéa 6(1)a)(i) prévoit une exception pour les cotisations versées à un régime d’assurance contre la maladie ou les accidents, à condition que les prestations compensent une perte de revenu d’emploi.
Cette exception est cruciale : si le régime satisfait aux critères, les primes payées ne sont pas incluses dans le revenu de l’employé, et l’employeur peut déduire ces montants. Si le régime ne les respecte pas, les primes deviennent un avantage imposable.
Dans son interprétation, l’ARC a conclu que le régime complémentaire n’était pas admissible à titre de régime collectif en raison de sa couverture limitée et de ses prestations bonifiées aux dirigeants. En conséquence, les primes payées par l’employeur seraient probablement considérées comme un avantage imposable en vertu de l’alinéa 6(1)a), à moins qu’une autre exception ne s’applique.
Employés actionnaires : un cas particulier
L’analyse se complexifie lorsque l’employé est aussi un actionnaire. L’ARC présume que les avantages accordés à ces personnes le sont en leur qualité d’actionnaires, particulièrement si elles exercent une influence importante sur les décisions de la société. Cette présomption a des conséquences fiscales importantes.
Si l’avantage est considéré comme un avantage à l’actionnaire, il est inclus dans le revenu de celui-ci en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi, et l’employeur ne peut en déduire le coût. En revanche, s’il s’agit d’un avantage lié à l’emploi, l’exception du sous-alinéa 6(1)a)(i) pourrait s’appliquer.
Pour renverser la présomption d’avantage à l'actionnaire, le contribuable doit démontrer que l’avantage a été accordé en sa qualité d’employé. Cela peut inclure la preuve que des avantages similaires sont offerts à d’autres employés ou que les prestations sont alignées sur les normes du secteur. Il est essentiel de documenter la structure du régime, de faire du repérage comparatif et d’assurer la cohérence des garanties pour appuyer cette position.
Recommandations en matière de planification
La position de l’ARC met en évidence l’importance d’une planification soignée et d’une documentation adéquate pour structurer les régimes d’assurance collective, surtout ceux visant des cadres ou des actionnaires. Voici quelques pratiques exemplaires à adopter :
- Uniformité des garanties : offrir des prestations similaires à tous les employés et maintenir une cohérence dans les cotisations de l’employeur.
- Seuil de couverture minimal : s’assurer que le régime couvre au moins deux employés.
- Éviter les avantages bonifiés aux cadres : rester prudent lorsque des prestations supplémentaires sont proposées aux cadres ou actionnaires.
- Documentation et comparabilité : démontrer la conformité du régime avec les pratiques de l’industrie et justifier que les avantages sont liés à l’emploi.
- Réfuter la présomption d’avantage à l’actionnaire : fournir des éléments probants que les prestations sont accordées à titre d’employé, notamment en comparant avec des employés non-actionnaires.
Conclusion
Les régimes d’assurance collective sont un levier important pour attirer et fidéliser les talents, mais leur traitement fiscal repose sur une structuration rigoureuse et une conformité aux lignes directrices de l’ARC. L’interprétation récente rappelle que la qualification d’un régime comme collectif est une question de fait, et que des écarts dans les garanties ou les contributions peuvent entraîner des conséquences fiscales importantes.
Les employeurs doivent faire preuve d’une vigilance particulière lorsqu’ils offrent des prestations supplémentaires à des cadres ou à des employés actionnaires, au risque de générer des avantages imposables ou d’être visés par les règles applicables aux actionnaires. En assurant l’uniformité, une documentation complète et une conformité aux attentes de l’ARC, les employeurs peuvent structurer des régimes avantageux pour les employés tout en minimisant leur exposition fiscale.