Jean Martin, signataire du mémoire du Comité tripartite sur la réforme et la réglementation du courtage d’assurance de 1987, n’en revient pas de voir les conclusions de ce rapport revenir à l’ordre du jour 30 ans plus tard. Il juge inconcevable que des courtiers s’y réfèrent dans le débat actuel de la règle des 20 %. Il a ainsi tenu à remettre les pendules à l’heure dans une entrevue-choc accordée au Journal de l’assurance vendredi dernier. Et M. Martin n’est pas tendre avec le courtage, tant envers les courtiers que les assureurs.

M. Martin a été une pointure importante dans le courtage dans les années 1980 et 1990. Il a dirigé le cabinet familial Martin Assurance et Gestion de risques qui fut acheté éventuellement par Hub International, une entreprise de courtage inscrite en bourse en Amérique du Nord. M. Martin a aussi participé à la fondation du Groupe Ultima comme actionnaire. Plusieurs le percevaient d’ailleurs comme « l’homme d’affaires du courtage » au Québec, à une époque où les courtiers possédaient en moyenne un volume d’un demi-million de dollars. Il demeure impliqué dans le courtage aujourd’hui à titre de membre du conseil d’administration de PMT Roy, dont il est le deuxième actionnaire, selon ce qu’indique le Registraire des entreprises du Québec, ce que M. Martin a confirmé.

Comité tripartite : « il n’y avait pas une vision de 50 ans là-dedans ! »

Il a confié au Journal de l’assurance qu’il ne souhaitait pas, à l’origine, intervenir dans le débat de la règle des 20 %. Des courtiers ont toutefois commencé à se référer aux travaux du Comité pour appuyer leur argumentaire. Puis, le Journal de l’assurance a fait écho au mémoire de 1987. M. Martin a alors senti qu’il devait remettre les pendules à l’heure, considérant que ce qui était valable il y a 30 ans ne l’est plus aujourd’hui.

« Je suis abasourdi qu’on se serve de cela ! Il n’y avait pas une vision pour les 50 prochaines années dans ce mémoire », affirme-t-il. En entrevue au Journal de l’assurance, qu’il dit souhaiter être sa dernière intervention publique dans ce débat, il a révélé avoir senti la nécessité de déposer un mémoire au sous-ministre dans le cadre de la consultation pour actualiser sa pensée.

Pour M. Martin, il ne faut plus se leurrer. Les courtiers ont perdu la bataille de l’indépendance depuis longtemps. En fait, ils l’ont perdu le jour où ils ont accepté de concentrer leur volume, dit-il.

« Il y a 30 ans, le courtier traitait avec plusieurs assureurs, qui eux acceptaient des volumes aussi bas que 50 000 $. Aujourd’hui, en assurance aux particuliers, plusieurs courtiers traitent avec un assureur qui a 85 % de leur volume. Plusieurs disent qu’ils traitent avec deux assureurs, mais en réalité, ils n’en ont qu’un seul. Il n’y a pas d’indépendance dans ce contexte. L’indépendance dans laquelle plusieurs courtiers veulent se draper n’existe plus ! »

Les assureurs ont pris le contrôle de la distribution, particulièrement Intact Assurance, quand les parts de marché du courtage ont commencé à diminuer, fait-il observer. Ils ont alors acheté des cabinets, ce qui a fait tripler leur valeur. Les multiples de vente sont passés de 1,5 à 4,5 les commissions. La réalité d’il y a 30 ans n’est plus la même aujourd’hui. »

« Les courtiers ne sont plus imaginatifs »

M. Martin dit déplorer que les courtiers ne soient plus imaginatifs et qu’ils s’appuient sur les assureurs pour mousser leur développement. Il donne pour exemple la bataille menée au milieu des années 1980 qui a permis aux courtiers de devenir émetteurs, mais aussi de régler des réclamations. « On ne voit plus cela aujourd’hui. »

M. Martin ne perd pas foi dans le courtage. Il le juge encore extrêmement important. Il déplore toutefois le fait qu’il n’existe plus de grande réflexion au sein du réseau sur l’avenir du courtage. Il en appelle ainsi à une telle réflexion qui poserait l’enjeu principal : comment faire pour être plus performants tout en ne se basant pas uniquement sur les assureurs. « On a besoin de cette réflexion, les courtiers ont besoin de tels outils. »

C’est d’autant essentiel que la croissance organique est extrêmement difficile chez les courtiers, déplore M. Martin, qui voit bien qu’Intact réussi mieux avec son chauffeur de taxi.

Un financement qui ne fait pas de sens

M. Martin remet aussi en doute les prétentions de ceux qui disent qu’il est facile d’obtenir du financement des banques. Il se dit bien conscient de la présence de BMO depuis longtemps. « La Banque Nationale et la Banque Laurentienne ont suivi parce qu’elles ont bien vu que la première ne s’est pas plantée. »Il dit toutefois douter que ces banques accordent du financement à un cabinet ayant 10 M$ de primes, qui présente un taux de commissionnement de 16 % ou de 17 %, qui veut acheter un cabinet dont le propriétaire prend sa retraite. « À 4 ou 4,5 fois les commissions, ça ne fait pas de sens à long terme. »

Quant au financement offert par les assureurs, il y voit un moyen pour eux d’aller chercher du marché. « Quand un assureur participe au financement, un transfert de volume se fait. Et cet assureur exercera son influence pour garder son volume. » M. Martin en a contre ceux qui jouent aux « purs » contre ces transferts. « Au cours des 20 dernières années, les courtiers ont trimballé leur volume d’un assureur à un autre. Le client recevait une lettre disant que son courtier avait changé d’assureur, sans trop comprendre pourquoi. Maintenant, quand un assureur achète, il veut que le volume lui revienne. Et le client reçoit le même genre de lettres. C’est la réalité qu’on vit aujourd’hui. »

L’assurance des entreprises : « c’est là que le courtage se justifie »

Quel est avenir alors du courtage ? Pour M. Martin, la bataille de l’assurance des particuliers est perdue. Le courtier doit se concentrer à combler les autres besoins de ses clients que l’assureur direct ne pourra servir. Il cible l’assurance des entreprises en premier lieu.

« C’est là que le courtage se justifie. Même s’il concentre à 85 % en assurance des particuliers, le courtier peut répondre à des besoins que l’assureur direct ne sera pas en mesure de répondre.  »

M. Martin a-t-il de l’amertume devant la tournure des choses ? Un peu, concède-t-il. « La concentration, c’est beau, mais il juge urgent de trouver des moyens pour s’assurer qu’il reste encore des joueurs dans le courtage dans 20 ans. Les assureurs sont capables d’apporter cette aide », dit-il. Le maintien de la règle des 20 % ne tient donc plus quant à lui.

Il dit avoir été estomaqué de voir la Caisse de dépôt et placement du Québec prendre une participation dans le courtier américain USI. « C’est une piste à explorer, même si la concentration est très forte au Québec.»